Recueilli par Pierrick BAUDAIS.
Selon le sociologue Raphaël Liogier, les jeunes Français tentés par le djihad sont davantage attirés par l’aventure et les exploits guerriers que par l’islam.
Entretien
Selon vous, le fondamentalisme ne mène plus au terrorisme…
Dans les années 2000, on a vu un nouveau fondamentalisme musulman apparaître. Je l’ai étudié à travers la question du voile intégral. Les jeunes femmes qui le portaient avaient davantage un discours proche du new age : « Le voile et l’islam sont bons pour la santé ; la prière me fait du bien ; je veux être dans le rapport à l’autre… » Mais elles n’avaient aucun discours politique.
Pour Rachid Abou Houdeyfa, imam à Brest, surnommé l’imam YouTube, parce que chacune de ses vidéos est vue par des milliers d’internautes, c’est un peu pareil. Il dénonce la violence, a maintes fois condamné les attentats. Dans l’une de ses vidéos à succès, on le voit dans une baie ensoleillée, expliquer comment jouir de la baignade et s’épanouir dans l’islam.
Je ne dis pas que le salafisme c’est bien. Je dis qu’il y a eu un décrochage historique entre le fondamentalisme islamiste qui était politisé, organisé en réseaux, et ce nouveau fondamentalisme, proche du développement personnel.
Quel est le profil des jeunes attirés par le djihad ?
Il y a d’abord ceux qui se sentent existentiellement frustrés. Qui partent pour vivre une autre vie, l’aventure. Ils sont à la recherche du danger, d’un frisson exceptionnel. Ces jeunes peuvent être issus de milieux aisés ou sans difficultés sociales.
Mais entre vivre le grand frisson et commettre un attentat, il y a un gouffre…
Ceux-là sont socialement frustrés. Ils ont souvent un passé de délinquants. Ils ne parlent pas l’arabe et n’ont pas reçu d’éducation théologique. Ce ne sont pas des musulmans radicaux. Ils vont jouer aux fondamentalistes parce que cela fait partie de la panoplie du légionnaire de l’islam.
Comment Daech parvient à les séduire ?
La propagande de Daech n’est pas fondée sur l’idéologie religieuse, contrairement à celle d’Al Qaida. Elle s’adresse à ceux qui se sentent stigmatisés, qui éprouvent une haine contre la société qui semble les rejeter. Par étapes, Daech leur dit que leurs échecs sont dus à cette société. Eux, sont purs. Ils ont été choisis pour un destin plus grand. C’est de l’embrigadement. Pour ces jeunes, le jihad devient désirable.
Comment cette propagande peut-elle autant porter ?
Avec Internet, nous sommes plongés dans un grand bain informationnel. Un flux d’informations qui circulent tous azimuts et qui finissent par déterminer notre désir d’être. Une bombe qui explose à Gaza, va avoir un effet immédiat sur un jeune d’origine maghrebine à Lyon. Et peut-être que cela va changer son regard sur son voisin, un Juif séfarade qu’il va désormais regarder comme un sioniste.
Avec la Toile, les distances territorriales sont rompues. Un individu, au fin fond de l’Afrique, aura une fenêtre sur la vie d’un New Yorkais de la 5e avenue. Le Net crée un effet vitrine, mais peut aussi engendrer des frustrations. Au bout du compte, on assiste à une circulation globale des frustrations.
Il ne s’agit donc pas d’une guerre des civilisations, ni des religions ?
Absolument pas. Les tensions au sein-même de l’islam, entre sunnites et chiites, sont beaucoup plus violentes qu’entre chrétiens et musulmans. Autre exemple : les Iraniens furent les premiers à livrer des armes aux peshmergas qui se sont opposés au nettoyage ethnoreligieux des yazidis et des chrétiens.
Enfin, les pays musulmans recouvrent des réalités politiques différentes. L’indonésie, premier pays musulman du monde, ne reconnaît pas de statut constitutionnel à l’islam. Et la liberté d’expression n’y est pas bridée.
Quel autre discours proposer à ceux qui sont tentés par le djihadisme ?
Un discours décomplexé, qui n’est ni condescendant, ni guerrier comme le fait le Premier ministre Manuel Valls. Il faut s’intéresser aux désirs d’être des personnes, c’est-à-dire au désir de participer à une histoire collective dans laquelle chacun a sa place.
Ouest france
