Le G5 Sahel et la lutte antiterroriste: Son Expert Défense et Sécurité fait le point (interview)

Le Général Mohamed Znagui Ould Sid’Ahmed Ely, Expert Défense et Sécurité du G5 Sahel

La capitale mauritanienne Nouakchott a abrité, le 30 juin, un sommet de suivi de la feuille de route de Pau regroupant les pays du G5 Sahel, la France et d’autres partenaires étatiques et institutionnels de la Coalition pour le Sahel. Le Général Mohamed Znagui Ould Sid’Ahmed Ely, Expert Défense et Sécurité du G5 Sahel, analyse pour AFRIMAG, dans cet entretien, les résultats de ce sommet et les enjeux futurs de la lutte contre le terrorisme.

« Il s’agit de constater lors de ce sommet de l’intérêt porté par les partenaires à cette coalition et lancer un appel pour son élargissement »

AFRIMAG : Le G5 Sahel vient de tenir à Nouakchott l’une de ses rencontres qui est sans doute des plus réussies. Peut-on dire qu’il y aura un avant et un après le sommet de Nouakchott perçu comme un nouveau départ ?

 

Le Général Mohamed Znagui Ould Sid’Ahmed Ely : Permettez-moi d’abord de vous remercier pour m’avoir donné l’occasion d’éclairer l’opinion en levant un certain nombre d’équivoques :

Ce Sommet de Nouakchott n’est pas à proprement parler un Sommet du G5 Sahel. Il s’agit en réalité d’un sommet de suivi de la feuille de route de Pau.

Il faut se rappeler que le 13 janvier 2020 s’est tenue à Pau, en France, une réunion des chefs d’Etats du G5 Sahel et de la France et qu’il a été décidé de créer un cadre appelé : Coalition pour le Sahel regroupant les pays du G5 Sahel, les partenaires traditionnels et tous les Etats, organisations et bailleurs de fonds intéressés par la problématique du Sahel. Cette Coalition est ouverte et repose sur quatre piliers à savoir : la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des armées de la région, le retour des services régaliens de l’Etat dans les zones où ils n’y sont plus et enfin l’aide au développement. 

A cette fin, une feuille de route a été élaborée et les moyens de son suivi ont été déterminés parmi lesquels : un Sommet périodique des chefs d’Etats.

Il s’agissait donc pour ce Sommet, après 6 mois, de faire l’état des lieux, faire le constat de ce qui a été réalisé et donner les orientations pour la période à venir. Il s’agissait aussi de constater l’intérêt porté par les partenaires à cette coalition et lancer un appel pour son élargissement.

Le G5 Sahel en tant qu’organisation régionale est naturellement au centre de ce dispositif, mais conserve néanmoins sa propre personnalité, ses structures statutaires et ses objectifs stratégiques, tant au plan du développement qu’au plan de la sécurité.

On peut donc dire que ce sommet de Nouakchott est une continuation logique forte et appuyée, avec un avant fondateur et un après porteur de réalisations et d’espoirs pour la région du Sahel.

L’argent est le nerf de la guerre, et pourtant, le G5 Sahel ne parvient toujours pas à mobiliser les montants nécessaires à une bonne opérationnalité sur le terrain. Ne faudrait-il pas que ces pays s’adaptent à ce contexte de rareté des ressources et fassent eux-mêmes des efforts, comme ils le feraient pour leurs propres armées ?

Vous avez bien raison : «L’argent est le nerf de la guerre» ; mais il est aussi le nerf de la paix. Vous semblez parler uniquement de la force conjointe et vous oubliez le plan d’investissements prioritaires du G5 Sahel (PIP).

En ce qui concerne la Force conjointe (FC), nous avions demandé un financement initial de 420 millions d’euros pour les équipements et le lancement de la Force et 120 millions par an pour le fonctionnement et l’entretien. Les financements n’ont pas été au rendez-vous comme on le voulait. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu des financements ; il y’en a bien eu ! Et c’est le lieu de remercier particulièrement l’Union européenne, notre principal bailleur, et plusieurs autres, à des degrés divers.

Ces financements sont souvent fournis avec retard par rapport à l’urgence et à la nécessité d’obtenir des résultats sur le terrain ; ils sont obtenus avec des conditions d’emploi et des procédures qui en limitent l’efficacité.

Et pour répondre directement à votre question, je dirais que tout cela n’a pas empêché la Force conjointe d’être mise sur le terrain, et dans les délais prescrits, uniquement au début avec les moyens propres aux Etats en dépensant plus d’ailleurs que pour leurs propres armées nationales. A titre d’exemple, chacun des Etats a investi 10 millions d’euros pour le premier équipement de son contingent ; les militaires engagés au sein de la force conjointe sont payés et entretenus par leurs pays d’origine et coûtent plus chers que les militaires en opérations nationales.

Enfin, tout ceci pour vous dire que les Etats de la région ne sont pas restés l’arme au pied en attendant l’arrivée des financements et pour vous dire aussi que les financements arrivent particulièrement de l’Union européenne mais suivant des conditions et des procédures qui en limitent parfois l’efficacité sur le terrain.

Ne pas oublier surtout que le gros des financements a été demandé pour le plan d’investissements prioritaires lors de la table ronde des bailleurs à Nouakchott, en 2018, et que les promesses obtenues de 2 milliards d’euros étaient plus que satisfaisantes. Cependant, les aléas de la bureaucratie et de la diplomatie ont fait que nos populations sont toujours en attente de réalisations probantes et effectives sur le terrain. Il s’agit-là de l’aspect développement, sans lequel au Sahel, la lutte contre l’insécurité serait peine perdue.

Nous entendons souvent parler de «Guerre asymétrique». Pouvez-vous expliquer aux profanes ce que signifie ce concept et nous dire en quoi elle contrarie les opérations que mènent les armées régulières ?

Le concept de «Guerre asymétrique» est aussi ancien que la Guerre elle même ; il a déjà été analysé et développé par Sun Tzu dans «l’Art de la Guerre» au Vème Siècle avant JC.

Pour faire court et ne pas développer des théories complexes, il s’agit de la guerre du faible au fort contrairement à la guerre dissymétrique qui est la guerre du fort au faible ; à différencier aussi de la guerre classique entre deux Etats utilisant des armées et des moyens classiques.

Il s’agit en fait, de nos jours, de groupes politiques, religieux, terroristes ou simplement criminels menant une guerre contre des Etats, utilisant tous les moyens : destructions, prises d’otages, sabotages, propagande en vue d’infléchir, d’affaiblir ou détruire un système ou un ordre établi. Il y a souvent présence d’une victime collatérale innocente telle que les populations civiles, etc.

Nos armées sont équipées, entraînées pour combattre contre d’autres armées ; leur mission c’est de défendre l’intégrité du territoire contre toute agression extérieure.

Donc, elles n’ont pas vocation à combattre un ennemi dilué au sein de la population, agissant par petits groupes, utilisant des véhicules utilitaires ou de simples motocyclettes. Nos armées ont été engagées dans ce combat par nécessité et suivant l’urgence. «C’est comme si on vous donnait un gros marteau et vous demandait de tuer tous les moustiques se trouvant dans votre chambre, parfois dans l’obscurité ». Enfin, j’exagère, mais c’est une caricature.

L’approche intégrée dont a parlée le Président de la Commission africaine lors du Sommet de Nouakchott, peut-elle se faire en dehors du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ?

L’approche intégrée est la seule qui vaille ! Il s’agit de combattre l’insécurité, mais aussi de combattre ses causes : le sous-développement, la pauvreté, les inégalités, l’injustice et la mal-gouvernance.

Le Chapitre VII, quant à lui, et à ce que j’en sache, autorise et réglemente l’usage de la force pour le rétablissement et le maintien de la Paix. Il est important et demandé avec insistance pour la force conjointe du G5 Sahel en vue de donner une plus grande légitimité à son action et à lui garantir un financement pérenne ne serait-ce qu’en tant qu’obligation morale, au cas où elle ne serait pas juridique.

Vous avez dit une fois que «la menace se développe plus rapidement que les moyens». Quels moyens faut-il réellement pour mener une guerre à un ennemi dont les moyens sont pourtant classiques, ne disposant ni d’avions ni de chars ?

 

Cette question fait la synthèse de ce que nous disions plus haut. En effet, la menace se développe plus rapidement que les moyens.

Au niveau du G5 Sahel, nous avions développé une vision (pour ne pas continuer à utiliser le terme stratégie). Nous sommes conscients que la menace est intérieure, asymétrique, globalement localisée dans les zones transfrontalières.

C’est à partir de ce constat que nous avons engagé les forces armées dans l’urgence ; que nous avons constitué la force conjointe pour nettoyer et sécuriser les zones frontalières et y ramener les services de l’Etat. Parallèlement à cela, nous avons entrepris une montée en puissance des services de sécurité intérieure en vue de remplacer au fur et à mesure les forces de défense. Tout ce travail est accompagné d’actions de développement et de mise en confiance des populations.

Pour parvenir à des résultats dans le contexte que vous décrivez, l’arme principale demeure le renseignement ; et qui dit renseignement dit population. Il faut donc mettre les populations en confiance en les protégeant et en les fidélisant ; il faut bien sûr avoir des moyens aériens et électroniques performants (les plus coûteux ne sont généralement pas les plus adaptés à notre contexte).

Il faut avoir des moyens de combat adaptés : c’est-à-dire légers, rapides, autonomes et surtout des hommes déterminés et aguerris. Vous ne pouvez pas empêcher un tel ennemi de commettre des forfaits, mais vous pouvez lui imposer un taux de pertes insupportables pour son moral et pour ses effectifs.

Malheureusement au G5 Sahel, nous ne disposons pas de tous les leviers en particulier l’argent «le nerf de la guerre», et comme dit plus haut, les financements n’arrivent pas au rythme souhaité et dans la forme souhaitée.

Cela me ramène à vous dire que la menace s’est beaucoup développée : jadis concentrée au Nord du Mali, elle s’est élargie au centre, au Niger voisin, au Burkina Faso et menace désormais les pays de la côte Atlantique. Il est à craindre qu’une autoroute du crime ne soit établie entre le Golf de Guinée et la côte Sud de la Méditerranée en passant par la Libye.

A noter que les efforts actuellement déployés par la coalition pour le Sahel conjointement avec la Force conjointe dans la Zone des trois frontières ne manqueront pas d’infléchir la courbe des événements et de donner un coup d’arrêt à ce développement de la menace.

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