«Le ton, le courage, la clarté du discours», le diplomate mauritanien Mohamed El hacen Ould Lebatt enchante.... (Dossier)

Il est vraiment rare qu’un haut responsable politique fasse l’objet d’éloges- qui frisent la dithyrambe- de la part  d’un chroniqueur indépendant et aussi critique que Jean-Baptiste Placca de RFI. Le diplomate mauritanien Mohamed El Hacen Ould Lebatt vient de réussir cette prouesse. C’était  en marge du Forum de la paix de Dakar 2019 qui s’est ténu dans la capitale sénégalaise récemment.

 Il faut dire qu’en termes de succès diplomatique, et en termes de communication parfaitement maîtrisée, Ould Lebatt n’est pas à son premier coup de maître. Ses médiations fructueuses, au Congo et au Soudan et leurs larges échos flatteurs, nous le rappellent.

El Boukhary Mohamed Mouemel

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Une question de responsabilité/ par : Jean-Baptiste Placca

« Dans la lutte contre le terrorisme comme dans tous les autres domaines, c’est avant tout aux Africains de prendre en charge les dossiers relatifs à l’Afrique, quitte à solliciter la collaboration de leurs amis et partenaires stratégiques », a déclaré Mohamed El Hacen Ould Lebatt au micro de Christophe Boisbouvier.

Alexis Guilleux : Mohamed El Hacen Ould Lebatt, Conseiller principal stratégique du Président de la Commission de l’Union Africaine, était, hier, l’invité Afrique de RFI. Et vous suggérez aux Etats africains de s’en saisir comme un document de travail, pour reprendre le contrôle de leur destin. Qu’est qui vous a tant plu dans cette interview, recueillie par Pierre Firtion, en marge du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique ?

"Le ton, le courage, la clarté du discours. Cette interview devrait, en effet, être réécoutée, sa retranscription lue et relue, et pas seulement par les dirigeants des pays frappés par ce terrorisme-là, par tous. Avant que cette calamité ne se répande sur la totalité du Golfe de Guinée. Les analyses, comme les propositions de l’ancien chef de la diplomatie mauritanienne peuvent être une source précieuse de réflexion, et même de solutions à ce fléau.

Les populations commençaient à désespérer sérieusement des dirigeants, trop préoccupés à ne pas déplaire… Parce que l’Afrique, même lorsqu’elle subit les conséquences des choix hasardeux de dirigeants occidentaux, doit quémander l’assistance, pour réparer le mal qui lui a été fait.

Certains faits devaient être soulignés, précisés ; ils l’ont été, sans ambigüité, grâce au franc-parler de El Hacen Ould Lebatt. Des rappels douloureux devaient être faits ; ils l’ont été, haut et clair."

Il n’empêche qu’au lendemain de chaque attaque djihadiste, les populations se réveillent dans la torpeur, les peuples se laissent de plus en plus gagner par la frayeur…

"Justement. Et certains en viennent même à se demander si l’existence même des nations qu’ils constituent n’est pas menacée. Dans un tel contexte, il arrive un moment où l’on ne peut plus faire semblant de se donner un peu de contenance avec quelques discours patriotiques, l’éloge de la bravoure et de la détermination de la vaillante armée nationale… Un moment où seul un discours de vérité peut permettre à tous de retrouver le chemin de l’honneur. Et cette vérité doit s’adresser à tous, y compris à ceux qui croient qu’ils doivent penser à la place des peuples concernés. C’est ce qu’a osé le diplomate mauritanien. Il s’adresse aussi bien à ceux qui agissent qu’à tous ceux qui s’agitent, convaincus d’aider l’Afrique à se sortir du guêpier du terrorisme djihadiste, mais qui ne se rendent pas toujours compte de la part de confusion qu’ils rajoutent parfois à une donne déjà complexe."

Avec, tout de même, la délicatesse du diplomate qu’il demeure…

"Il n’empêche. À mots à peine couverts, il supplie les « amis » de l’Afrique de cesser de multiplier les initiatives, pour les imposer aux peuples concernés. Ce qui manque, selon lui, c’est une vraie coordination de l’effort. « On ne travaille pas suffisamment ensemble. A l’échelle nationale, à l’échelle régionale et à l’échelle internationale », dit-il, avant de souligner qu’en dépit de la multiplicité des initiatives, l’engagement international en faveur des mécanismes nationaux et sous-régionaux de maintien de la paix et de lutte contre les nouvelles violences et contre le terrorisme reste déficitaire.

 Les populations, les acteurs de la société civile, les acteurs politiques, traditionnels, religieux, doivent être suffisamment informés, galvanisés pour les aider à s’orienter dans une direction de solidarité avec les efforts des Etats. Etats et sociétés doivent agir ensemble. États, sociétés civiles et communauté internationale doivent agir ensemble ». Que les dirigeants mettent véritablement en œuvre cette stratégie, et vous verrez que la lutte contre le terrorisme deviendra une affaire de tous et de chacun. Les djihadistes se sentiront alors à l’étroit."

Que penser de son appel à une structure intégrant tous les forums qui émergent ça et là.

"Justement, parce qu'il y en a trop. Et cette atomisation des initiatives joue contre une réelle solidarité. Mais, tous savent aussi que les organisateurs de ces rendez-vous périodiques sont jaloux de leurs aires de réflexion et, surtout, des financements que cela permet de glaner, ici et là, et que les bailleurs de fonds s’empressent d’ajouter sur l’addition de leurs aides en faveur des populations concernées. Ce que dit Mohamed El Hacen Ould Lebatt, c’est qu’une pléthore de ces cercles de réflexion aboutit à un émiettement contre-productif. Surtout lorsque ces initiatives proviennent de l’extérieur, de gens et d’institutions qui, trop souvent, pensent savoir ce qui est bon pour les populations, mieux que les Africains eux-mêmes."

Ceux qui financent pourraient avoir le sentiment qu’on leur dénie le droit à la parole…

"Peut-être. Mais, pour paraphraser Aimé Césaire dans sa fameuse lettre à Maurice Thorez, « les peuples africains sont riches d’énergie, de passion. Il ne leur manque ni vigueur, ni imagination. Mais toutes ces forces, cette énergie ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer "…

 

Source : RFI

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INVITÉ AFRIQUE. Mohamed El Hacen Ould Lebatt (UA): «L’Afrique doit appartenir aux Africains»/ Par Pierre Firtion

Mohamed El hacen Ould Lebatt, le conseiller stratégique du président de la Commission de l’union  africaine, est une voix qui porte sur le continent africain. Quel regard porte-t-il sur la situation au Sahel ? Qu’est ce qui ne fonctionne pas dans la réponse à la situation au Sahel ? qu’est ce qui ne fonctionne pas dans la réponse apportée au jihadisme ? L’union africaine est-elle suffisamment associée à la lutte contre le terrorisme ? RFI a rencontré l’ancien ministre des Affaires étrangères mauritanien à Dakar où il participait en début de semaine au Forum sur la paix et la sécurité en Afrique.

RFI : La situation au Sahel ne cesse de se dégrader alors que beaucoup d’actions sont entreprises pour tenter d’endiguer la menace jihadiste. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas selon vous ?

Mohamed El Lacen Ould Lebatt Je pense, ce n’est peut-être qu’un petit début de réponse, que ce qui manque c’est une vraie coordination de l’effort. On ne travaille pas suffisamment ensemble à l’échelle nationale, à l’échelle régionale et à l’échelle internationale. Ça, c’est un premier niveau de blocage. Deuxième facteur, c’est que l’engagement international en faveur des mécanismes nationaux et sous-régionaux de maintien de la paix et de lutte contre les nouvelles violences et contre le terrorisme, cet engagement reste déficitaire. Troisième niveau de blocage, il faut aussi que les populations, les acteurs civils de la société civile, les acteurs politiques, les acteurs traditionnels, les acteurs religieux soient suffisamment informés, galvanisés pour les aider à s’orienter dans une direction de solidarité avec les efforts des États. États et sociétés doivent agir ensemble. États, sociétés et communautés internationales doivent agir ensemble. C’est pourquoi j’ai appelé à la composition d’une structure intégrant tous les forums qui émergent çà et là. Nous, nous avons notre retraite pour la paix et la sécurité qui vient d’avoir lieu à Djibouti. À Paris, il vient de se tenir un autre forum. Ici, il y a ce forum. Tout cela, c’est beaucoup de diversité, c’est beaucoup, je ne dirai pas de désolidarité, mais c’est beaucoup d’atomisation. Il faut regrouper l’ensemble des éléments du puzzle de lutte contre le terrorisme, contre les nouvelles violences. Et puis, il y a la grande réforme. Celle de réformer le système onusien et en particulier le dispositif de maintien de la paix dans le monde. Ça, c’est une nécessité, mais ça dépasse l’Afrique.

Vous trouvez, au sein de l’Union africaine, que l’ONU ne vous écoute pas assez, ne prend pas assez en compte votre diagnostic de la situation ?

Non, je ne dis pas ça. Nous avons de très bons rapports, et ce n’est pas une expression diplomatique. Nous avons de très bons rapports à l’échelle du leadership, ce n’est pas ça. C’est que les procédures des Nations unies sont trop lentes. On ne marche pas au même rythme. Évidemment, ça n’exclut pas qu’ici ou là nous ayons quelques différences d’appréciation, de perception. Par exemple, il est clair aujourd’hui, ce n’est un secret pour personne, que nous ne sommes pas d’accord sur l’approche à suivre pour la situation de la crise libyenne. Nous sommes pour une centralité de l’Union africaine, de l’Afrique, dans ce dossier. Et cette centralité nous est contestée. Et vous savez par qui elle nous est contestée.

Par Ghassan Salamé ?

Non, non, je ne voudrais pas personnaliser. Ghassan Salamé est une personne particulièrement valeureuse. Non, je ne dis pas ça. Ce n’est pas une question de personne, c’est une question d’institution. C’est que l’approche des Nations unies n’est pas la nôtre.

Mais vous-même vous avez demandé qu’il y ait un émissaire conjoint des Nations unies et de l’Union africaine pour la Libye…

Pourquoi vous employez le passé composé ? Nous l’avons demandé, nous le demandons, nous le demanderons encore.

Ça vous a été refusé ?

Oui, mais combien de choses nous ont été refusé et nous nous sommes battus et nous avons fini par les obtenir ? On nous a refusé les indépendances dans les années 1950. Nous avons continué à lutter. On a mis en doute notre approche africaine pour la solution de la crise soudanaise. Nous y avons réalisé un succès éclatant et reconnu par tout le monde. Ce n’est pas parce qu’on nous refuse ici ou là la centralité de l’Union africaine dans un dossier que nous allons désarmer et baisser les bras. Il faut savoir qu’en Afrique la volonté est très forte à tous les niveaux pour assurer la centralité de l’Afrique dans le traitement des dossiers africains. Ceux qui s’y opposent finiront je l’espère par comprendre qu’ils sont dans le tort et qu’ils reviendront à la raison. Cette raison ne veut pas dire qu’il faut exclure qui que soit d’autre. Nous avons travaillé avec les Nations unies, avec l’Union européenne, avec les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité sur le Soudan. Ça a très bien marché. Nous l’avons fait en RCA, ça a très bien marché. Nous l’avons fait en RDC, ça a très bien marché. Affirmer la centralité de l’Union africaine dans un dossier africain ne veut pas dire que l’on va travailler en solo, mais il faut reconnaître à César ce qui appartient à César. L’Afrique doit appartenir aux Africains qui doivent travailler leurs dossiers avec leurs amis et partenaires stratégiques.

Concernant le Sahel, il y a ce partenariat pour la sécurité et la stabilité qui, visiblement, est une initiative franco-allemande, qui associerait à la fois des pays européens et des pays frontaliers au Sahel. Quel regard vous portez là-dessus ? Ce n’est pas une initiative africaine. Est-ce que vous êtes critique ? Est-ce que vous vous dites c’est une strate de plus ?

Certains me disent 13, d’autres me disent 15, cet après-midi j’ai entendu dire qu’ils sont 17. Permettez-moi de douter de l’efficacité de cette diversité de stratégie qui n’ont de stratégique souvent que le nom. L’Allemagne est un très grand pays, qui a de très bons rapports avec l’Afrique, qui prend des initiatives heureuses, comme la France, comme les États-Unis et évidemment comme la Chine et la Russie, mais vous permettez que j’émette des doutes sur toutes ces stratégies qui ne sont pas suffisamment associatives de l’Afrique et des États africains, et des mécanismes africains.

Source: RFI

 

 

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