Comment réussir un dialogue politique national ? Tous les Mauritaniens se posent la question. Mre Ahmed Salem ould Bouhoubeyni essaie par tous les moyens d’y répondre depuis plusieurs mois.
Sa démarche active ratisse large, interpelle, interroge, déroute… Par la profondeur de son discours, qui mélange et alterne consensus et débats, compromis et intransigeances, l’homme suscite l’espoir chez beaucoup, la désapprobation chez certains et l’incompréhension chez d’autres. Des réactions émanant de ses interlocuteurs politiques ou de l’opinion publique donnent parfois l’impression que le « pauvre prêche dans le désert ». Soit. Seulement, n’oublions pas qu’être mal compris ne constitue pas forcement un défaut. « C’est même un point de passage obligé pour tous les grands hommes », devait se dire Ould Bouhoubeyni, lui qui ne manque pas d'ambitions politiques.
En effet, depuis qu’il est à la tête du FNDU, cet avocat très politisé, qui agit au nom de la société civile, se bat bec et ongles pour faire bouger les lignes, pour sortir le pays de ce blocage inexplicable qui empêche de trouver un terrain d’entente entre les antagonistes de la scène politique mauritanienne. Il ne joue toutefois pas le médiateur. Son appartenance à l'un des deux camp l’en empêche ; ce qui impose pas mal de limites idéologiques à sa liberté d’action, tant vis-à-vis de ses propres amis politiques de l'opposition que vis-à-vis de ses adversaires de lamajorité. Entre les deux, sa marge de manœuvre est effectivement assez réduite. Il ne baisse pourtant pas les bras, quitte à déranger, à se faire « huer »…
Eh oui, manifestement Bouhebeyni prend sciemment le risque de bousculer « l’ordre établi ». Pour y arriver, il met en œuvre les recettes dont il dispose. En bon orateur, l’avocat, qu’il est, fait de plus en plus appel à la force des mots, en arabe comme en français. Par son biais il tient, comme le montre l'extrait joint, à faire passer un message pédagogique fort sur la nécessité d’un dialogue politique fondé sur "des concessions mutuelles" ou sur "des approches coopératives". Pour expliquer ces deux principes et sa vision générale, il a choisi de tout circonscrire dans trois types de comportement « possibles » : le « perdant /gagnant », « le donnant/donnant » et le gagnant/gagnant », le dernier ayant naturellement sa préférence.
El Boukhary Mohamed Mouemel
-----------------------------------------------------------------------------
Extrait d'une interview dans le Calame :
Maître Ahmed Salem Ould Bouhoubeyni : « (…) il est constant qu'en matière de dialogue, aucune partie ne doit avoir l'attitude du repli dit « instinctif » ou modèle gagnant/perdant. Ce mode de négociations est souvent le recours de ceux qui estiment ne pas devoir apporter de contribution (compétitive ou coopérative), mais veulent tout recevoir.
C’est la pire des trois méthodes possibles de négociations. Elle consiste à estimer que les concessions ne concernent qu'une partie : l’adverse. Cette méthode dite « instinctive » repose sur le principe gagnant/perdant et conduit fréquemment à perdant/perdant.
Une approche construite sur la surévaluation de soi et la sous-évaluation de l'autre qui conduit à un écart absurde, dans l'interprétation des comportements de négociation. Une même attitude sera perçue de manière radicalement opposée, selon que l'autre ou moi l’adopte.
Cette forme de négociation se compare à ce style de conduite automobile où chacun est prompt à insulter (au moins intérieurement) le conducteur voisin, mais tout aussi prompt à trouver toutes les bonnes raisons de s'absoudre lui-même. C'est ce qu'on décrit comme une combinaison de biais accusatoires de l'autre et de biais excusatoires de soi.
Si je ne cède pas, c'est que je suis ferme ; si l'autre ne cède pas, c'est qu'il est têtu et ainsi de suite : Je suis ferme, il est têtu ; je suis précis, il coupe les cheveux en quatre ;
je suis intuitif, il est inconscient ; je suis clair, il est dissimulateur ; je suis juste, il est revanchard ; je suis prudent, il est procédurier ; je suis malin, il est manipulateur ; je suis conciliant, il est hypocrite ; je suis pragmatique, il n'est pas fiable ; je fais tous les efforts, lui n'en consent aucun ; mes intentions sont bonnes, les siennes sont inavouables ; si ma proposition n'est pas acceptée par l'autre, c'est parce qu’il ne la comprend pas ;
si je n'accepte pas la sienne, c'est qu’elle est mauvaise ; si je m'énerve, c'est parce que l'autre a dépassé les bornes ; si l'autre s'énerve, c'est parce qu’il a perdu ses moyens. Bref c'est la pire manière d'aborder les négociations. Les tenants de cette thèse attendent généralement tout de l'autre partie et ne sont prêts à ne lui céder aucune concession.
C’est une perception biaisée de la réalité, spontanément favorable à soi et volontiers défavorable à l'autre. Elle conduit à l'échec assuré des négociations, dès même le stade préliminaire.
En revanche, toute négociation gagnerait à choisir, en fonction des cas, l'une des deux autres approches interactives suivantes. Fondée sur des concessions mutuelles, la méthode donnant/donnant ou « give and take » consiste à abdiquer une partie de sa volonté au profit de l'autre.
C’est une approche à prédominance compétitive (négociation par position), cherchant à établir et à défendre une position, en vue de réaliser des gains, suite aux concessions de l'autre partie. La négociation consiste ainsi à des échanges, de façon à céder, à mon adversaire, sur des solutions qui me laissent assez indifférent et l'avantagent en forte proportion, pour autant qu'il cède sur ce qui m'est prioritaire et l'indiffère en termes relatifs.
La dernière méthode – gagnant/gagnant – est à prédominance coopérative. C’est une négociation raisonnée fondée sur la prise en compte des intérêts des différentes parties.
C’est une démarche qui permet, par la production de valeur, de se rapprocher d'une situation où les deux parties optimisent leur satisfaction autant que possible. Elle consiste à optimiser, de manière décisive, pour l'un sans mettre l'autre en difficulté, et à combiner, immédiatement, une solution qui nous coûte peu mais apporte beaucoup à l'autre, avec une autre solution qui coûte peu à l'autre mais nous rapporte beaucoup.
Ces combinaisons et ces échanges fondent la négociation en tant que mécanisme de production et non pas seulement de partage de valeur ». Source : CRIDEM