Tourisme durable en Mauritanie : Pierre Rabhi explique son projet de « village modèle ».

Point- Afrique Voyage- Je réfléchis depuis quelque temps à l’idée d’un village modèle, une sorte de prototype avec l’objectif qu’il puisse devenir inspirant pour toute communauté et ainsi se multiplier au bénéfice de la société au sens large. 

Il m’est venu en mémoire une lecture que j’avais faite il y a quelques années. Elle avait trait à la problématique concernant la densité idéale et bénéfique d’une collectivité humaine. La question était évoquée par un ancien philosophe chinois et a fait également l’objet d’une sérieuse discussion entre deux pèlerins grecs en marche vers Delphes, cet échange, si j’ai bonne mémoire a été rapportée par Platon. Aux vues des échecs à répétition de la convivialité et des dissensions qui donnent à la laideur de la violence et du perfectionnement des armes pour la servir, on peut légitimement au moins se poser la question sur les causes de ce phénomène. Il semble que les humains dans leur spécificité originelle aient eu naturellement le sens de l’optimum, chaque fois qu’il s’est agi de constituer une communauté de vie, outre l’ajustement aux ressources disponibles pour la survie. L’un des critères évoqué comme référence importante concernait l’anonymat que produit le surnombre. Il suffit d’observer le climat social généré par les villes pour le vérifier. Le grouillement, au lieu d’éradiquer la solitude, ne fait que l’aggraver et l’anxiété étend son empire. C’est d’ailleurs ce désert humain qui m’a inspiré les « Oasis en tous lieux ». L’anonymat créé également les conditions idéales de la délinquance. Cela nécessite et justifie le gendarme comme préposé au maintien de l’ordre et du civisme. Nous passons de l’autorégulation naturelle avec un arbitrage d’une autorité souvent spirituelle, selon les traditions, à un système corseté et justifiant des lois répressives, qui prend en charge les préjudices causés à autrui, bien que le préjudice puisse être provoqué par l’insulte ou autre expression verbale etc… Il semble que ces paramètres doivent vraiment être pris comme des facteurs très importants pour la réussite de toute tentative communautaire. L’avènement de Mai 68 avait provoqué sur la base de la remise en question de la société de consommation de nombreuses tentatives de vies communautaires. Certaines se sont organisées sous l’obédience de tel ou tel philosophe révolutionnaire, comme des saints laïques avec pour certains des préceptes, des dogmes et des credo athées. Cette petite évocation est encore une fois pour mettre en évidence le tort que représentent ces paramètres non tangibles dans ce type de tentatives.

Pour enfin entrer dans la matérialisation des idées, la proposition tangible de village écologique intégral pourrait être appliquée à des villages déjà existants, nombreux dans les pays du sud ou à des villages à réaliser entièrement. Mon engagement en Afrique depuis plusieurs années n’a pas toujours été facile, loin s’en faut, mais il en résulte une solide expérience. Il s’agissait faut-il le répéter de la propagation de l’agroécologie comme méthode culturale adaptée à la condition des paysans. Les structures villageoises collectives telles qu’elles existent me semblent plus propices à des innovations comme villages écologiques modèles.

 

 

LE PROJET MAADEN EL-ERVANE

1. Il faut exposer clairement aux villageois ce que sous-entend le village écologie intégrale et obtenir leur consentement (ou le refus)

2. Il est important d’expliquer qu’il s’agit d’une prestation à leur bénéfice mais compte tenu de la précarité, ces prestations seraient raisonnablement rémunérées. L’énergie humaine souvent abondante et inutilisée pourra ainsi être valorisée à des fins de réelle amélioration de la condition des communautés.

3. L’approche écologique globale se décline sur plusieurs initiatives :

·         Education des enfants à l’écologie / jardins scolaires / découverte du milieu

·         Production alimentaire agroécologique avec fertilisation organique, traitements naturels contre les maladies

·         Utilisation rationnelle de l’eau avec les techniques de travail d’irrigation, de couverture des sols, d’ombrage

·         Utilisation et réhabilitation des semences traditionnelles et leur reproduction / propagation pour éviter le péril OGM

·         Modération de la densité des troupeaux et animaux avec une gestion maitrisée sans nuisance pour l’environnement végétal

·         Reboisement des surfaces dénudées dans le pourtour du village avec le choix d’espèces d’arbres les mieux adaptées aux conditions du milieu (bois de chauffe/bois d’œuvre etc…) Les arbres fertilitaires prônés par P. Gevaert et son ONG l’APAF trouve leur place et leur pertinence.

·         Lutte contre l’érosion des sols avec des méthodes qui ont fait leurs preuves comme nous l’avons-nous-mêmes expérimentés et relaté dans « L’Offrande au crépuscule », Prix des Sciences Sociales Agricoles du Ministère de l’Agriculture – 1989.

·         Aménagements anti-érosifs qui ont pour effet très positif, la recharge des nappes phréatiques pour une infiltration optimale des eaux pluviales et donc d’entretenir ou d’augmenter la quantité de l’eau nécessaire à l’utilisation quotidienne des communautés ;

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Bien d’autres moyens sont possibles que nous n’avons pas évoqué sur ce document. Un espace d’innovation doit rester ouvert à l’imaginaire créatif des communautés. La soi-disant pauvreté de l’Afrique est désormais bien enkystée dans les esprits et l’en déloger est devenu une prouesse. Une sorte de discrétion internationale sur les incompétences, la malhonnêteté et l’égoïsme de certains états empêchent l’évolution positive. Une satisfaction partagée continue d’être un vœu pieu en dépit d’une possibilité réelle de l’instaurer. De nombreuses populations souffrent des exactions dont l’ampleur révèle les turpitudes qui s’exercent au sein des phalanstères secrets des confréries et connivences animées par la malhonnêteté universelle.

Notre ambition avec des villages écologiques autonomes est qu’ils puissent devenir inspirants. Avec le projet des Oasis en tous lieux, les Colibris, les Femmes semencières, le réseau des Agroécologistes Sans Frontières, Terre & Humanisme, les Amanins, nous avons, en dépit des carences inhérentes à toute créativité, tenté objectivement des solutions dont nous constatons la pertinence dans le contexte du grand désarroi actuel. Nul doute que ces villages que nous désirons matérialiser deviennent inspirants pour un changement que la conjoncture imposera sans aucun doute. Il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu disait Victor Hugo. Nous avons cependant la naïveté ou la lucidité de croire que sans changement positif des êtres humains nous continuerons à entretenir une illusion qui perdure depuis des millénaires. Le facteur humain est, en toute initiative, le plus déterminant.

Pierre Rabhi
Montchamp, septembre 2017

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