Le président mauritanien a-t-il l’intention de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir comme le craignent l’opposition et l’ancien chef de l’Etat Ely Ould Mohamed Vall, qui était sur nos antennes la semaine dernière ? Le pouvoir a-t-il la volonté de dialoguer avec l’opposition comme il le dit ? Les autorités sont-elles inquiètes de l’enquête lancée par la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme de la bourse américaine ? Cette enquête viserait certains proches du président Mohamed Ould Abdel Aziz et le groupe canadien Kinross, qui exploite une mine d’or dans le pays ?Ahmed Ould Bah, ambassadeur de Mauritanie auprès de l’Unesco, se fait le porte-parole du pouvoir et répond à toutes ces questions, au micro de Marie-Pierre Olphand.
Monsieur l’ambassadeur, le pouvoir a annoncé que le processus de dialogue politique devait reprendre dans les prochains jours. N’est-ce pas mal parti, sachant que ce dialogue a été préparé en septembre par des rencontres auxquelles l’opposition n’a pas participé ?
Ahmed Ould Bah : Je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est mal parti. D’autant plus que le gouvernement a toujours manifesté la politique de la main tendue en termes de dialogue. Qu’une partie de l’opposition ait boudé les préparatifs du dialogue n’augure pas de la position définitive qu’elle peut avoir en ce qui concerne le dialogue. Mais d’ores et déjà, le dialogue a été entamé dans un large consensus.
Un consensus au sein de la majorité présidentielle ?
Au sein d’autres partis qui n’appartiennent pas à la majorité présidentielle.
Sans les gros partis d’opposition ?
Sans certains partis de l’opposition. Que l’opposition vienne maintenant, qu’elle ne vienne pas tout de suite, nous resterons ouverts au dialogue.
Ahmed Ould Bah, sur nos antennes la semaine dernière, l’ancien président Ely Ould Mohamed Vall a dit craindre que la Constitution soit modifiée pour permettre au chef de l’Etat de se maintenir au pouvoir d’une manière ou d’une autre. Mohamed Ould Abdel Aziz quittera-t-il le pouvoir comme le prévoit la Constitution à la fin de son mandat, donc en 2019 ?
Vous savez que Monsieur Ely Ould Mohamed Vall a été plus de vingt ans durant directeur général de la Sûreté et qu’il a été l’un des fossoyeurs des libertés individuelles ? Et qu’il a essayé par tous les moyens de saborder la transition ? Non, c’est trop facile ! Ely Ould Mohamed Vall n’a pas de leçons de démocratie à donner. Pour revenir maintenant à votre question, je vous dis que la Constitution mauritanienne accepte deux mandats. On ne peut être réélu qu’une seule fois, un mandat de cinq ans ! Mohamed Ould Abdel Aziz, président de la République islamique de Mauritanie, ne triturera pas !
Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui le soupçonnent de vouloir donner tous les pouvoirs au Premier ministre et d’occuper ce poste-là comme l’a fait Vladimir Poutine ?
Ça n’existe que dans la tête de ceux qui en parlent. Ce sont des discussions de salon et de gens oisifs. Mohamed Ould Abdel Aziz respectera la Constitution mauritanienne !
Pensez-vous que ce qui s’est passé au Burkina Faso et au Burundi, même si c’était différent, doit servir de leçon aux chefs d’Etat ?
Leçon de quoi ? On ne peut pas généraliser. Restons dans le relativisme.
Ça n’interpelle pas le pouvoir ?
Ça interpelle au niveau des valeurs universelles, mais ne transposons pas des situations qui ne sont pas transposables.
Ahmed Ould Bah, l’opposition – et notamment l’ancien président Ould Mohamed Vall – accuse le pouvoir d’avoir pris en otage le pays, d’avoir notamment vendu des pans entiers de l’espace public. Pourquoi des écoles, des bouts de l’école de police, du stade olympique, ont-ils été vendus récemment pour en faire des boutiques des marchés ?
Qui prend en otage quoi ? Je ne vous apprends pas que le domaine de l’Etat est divisé en domaine public et en domaine privé ! Et que l’Etat est l’un des plus grands acteurs économiques ! L’important est de savoir si les procédures ont été respectées. Est-ce qu’il y a des gens qui ont été floués et qui n’ont pas pu participer à une vente aux enchères ? C’est ça l’important. Ces écoles-là sont des écoles enclavées.
Mais est-ce que des solutions de rechange ont été proposées aux parents d’élèves ?
Mais évidemment ! D’abord, elles ne sont pas très fréquentées. L’important est de savoir aussi combien d’écoles ont été construites en Mauritanie. Les écoles qui ont été construites sous ce pouvoir n’ont jamais été construites sous les pouvoirs précédents !
Si l’Etat vend des écoles, des parcelles de terrains publics, c’est que l’Etat a besoin d’argent aujourd’hui ?
Ce n’est pas qu’il ait besoin d’argent. Mais à quoi ça sert de garder dans le patrimoine de l’Etat des biens, immeubles ou meubles, qui ne lui apportent pas grand-chose et qui ne servent plus la destination ? Il y a une désaffectation de ces écoles.
Des proches du chef de l’Etat sont aujourd’hui dans le viseur de la SEC, le gendarme de la bourse américaine, qui enquête sur leurs relations avec la société Kinross, qui exploite la mine d’or de Tasiast et qui est aujourd’hui soupçonnée de corruption. Avez-vous été étonné par cette enquête lancée ?
Etonné ? Je ne pense pas qu’il y ait étonnement et je ne pense pas que ce sont des proches du chef de l’Etat. En Mauritanie, chacun est proche de chacun. Nous sommes tous liés. Et dire que ce sont des proches du chef de l’Etat, c’est très facile ! Je n’y crois pas. C’est un dossier que j’ignore totalement.
Vous voulez dire que c’est un dossier qui est vide, quand vous dites : « Je n’y crois pas » ?
Non. Je connais la nature que nous avons chez nous, de traiter les rumeurs et de grossir des faits de détails pour en faire des faits. On dit : « Le détail suit le principal. » Mais il n’y a pas de principal dans ce domaine-là. Je ne vois rien.
Ce n’est pas envisageable pour vous qu’il y ait eu corruption de personnalités mauritaniennes par cette société, Kinross ?
Je ne pense pas. Ça m’étonne. Je n’y crois pas.
L’enquête parlera.
Oui, comme vous le dites si bien, l’enquête parlera.
Ecouter la version audio de notre entretien avec M. Ahmed Ould Bah 18/10/2015 – par Marie-Pierre Olphand
Source : rfi.fr