La situation sécuritaire au Burkina Faso, et chez ses voisins, ne cesse de se dégrader. Les attaques terroristes s’amplifient et la rue est de plus en plus exigeante et nerveuse. En face, le chef de l’Etat vient de procéder à un remaniement ministériel. Messieurs Moumina Chériff Sy et Ousséni Compaoré, respectivement ministre de la Défense et ministre de la Sécurité intérieure, sont remerciés.
Leur limogeage ne constitue pas vraiment une surprise, surtout en ce qui concerne Chérif Sy. Outre ses résultats dans la lutte contre les groupes armés terroristes, en deçà des attentes, le désormais ex ministre de la défense s’était fait remarquer également par une sortie médiatique peu diplomatique, dans laquelle il a mis en cause l’intervention militaire française au Sahel. Il s’était étonné « que les Français n’aient pas été capables d’éradiquer ces bandes terroristes. (…) Le veulent-ils vraiment, ou ont-ils un autre agenda ? » S’interrogeait-il en 2019.
(Voir : « Les défis géopolitiques sahéliens, de graves enjeux stratégiques détournés par Macron »).
Un chef suprême des forces armées sans fusible de sécurité !
Pour le remplacer, le président de la République a tout simplement fait appel à lui-même : Roch Kaboré s’est octroyé le portefeuille de la Défense. Une décision politiquement osée. Elle le met directement en première ligne sur le champ des batailles contre le terrorisme. Il s’est toutefois fait aider par un colonel-major, Aimé Barthélémy Simporé. Celui-ci fait son entrée dans le gouvernement en tant que Ministre délégué auprès du président de la République chargé de la Défense nationale et des anciens combattants.
Même si dans les faits, ce sera pratiquement ce dernier qui dirigera les forces de défense et pilotera les dossiers militaires et opérationnels, il est très probable que le regard de l’opinion publique restera braqué sur Roch Kaboré. Ses concitoyens, de plus en exigeants en matière de sécurité, ne lui feront pas de cadeau.
Le colonel-major Aimé Barthélémy Simporé aura-t-il les ressources pour protéger le Chef Suprême des forces armées, désormais leur ministre également ? Le doute est permis.
En s'octroyant le portefeuille de la défense, le président de la République se met au-devant de la scène. Il prend un risque politique important en se privant de fusible de sécurité dans un domaine hautement sensible.
Rappelons que depuis quelques semaines, les manifestants réclament haut et fort la démission de l’ancien ministre de la Défense. Ils viennent d’obtenir gain de cause : le fusible a sauté. Désormais, c’est vers Roch Kaboré qu’ils adresseront leur colère. Alors que ses remparts de protection sont fragilisés, le chef de l’exécutif semble puiser dans ses dernières réserves.
Paradoxe : des MGTA qui se renforcent tout en s'entretuant !
D’un autre côté, le contexte régional et mondial, géopolitique et stratégique, se complique gravement. Avec les « transitions » au Tchad et au Mali, la réduction, de moitié au minimum, de l’effort militaire français, annoncée récemment par Macron, et avec le retrait des Américains et leurs alliés occidentaux de l’Afghanistan, les mouvements et groupes armés terroristes (MGTA) se renforcent dangereusement, multiplient leurs opérations armées et gagnent du terrain, tout en se s'entretuant. Leurs guerres intestines n’affectent en rien leur croissance, qualitative comme quantitative. Bien au contraire ! Les conflits et rivalités internes, de plus en plus fréquents et violents, entre d’un côté le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) et l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) de l’autre, et au sein de Boko Haram, constituent paradoxalement un témoin des progrès réalisés par ces groupes. Ils auraient atteint un niveau de force qui empêche leur coexistence pacifique dans un même espace. Et pour « marquer leur territoire », ils rivalisent d’actions violentes, non seulement les uns contre les autres, mais aussi et surtout contre les populations et les Etats de la région.
Conséquences : pas mal d’incertitudes en perspectives qui risquent d’avoir des incidences préoccupantes au Burkina et dans la région. Le G5 Sahel devrait prendre les dispositions nécessaires pour faire face à la situation sécuritaire inquiétante qui se développe dans son espace, à défaut de s’en prémunir.
Le remaniement ministériel effectué par le président Roch Kaboré saura-t-il absorber les chocs et conséquences inattendus qui en résulteraient ? L’organisation du G5-Sahel est-t-elle à l’abri, elle aussi, des soubresauts à craindre, politique et sécuritaire ?
Il est difficile de répondre, mais l’espoir est toujours permis. Ne nous en privons pas, pourvue que nos décideurs, leaders et relais d’opinion œuvrent efficacement pour l’entretenir.
Colonel (e/r) El Boukhary Mohamed Mouemel
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