Lutte contre le terrorisme et succès de la Mauritanie: le ministre mauritanien de la défense répond au journal sénégalais Le Soleil

 "La République islamique de Mauritanie est considérée aujourd'hui comme la locomotive sécuritaire du Sahel. Le pays est relativement stable et la politique de sécurité porte ses fruits. Militaire de carrière, le ministre de la Défense mauritanien qui est au fait de la problématique du terrorisme, aborde dans cet entretien, la situation sécuritaire au Sahel, la stratégie de son pays pour lutter contre ce fléau et la nécessité d’accompagner cette dernière avec des actions de développement. Il évoque aussi la présence des forces françaises dans la sous-région.

Quelle est la situation sécuritaire dans les pays du G5 Sahel ?

Je voudrais tout d’abord vous remercier ainsi que l’ensemble de la rédaction de votre journal de grande renommée pour l’intérêt que vous portez à la Mauritanie. Comme vous le savez, le Sahel est confronté depuis quelques années à une insécurité persistante dont le terrorisme constitue la manifestation la plus saillante. Cette instabilité chronique s’explique essentiellement par la conjonction de trois facteurs de vulnérabilité plus ou moins interdépendants : une faiblesse structurelle des institutions étatiques ; des déficits capacitaires en matière de défense et de sécurité ; une raréfaction des ressources accentuée par les dérèglements climatiques. Ainsi, les difficultés qu’éprouvent certains États à assurer les besoins sociaux de base des couches démunies des populations et l’insécurité sur l’ensemble de leurs territoires ont favorisé l’essor de multiples formes de banditisme transfrontalier et, à partir des années 2000, l’avènement du terrorisme. À cela, s’ajoutent les défis démographiques et l’absence de perspectives pour de nombreux jeunes qui représentent plus de 60% de la population et que la précarité expose à des alternatives tragiques : s’embrigader au sein des groupes armés terroristes ou grossir les rangs des candidats à l’émigration clandestine.

Quel est le bilan du G5 Sahel ?

 Contrairement aux informations véhiculées par une certaine presse, le bilan du G5 Sahel est globalement positif. Nos pays ont pu mobiliser la Communauté internationale et bénéficier de son soutien. Sur le plan sécuritaire notamment, la Force conjointe est devenue plus opérationnelle et fait du bon travail sur le terrain. Les forces de défense et de sécurité nationales obtiennent de meilleurs résultats avec le concours des forces partenaires. Mais, nous sommes conscients que la seule force armée ne suffit pas au regard des multiples défis auxquels nous faisons face. Nos pays ont besoin de développement et pour cela, l’aide internationale est indispensable. A cet égard, je salue le soutien des institutions internationales et régionales telles que l’Union africaine, l’Union européenne et les Nations Unies, et, également, l’appui de nos partenaires bilatéraux occidentaux (États-Unis, France, Allemagne, Espagne etc.) et asiatiques (Arabie Saoudite, Émirats Arabe Unis, Chine, Turquie etc.). L’État doit être en mesure de garantir l’accès aux services sociaux de base tels que l’éducation, la santé, les infrastructures, la justice, l’eau, etc., dans les zones les plus reculées pour ne pas laisser le champ libre aux terroristes. Il me semble aussi important de renforcer la confiance entre les forces de défense et de sécurité et les populations surtout dans un contexte asymétrique marqué par des tensions intercommunautaires. Mais, force est de constater qu’à ce jour le volet développement n’a pas encore connu les avancées escomptées.

Votre pays a été l’un des premiers à être frappé par le terrorisme. Aujourd’hui, il semble être le moins touché. Y auraitil une recette mauritanienne ?

En effet, la Mauritanie a connu la première attaque terroriste d’envergure en 2005 contre une garnison militaire isolée. Puis, les activités terroristes se sont étendues jusqu’à toucher Nouakchott. Pour lutter efficacement contre ce nouveau fléau, la Mauritanie a adopté une approche multidimensionnelle visant à s’attaquer à tous les ferments qui favorisent l’encrage du terrorisme. Il a d’abord été procédé à une lecture analytique de l’environnement pour définir la typologie du terrorisme sahélien et ses causes profondes. Ensuite, un ensemble de mesures multisectorielles a été identifié et mis en œuvre pour juguler durablement la menace. Des efforts conséquents ont été consentis pour la modernisation et la professionnalisation de notre outil de défense. Les zones éloignées des centres urbains ont bénéficié de projets d’infrastructures sociales, économiques, éducatives, sanitaires, etc. Sur le plan pénal, un arsenal juridique renforcé sur les délits de terrorisme a été adopté. Par ailleurs, d’autres actions ont été entreprises pour tarir les filières de recrutement et les sources de financement du terrorisme. C’est ainsi que des campagnes de sensibilisation, conduites par des savants et leaders religieux de renom, ont permis, par l’exégèse des textes sacrés, d’expliquer le sens et la portée du message de tolérance de l’Islam et ainsi déconstruire les discours radicaux et extrémistes. Cette bonne parole portée jusque dans les prisons a amené un nombre important de combattants terroristes à se repentir et à bénéficier de programmes d’aide à la réinsertion. Il est à souligner que parmi ces repentis, pas plus de deux ne sont retournés chez les terroristes.

 Ce modèle, qui connaît un succès, a-t-il été adopté par les autres pays du G5 Sahel ?

La Mauritanie est toujours disposée à partager son expérience dans la lutte contre le terrorisme et beaucoup de nos amis et partenaires nous font part de leur intérêt. Mais il faut reconnaître que chaque pays a ses spécificités et doit adopter la meilleure stratégie qui convienne à son environnement politique, géographique et humain pour endiguer le terrorisme.

 L’utilité des forces françaises au Sahel dans la lutte contre le terrorisme est remise en cause. Ce débat a-t-il sa raison d’être ?

 La force Barkhane joue un rôle important dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Mais, elle n’a pas vocation à se substituer aux armées du G5 Sahel ni à la Force Conjointe. En plus de son engagement propre sur le terrain, elle apporte à celles-ci un appui important en matière de conseil, de partage de renseignement, de soutien aérien (transport, reconnaissance, appui feu, évacuation sanitaire, etc.). Je pense que les critiques contre les interventions militaires en général relèvent du fait que la crise sahélienne est assez souvent perçue uniquement à travers le prisme militaire. Or, et j’insiste là-dessus, aucun engagement militaire, aussi robuste soit-il, ne suffirait à lui seul à venir à bout de l’instabilité multidimensionnelle du Sahel, si les autres instruments politiques, judiciaires, sociaux et de développement ne bénéficient pas d’efforts comparables.

Quelle est la nature de la coopération militaire entre la Mauritanie et le Sénégal ?

Le Sénégal est un pays frère et voisin avec lequel nous avons beaucoup de choses en partage. Sur le plan militaire, notre coopération est excellente notamment dans les domaines des échanges au niveau des frontières et de la formation des cadres. Il y a des rencontres périodiques entre les chefs militaires des deux pays à Rosso et à Saint-Louis. Des patrouilles mixtes sont menées régulièrement le long des frontières permettant de régler des problèmes des citoyens des deux rives. Des militaires mauritaniens effectuent des stages dans les écoles militaires sénégalaises et cette année, un officier sénégalais effectue son cours d’état-major en Mauritanie. Le collège de défense du G5 Sahel, établi à Nouakchott, est prêt à accueillir des stagiaires sénégalais dès l’année prochaine. Par ailleurs, la dernière visite que le Président Macky Sall a effectué à Nouakchott (ndlr : février 2020) à l’invitation de son frère, le Président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, a été l’occasion pour mon homologue sénégalais et moi-même de signer un protocole d’accord portant sur la surveillance maritime.

 L’élection du Président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani consacre la deuxième alternance par les urnes en Mauritanie. Est-ce à dire que votre pays a tourné définitivement le dos aux coups d’État ?

 Je le pense sincèrement. Le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani est en train d’asseoir les véritables fondements d’un État de droit moderne avec une réelle séparation des pouvoirs. Souvent, les coups d’État résultent du fait que les institutions ne sont pas solides et ne fonctionnent pas pleinement. En prenant l’exemple récent des États-Unis, c’est la solidité des institutions qui a sauvé la démocratie menacée jusque dans ses fondements. Et c’est ce sur quoi, le Président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani œuvre pour qu’un retour en arrière ne soit plus possible.

Entretien réalisé par E. I. THIAM, Mamadou GUÈYE (texte), Moussa SOW (photos)"

Source : Le soleil.

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