Témoignages historiques et mémoires autobiographiques, écrits par des acteurs de la scène politique nationale et de l’action publique en général, se multiplient et apportent souvent des informations inattendues. On assiste, en effet, de plus en plus fréquemment à des révélations saisissantes émanant d'anciens hauts cadres de l’administration et de responsables politiques. Leurs langues se délient et les secrets professionnels qu’ils détiennent en prennent des coups.
Chacun garde ou divulgue "son" secret…
A l’époque des faits qu’ils relatent aujourd’hui, il était hors de question pour eux d’en parler. Car, à en juger par leur teneur, ce sont des informations sensibles, normalement classées « très secret », « secret défense », « secret », « confidentiel », « diffusion restreinte », etc. Sous d'autres cieux, les révéler, ou divulguer leur contenu, suppose leur déclassification préalable.
En l’absence, chez-nous, de textes définissant clairement les modalités dans ce domaine, l’auteur se trouve sans repères normatifs, livré à lui-même. Son seul paramètre d’arbitrage et de décision reste son appréciation personnelle de la gravité de l’information et de l’opportunité ou non de la partager.
Or, les risques liés à la divulgation des secrets diminuent avec le temps et avec l’évolution des contextes. En France, cette période est de 50 ans pour le "secret défense", un demi-siècle !. Elle vairie selon les autres catégories de classification.
En Mauritanie, en revanche, il n’y a aucune indication à ce sujet, à notre connaissance. Par conséquent, chaque responsable ou ancien responsable estime et décide de la marge sécuritaire nécessaire en termes de temps pour garder « son » secret professionnel, s’appropriant ainsi la question.
Toutefois, il ne s’agit pas de secrets personnels ; mais plutôt d'informations sensibles qui concernent la sécurité collective, le fonctionnement d’une société, d’un pays, de ses institutions. Le devoir de les protéger incombe à l’Etat qui ne doit pas s’en dessaisir pour les laisser à la merci d'appréciations individuelles.
Déclassifier au pif !
Or, il faut reconnaitre que nous avons de sérieuses lacunes dans ce domaine. Mon parcours professionnel n’en a pas été exempt.
Exemple. A la fin des années « 90 » du siècle passé, et au début des années « 2000 », je fus associé de par mes fonctions à l’époque au travail d’un groupe d’officiers chargé de rédiger un document sur l’histoire militaire du pays. C’était en réponse à une requête qui nous a été adressée par l’organe de la Ligue arabe en charge des questions militaires. Naturellement, les officiers devaient fouiller dans les archives militaires dont une bonne partie était détenue par une Section du Bureau au sein duquel j’exerçais des responsabilités relativement importantes. Comme les documents sont généralement marqués de sceaux de confidentialité avec des degrés variables d'importance, y accéder et les diffuser devaient être régis par des règles claires.
Seulement, le vide juridique en la matière sautait aux yeux. Et il fallait ''composer avec'', et mener la mission sans trop se poser de questions. Autrement dit: pour contourner la difficulté, chaque intervenant mettra en œuvre son propre ''pifomètre'', selon son "flair", et suivant le niveau de responsabilité qui était le sien.
Des solutions…
Presuadé que l’armée est l’exemple en matière de normes de secret et de confidentialité, je crains que les autres administrations publiques manquent plus gravement de systèmes de références dans ce domaine.
Pour y remédier, une réflexion globale, impliquant les ministères de souveraineté- (Justice, Défense, Intérieur, Affaires étrangères), nous semble nécessaire à entreprendre en vue de mettre au point des normes qui encadrent les informations et documents qui ont des caractères de confidentialité. Elle aura à fixer une échelle dans ce sens, une hiérarchisation du secret; à définir le contenu à donner à chaque niveau; et à préciser les sanctions disciplinaires et pénales à infliger aux contrevenants.
Egalement, y figureront les modalités de déclassification et de déclassement. Il s’agit ici de définir comment lever un secret et comment changer son niveau hiérarchique.
Des normes, nationales et sectorielles, juridiques et réglementaires, doivent être définies et appliquées pour encadrer tous ces aspects.
Bien entendu, le système de référence établi s’applique aux documents. Mais par extrapolation, il servira de repères aux fonctionnaires et agents de l’Etat. Il les éclairera et guidera leur comportement en matière de diffusion et de traitement d’information classée ou susceptible d’être classée secrète.
El Boukhary Mohamed Mouemel
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