Le fait est sans précédent. C’est en effet la première fois que la plus haute autorité militaire de l’OTAN vient en visite de travail en Mauritanie et qu’elle parle en outre, longuement et en exclusivité, à un organe de presse privé mauritanien.
La chance a voulu que MAURIACTU.INFO (MAURITANIA AL MALOUMA) soit le site qui a eu le privilège d’interviewer cet après-midi le Général Petr Pavel, président du Comité militaire de l’Organisation de l’Alliance Nord Atlantique (OTAN) lors d’une visite officielle de trois jours que le responsable otanien effectue depuis hier en Mauritanie.
L’occasion était si rare, et les fonctions militaires de l’interlocuteur et son poids sur la scène mondiale, si importants, pour que d’importantes questions d’ordre géostratégique et sécuritaire fusent de toute part. Et le Général n’en a éludé aucune malgré la complexité et le caractère souvent sensible des thèmes abordés : l’intérêt que présente la Mauritanie pour l’OTAN, l’objet de la visite, ses mobiles et ses résultats ; la perception de l’OTAN des défis sécuritaires au Sahel et en Mauritanie, et ses réponses par rapport à ces défis et la lutte contre le terrorisme de façon particulière; l’intervention militaire désastreuse de l’OTAN en Libye, ses conséquences et les voies et moyens à mettre en œuvre pour réparer les dégâts ; la sécurité maritime, ses défis et l’apport de l’OTAN…
MAURIACTU.INFO : Merci mon Général d’avoir accepté de nous accorder ce temps en vue de nous éclairer et d'éclairer nos chers lecteurs, malgré votre emploi du temps très chargé. Les questions fusent de toute part eu égards au champ très large de vos champs d’activité et leur impact sur la sécurité à travers le monde. Mais, nous allons nous en tenir à quelques thèmes essentiels que nous inaugurons par l’objet de votre visite.
Nous croyons savoir que c’est votre première visite en Mauritanie, comme elle est la première visite pour un responsable militaire à ce niveau de l’OTAN. Pourquoi cette visite en Mauritanie, et qu’en attendez-vous ?
Général Petr Pavel : Il s’agit bien comme vous l’avez dit de ma première visite en Mauritanie, et c’est d’ailleurs la première fois qu’un président du Comité militaire de l’OTAN se rend en Mauritanie, comme vous l’avez remarqué également. Je suis ici à l’invitation de votre chef d’état-major de la défense (Chef d'Etat major général des armées, N.D.L.R). C’est une excellente occasion de connaître le point de vue de la Mauritanie sur les défis de sécurité régionaux, d’aborder le partenariat qui existe entre l’OTAN et la Mauritanie, de rencontrer de hauts responsables politiques et militaires et de parvenir à une meilleure compréhension mutuelle.
Ce voyage m’a permis d’être informé des travaux du G5 Sahel et de m’entretenir avec de hauts responsables. Les menaces et les défis de sécurité transnationaux ont de vastes répercussions à l’échelle mondiale – rien n’arrive de manière isolée. C’est pourquoi il est important que les pays, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales travaillent ensemble et réunissent les éléments sociaux, économiques et militaires pour trouver des solutions globales.
« l’OTAN a contribué au renforcement du système de formation militaire de la Mauritanie et à l’institutionnalisation des relations entre les établissements de formation de l’OTAN et l’École nationale d’état-major de la Mauritanie. »
Le partenariat entre l’OTAN et la Mauritanie remonte à 1995 et s’est développé au fil des ans. Grâce à son programme de renforcement de la formation « défense », l’OTAN a contribué au renforcement du système de formation militaire de la Mauritanie et à l’institutionnalisation des relations entre les établissements de formation de l’OTAN et l’École nationale d’état-major de la Mauritanie.
MAURIACTU.INFO : Et en plus du domaine de la formation ?
Général Petr Pavel : Un fonds d’affectation spéciale nous a permis de contribuer à la construction de deux dépôts de munitions sécurisés, de former des personnels des forces armées mauritaniennes et d’apporter notre aide à la destruction de munitions et d’armes légères et de petit calibre (ALPC) obsolètes, ainsi que de systèmes antiaériens portables (MANPADS).
Après le succès de la mise en œuvre du premier fonds d’affectation spéciale, un deuxième fonds d’affectation spéciale pour la Mauritanie – le « Mauritanie II » – a été créé lors d’une réunion officielle du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) tenue au niveau du Comité des partenariats et de la sécurité coopérative (PCSC) en mai 2015. Ce fonds a été mis en œuvre en mars 2016 et porte sur les domaines suivants :
a) construction d’autres dépôts de munitions sécurisés, de préférence au nord et à l’est du pays ;
b) poursuite et renforcement de la formation du personnel militaire dégagé des cadres ;
c) poursuite de la destruction de munitions obsolètes, notamment de MANPADS.
« Le Centre national de gestion de crise permet d’améliorer la protection civile, la veille opérationnelle et l’alerte précoce de la population en cas de menaces et de risques, et de renforcer l’état de préparation face aux crises affectant la sécurité nationale. »
L’an dernier, le programme pour la science au service de la paix et de la sécurité (SPS) de l’OTAN a permis de contribuer à la mise en œuvre de centres de gestion de crise à Nouakchott, et dans trois autres régions du pays. Le Centre national de gestion de crise permet d’améliorer la protection civile, la veille opérationnelle et l’alerte précoce de la population en cas de menaces et de risques, et de renforcer l’état de préparation face aux crises affectant la sécurité nationale.
Il aide également à réagir aux situations d’urgence en compilant et en analysant des informations provenant de sources diverses, en ayant recours à des technologies modernes et en procédant à des simulations.
MAURIACTU.INFO : Ces domaines d’action sont larges et complexes. Ils doivent être coûteux. Comment se fait le financement ?
Général Petr Pavel : Le Centre est financé au titre du programme SPS de l’OTAN, mais il a également reçu des contributions nationales substantielles de la part de la France et du Canada. Il illustre parfaitement la coopération pratique entre l’OTAN et la Mauritanie.
MAURIACTU.INFO : Les observateurs et stratégistes s’accordent à dire que la zone du Sahel est une région potentiellement porteuse de grands risques liés au phénomène du terrorisme et la criminalité transfrontalière sur laquelle il se nourrit : trafics illicites, migrations illégales… Quelle est la perception de l’OTAN des défis sécuritaires au Sahel et quelle est sa stratégie dans ce domaine ?
Général Petr Pavel : Nous avons connaissance de la situation de sécurité dans la région du Sahel et la suivons avec intérêt, mais l’OTAN ne joue pas à l’heure actuelle de rôle dans cette région.
Nous coopérons également très étroitement avec l’Algérie et le Maroc, qui, tout comme la Mauritanie, prennent part au Dialogue méditerranéen. Des pays membres de l’OTAN, comme la France, nous tiennent informés de la situation au Sahel et alentour et nous avons bien sûr un partenariat étroit avec l’Union européenne (UE).
Le terrorisme ne connaît ni limites géographiques ni religion. L’OTAN joue depuis plusieurs années un rôle clé dans la lutte contre le terrorisme. Un rôle qui s’est encore renforcé. La nouvelle stratégie des États-Unis pour l’Asie du Sud a marqué une étape importante de notre présence en Afghanistan, où l’OTAN a déployé des milliers de personnels de plus.
"La meilleure arme pour combattre le terrorisme est en effet la formation des forces locales."
Les pays de l’OTAN ont également intensifié leurs efforts en Iraq dans le cadre de la coalition mondiale contre Daech. Nous avons fait d’énormes progrès au cours de l’année écoulée". Daech perd du terrain.
Nous devons achever le travail entamé pour préserver les gains durement acquis. En juillet, l’OTAN lancera à cette fin une nouvelle mission de formation en Iraq. La meilleure arme pour combattre le terrorisme est en effet la formation des forces locales. Nous devons comprendre comment mieux projeter la stabilité autour de nous. Ce volet est essentiel pour la lutte contre le terrorisme et pour notre propre sécurité.
MAURIACTU.INFO : Pour beaucoup, notamment l’UA (Union Africaine) et la quasi-totalité des pays du Sahel l’intervention militaire en Libye en 2011, qui a engendré la mort de Kadafi dans des conditions troubles et la chute de son régime, a été une catastrophe pour la région en termes de sécurité. Quels enseignements à en tirer au niveau de l’OTAN ?
Général Petr Pavel : L’opération de l’OTAN en Libye reposait sur un mandat clair de l’ONU : protéger les civils contre les attaques du régime. Notre opération a également bénéficié du soutien du Conseil de coopération du Golfe et de la Ligue des États arabes. La protection des civils était au cœur de notre mission. Un mandat dont l’OTAN s’est acquitté.
« (…) au terme d’une opération militaire, il est important de veiller à la suite : désarmer les groupes paramilitaires et aider le pays à développer ses institutions de sécurité et de défense. »
La crise en Libye a montré que l’OTAN pouvait recourir efficacement à la force pour protéger les civils, comme elle l’avait fait dans les Balkans. Mais au terme d’une opération militaire, il est important de veiller à la suite : désarmer les groupes paramilitaires et aider le pays à développer ses institutions de sécurité et de défense. C’est un enseignement qui concerne toute la communauté internationale. L’autre enseignement clé à retenir est le caractère essentiel de la coopération transatlantique.
En ce qui concerne la situation actuelle en Libye, l’OTAN appuie sans réserve les efforts de l’ONU en vue d’une solution politique à la crise. Et nous sommes prêts à aider la Libye à mettre en place des institutions de sécurité efficaces. Notamment un ministère de la Défense moderne, un chef d’état-major de la défense et des services de renseignement et de sécurité efficaces, placés sous contrôle civil du gouvernement.
En étroite coordination avec l’UE et l’ONU, mais aussi par des efforts d’assistance bilatéraux, les experts de l’OTAN restent en contact avec les autorités libyennes pour déterminer la meilleure façon dont l’Alliance pourrait aider leur pays.
MAURIACTU.INFO : Revenons, si vous le voulez bien, mon Général, sur le rôle de l’OTAN dans le maintien de la paix au Sahel, car ce volet ne présente pas suffisamment de lisibilité. Pourriez-vous nous en dire plus. Plus précisément quel soutien apporte votre organisation au G5 Sahel et au pays dans lequel nous nous trouvons à cet instant et qui a été à l’origine de la création de cette organisation sous-régionale ? Je veux dire la Mauritanie dont la vision stratégique en matière de lutte contre le terrorisme est de surcroît citée en exemple dans la région et saluée par de nombreux observateurs en Occident et dans d’autres régions du monde ?
Général Petr Pavel : Il n’existe pas actuellement de coopération entre l’OTAN et le G5 Sahel. L’OTAN n’a aucun rôle et n’a pas reçu de mandat à ce titre. Nous sommes à l’écoute.
Mon entretien d’aujourd’hui avec de hauts responsables du G5 Sahel constitue la première réunion de l’OTAN avec les dirigeants de ce groupe. À mon retour à Bruxelles, nous examinerons plus amplement au niveau politique les principaux points de nos discussions.
Il est important d’éviter le double emploi. Nous préconisons le partage de l’information et une meilleure connaissance de l’évolution de la situation dans la région.
MAURIACTU.INFO : Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, mon Général, j’aimerais également revenir sur un sujet que vous avez déjà évoqué : la sécurité maritime. Pourriez-vous nous dire davantage sur la vision de l’OTAN par rapport à cette question et ses différents aspects (piraterie, trafics illicites, immigration...) et sur les domaines d’action à développer en partenariat avec les forces de défense et de sécurité mauritaniennes pour faire face à ces risques et menaces ?
Général Petr Pavel : (Le Général a répondu point par point- N.D.L.R.).
- Au sujet de la piraterie – L’OTAN a entre 2008 et 2016 contribué à dissuader et à déjouer des actes de piraterie, tout en protégeant les navires et en aidant à améliorer le niveau général de sécurité dans la région grâce à différentes opérations militaires. Avec l’opération Ocean Shield, l’Alliance a également élargi son approche de la lutte contre la piraterie en proposant, dans la limite de ses moyens et de ses capacités, aux États de la région qui en feraient la demande de les aider à développer leurs propres capacités de lutte contre la piraterie. En bref, le rôle de l’OTAN consiste à prévenir et à enrayer la piraterie en menant des actions directes contre les pirates, en escortant les navires et en assurant la dissuasion, tout en renforçant la coopération avec d’autres opérations de lutte contre la piraterie dans la région, le but étant d’optimiser les efforts et de faire face à l’évolution des tendances et des tactiques de piraterie.
- Aucune attaque n’ayant été menée avec succès depuis 2012, l’OTAN a mis fin à l’opération Ocean Shield le 15 décembre 2016. L’OTAN reste néanmoins engagée dans la lutte contre la piraterie en maintenant sa connaissance de la situation maritime et en continuant d’entretenir des liens étroits avec d’autres acteurs de la lutte internationale contre la piraterie. L’OTAN poursuit par ailleurs ses efforts de lutte contre la piraterie en mer et à terre – en aidant les pays de la région à renforcer leurs propres capacités de lutte contre la piraterie.
- Au sujet des trafics illicites – La prolifération illicite des ALPC peut alimenter et prolonger la violence armée, et favoriser les activités illégales et l’émergence de groupes violents. L’accès aux ALPC illicites contribue au développement du terrorisme, de la criminalité organisée, de la traite des êtres humains, de la violence liée au genre et de la piraterie ; d’autre part, le détournement de telles armes est étroitement lié à la corruption et à de mauvaises pratiques de gestion.
- L’OTAN contribue à résoudre ces problèmes en encourageant le dialogue et la coopération entre les pays alliés et les pays partenaires pour trouver des solutions appropriées. Elle dispose pour cela de deux mécanismes très efficaces : le Groupe de travail ad hoc sur les ALPC et la lutte contre les mines et le fonds d’affectation spéciale OTAN/Partenariat. L’OTAN soutient également des initiatives menées par d’autres organismes internationaux, comme le programme d’action des Nations Unies en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects, ainsi que le traité de l’ONU sur le commerce des armes (TCA).
- Pour ce qui est des mines antipersonnel, l’Alliance et ses partenaires apportent également leur soutien aux pays signataires de la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (Convention d’Ottawa). Les Alliés qui n’ont pas adhéré à cette convention contribuent aux actions menées dans le cadre général de ce qu’on appelle communément la lutte contre les mines, à savoir : la dépollution des champs de mines, l’assistance aux victimes, la sensibilisation – au travers de la formation – aux risques que représentent les mines, et l’aide à la destruction des stocks.
MAURIACTU.INFO : Merci une fois de plus, mon Général.
Propos recueillis par El Boukhary Mohamed Mouemel avec l’aide technique de Mohamed Ely Dendou
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