La Guetna en Adrar, un art de vivre dans des espaces édéniques / par l’écrivain mauritanien Beyrouk (reportage)

C’est la Guetna en Adrar. Des milliers de mauritaniens affluent vers les oasis. Une société bien "Guetna" se forme sous les palmiers. C’est un rite annuel qui se renouvelle, c’est aussi un hymne à la datte, et aux belles traditions, c’est un rendez-vous aussi de solidarité. Cette année la Guetna a été fructueuse, bien du point de vue récoltes que du point de vue atmosphère.

 Dressé jusqu'au ciel

La Guetna n’est pas une saison, la Guetna est une fête qui accueille, à bras ouverts, tous les arrivants. L’Adrar est une des régions privilégiées pour les amoureux de cette fête unique.

L’Adrar, cette année grouille d’estivants. Ils sont venus de partout, de Nouakchott, de Nouadhibou, du Trarza, des Hodh, de partout. Ils viennent goûter à la dolce vita adraroise, aux offrandes de la Guetna : l’eau pure, les dattes fraîches, l’ombre des palmiers, la chaleur bien sûr, dans tous les sens , et surtout la commission des cœurs et le repos des esprits.

Entretien du palmier

La Guetna est dit-on d’abord un rendez-vous. Chaque année, venant de tout le pays, des milliers de personnes affluent vers l’Adrar, se croisent, se rencontrent, se connaissent, se tendent les mains. La Guetna est une occasion rêvée de retrouver des proches, des amis, de vieilles connaissances perdues. C’est aussi une saison où on enlève les vilains oripeaux de la fausse modernité, où on s’habille de naturel, ou l’on rit, sans gêne, avec des inconnus, et où l’on aide, sans préjugé, le voisin à tirer de l’eau, à cueillir des dattes ou à traire ses chèvres.

Du sable et de l'eau

La Guetna tue les préjugés de classe. Si une très rare minorité de nantis, s’enferme dans des maisons climatisées (quelle absurdité en Guetna !) la très grande majorité des personnes riches oublient pour un temps leurs privilèges. Car en Guetna, il n’y a qu’un habit, le modeste boubou de Chega pour les hommes, ou le voile noir légèrement teint de " Nila " pour les femmes, il n’y a qu’un repas, le bon riz à la viande, sans aucune sorte d’assaisonnement, précédé de dattes franches, il n’y a qu’un seul luxe jouir de l’ombre voluptueuse des palmiers et de la doucereuse musique de l’eau qui passe. La Guetna s’offre à tout le monde et elle méprise superbement toutes les différences factices d’aujourd’hui.

Surveillance des jeunes dattes

La Guetna est aussi une cure. Tous les adrarois (et les autres) vous le diront : rien de mieux pour se refaire une bonne santé que la Guetna, c’est qu’en cette période, on oublie les aliments trop condimentés, trop gras des citadins, on élimine le superflu, on’ revient au naturel, on ne mange que ce qui adoucit l’estomac et les membres (dattes, repas chauds avec viande légèrement faisandée), et puis, et ça les adrarois y insistent, la forte chaleur, la vraie, sans humidité fortifie l’organisme, assèche les kilos superflu, redonne à l’organisme la légèreté nécessaire.

La Guetna est aussi une saison des joies et des plaisirs. Il n’y a pas de moussems organisés dans l’Adrar, mais les adrarois attendent souvent la Guetna pour organiser les grands mariages, pour tenir les grandes réunions tribales, pour rencontrer et discuter des grandes questions, et aussi pour des mémorables championnats de tir. Tout ce qui est grand se fait en Guetna. C’est pourquoi la Guetna est une fête.

Système d'irrigation dans la palmeraie

Cette année, la Guetna a rempli toutes Ses promesses. Les oueds n’ont pas désempli, et les palmeraies ont bien répondu aux espoirs. C’est que, quoique vous diront, certains adrarois, toujours demandeurs en matière de dattes, la Guetna 2006 a été bonne. Certes quelques oueds ont durement souffert. Teyarett, le joyau des oueds d’Atar n’a pas connu d’extraordinaire récolte, Mamadou El Yvan, antre de travail et de foi a vu sa production baisser très fortement. Cependant, la Guetna a été généralement excellente. La récolte a été abondante (si abondante que le prix du kg de datte est redescendu parfois à Atar jusqu’à 200 ouguiya) les palmiers n’ont pas souffert de grosse maladies, et les estivants sont venus en masse.

Cheikhani, cadre du projet Oasis, expert agricole, féru de l’Adrar et de ses palmiers nous explique le pourquoi de cette bonne saison : " Il n’y a pas eu de vent de janvier néfaste pour les palmeraies, il n’y a pas eu certes de pluie, mais celle-ci n’est nécessaire pour les palmiers qu’une année sur deux, l’essentiel est que la nappe est restée stable, il n’y a pas eu d’acariose, ni de cochenille blanche, les rendements sont généralement élevés qu’en est que vous voulez de plus ?

Palmiers

Hasni Ebba Saïd, ingénieur, délégué du ministère du développement rural en Adrar n’exulte pourtant pas. Pour lui aussi, l’année a été bonne, mais il déplore les rendez-vous manqués.

Il aurait préféré que les adrarois aient meilleure connaissance de la culture du palmiers, qu’ils ne s’agrippent pas indéfiniment à des méthodes surannées, et très peu productives. Le "Tjenkir ", (pollinisation), fierté pourtant des adrarois qui s’en croient les meilleurs experts est ici source de faible rendement, et même de maladies pour le palmier. Il est, fait selon une méthode qui a perduré ici’ des siècles mais qui n’a rien ni de scientifique ni de rentable. Le projet Oasis avait invité dans les oueds de l’Adrar un couple de paysans marocains qui ont montré comment il faut procéder pour la pollinisation des palmiers. Certains les ont écouté, mais la majorité des paysans a tourné la tête : " c’est pas ça ce que nous ont appris nos pères Quand l’entêtement se mêle à l’ignorance...

Irrigation de la palmeraie

Mais les estivants ne se posent pas toutes ces questions d’experts. Ils profitent de la guetna, et c’est tout. Certains ont acheté des palmeraies (parfois à pris d’or) et y vont chaque année. D’autres- viennent tout simplement acheter des dattes et louer des demeures.

Il arrivent en famille souvent, louent des palmiers pour la saison, s’installent dans des cases ou des maisons près des palmeraies et s’abandonnent au farniente de la guetna.

Beaucoup de personnes viennent aussi toutes, seules et circulent entre les oueds, entre les amis.

A Atar une structure hôtelière est la pour accueillir les arrivants. La ville dispose de 5 bons hôtels, près de 28 auberges avec un service qui s’affine d’année en année. Mais les " gueytanas " ne se sentent pas vraiment concernés par ces infrastructures, même s’ils possèdent les moyens d’en profiter ; l’esprit de la guetna est à leurs yeux antinomique de ces habitudes de touristes. La guetna, ce ne peut être que tradition, pas modernité, pas superflu. C’est un retour sur soi.

Etoile dans le ciel bleu

En fait, il y quelque chose d’extraordinaire durant cette guetna, et les autres : le visage épanoui des gens, les regards rieurs, l’espèce de légèreté et d’amour de la vie qui anime les gestes. C’est cela, la guetna, une espèce de bonheur.

Nous allons, pour essayer de vous restituer ce bonheur là, emprunter avec vous les pistes de l’Adrar, visiter certains oueds, au fil d’un petit nombre d’articles, pour les prochains jours. C’est un cadeau de guetna.

Vue générale d'une palmeraie

Les oueds édeniques

Les oueds de l’Adrar, nous l’avons dit, sont des promesses de bonheur. Ils vous envoient une image édénique, et vous vous mettez fébrilement à parcourir les vallées et les montagnes, à boire de l’eau de puits, à visiter les vertes palmeraies, à goûter aux mille saveurs des dattes, à rechercher un certain bonheur, avant de découvrir que vous y êtes : la guetna, c’est déjà le bonheur.

Pourtant ! Malgré les voies pierreuses, malgré l’état des routes, parcourir l’Adrar, n’est pas chose ardue. Parce qu’à chaque étape un sourire vous attend. L’hospitalité ici n’est pas un vain mot, c’est un état naturel. Et vous ne vous étonnerez donc pas si le vieil homme auquel vous demandez votre route vous oblige à faire halte chez lui, ou si chaque maison, chaque hutte vous accueille comme si vous étiez l’enfant du bled revenu. Les adrarois savent ouvrir le bras.

Feuilles avices de lumière

Ain Ehl Taya

A Ain Ehl Taya, première halte de nos pérégrinations de guetna, nous ne sommes donc pas étonnés de l’accueil chaleureux, ni de l’extraordinaire hospitalité, ni de la franche sympathie que nous renvoient les gens. En Adrar, il faut faire toujours attention pour ne pas succomber à la gentillesse et oublier sa mission.

Ain Ehl Taya est une belle oasis, où cohabitent palmeraies, et maisons, dans une sorte d’harmonie qui vous fait oublier que vous êtes après tout en ville, qu’il y a ici lycée, dispensaire, eau courante et même un peu d’électricité. Mais les habitants d’El Ain n’accordent que peu d’attention à ces commodités. Ils se considèrent d’abord comme des campagnards.

Ain Ehl Taya fut d’abord un puits, un point d’eau isolé, désert, où ne passent que de rares caravaniers. Puis en 1945, avec l’installation des Travaux publics venus faire la route vers Atar, l’endroit devint un passage obligé. Ce qui attira du monde et surtout les habitants de Oued Seguellil, juste à côté.

Ain Ehl Taya s’enorgueillit aussi, d’avoir abrité, au sommet de sa montagne, la bataille historique d’Amatil, le 29 décembre 1908, quand les guerriers de l’Adrar firent face au colonialisme arrivant. Le courage face aux mitrailleuses. L’intrépidité face aux techniques triomphantes de l’Europe de. ce début du XXè siècle, conquérante. Juste au-dessous de la montagne, à l’endroit même, dit-on de la bataille, est construite aujourd’hui une espèce de bâtiment, mi-fort, mi-auberge et qui chante l’amitié franco-mauritanienne.

Fraîcheur de l'ombrage

Mais Ain Ehel Taya possède un avantage tout particulier : c’est l’un des oueds où la guetna dure le plus longtemps. Elle commence ici à la fin du mois de mai et se termine en septembre. D’où l’attrait du oued pour bien des commerçants. Ils viennent ici très tôt acheter les récoltes des palmeraies et les acheminer vers les grandes villes.

Ain Ehel Taya a des traditions bien fortes en matière de dattes. A côté d’El Hemr, palmiers-rois- les habitants aiment bien les "Amsekhsi, dattes qui craquent et fondent dans la bouche ; les "Adaghn", dattes idéales pour confectionner des colliers et des sacs pour cadeaux, et les Tiggiderte, dattes remèdes contre bien des maux. Il faut dire que le oued peut se permettre la diversification. Ici, les palmiers sont bien portants et les dattes souvent grosses comme un poing. C’est que Ain Ehl Taya ne manque pas vraiment d’eau. Ici, l’eau coule abondamment et... gratuitement. C’est le maire qui paye.

Fraîcheur sous les palmiers

Oued Seguellil

Oued Seguellil est la mère de Ain Ehl Taya C’est elle l’original et Ain Ehl Taya n’est qu’une copie. C’est ce qu’aiment bien en tout cas sous-entendre les vieux habitants du oued. C’est la route qui a créé Ain Ehl Taya, et c’est la route donc qui a confiné Oued Seguellil dans l’oubli.

Mais le vieil oued a pris sa revanche. Pour on ne sait quelles raisons, bien des hommes d’affaires ont choisi d’acheter des palmeraies dans le oued et d’y passer leurs guetna. Une sorte de mode "seguelienne" a ainsi fait fureur dans un certain milieu, au grand bonheur du oued, disent ses habitants. Car la valeur monétaire de leurs palmeraies a presque quintuplé en quelques années, car, l’eau est arrivée, car une route plus praticable est née, car quelques emplois ont été créés. "Ce n’est pas si mal, disent-ils, même si la viande, en période de guetna, est devenue plus chère." Oued Seguellil, comme Ain Ehl Taya, bénéficie d’une guetna plus longue que celle des autres oueds de l’Adrar. Il faut dire que la beauté de cet oued émeut.

A l'abri des falaises

Terjitt

Terjitt n’est pas un endroit à présenter. La beauté du site est connue de tous. Le film de feu Hammam Fall (Terjitt) en a fait une excellente promotion. Mais Terjitt est aussi un oued, un vieil oued de l’Adrar qui possède ses traditions et aussi sa beauté propre. Les visiteurs préfèrent aller pourtant directement à la source, une espèce de grotte béante, ouverte au beau milieu d’un vallon, couverte par des stalactites vertes et où coule une eau pure, intarissable. Elle coule doucereusement de la montagne. Terjitt est un petit miracle au beau milieu d’un désert pierreux. Le climat y est doux en toute saison et les effluves du ruisseau y caressent la vue et tempèrent les sens. La renommée de Terjitt est devenue mondiale. En saison touristique, les Occidentaux y affluent. Et même en été, elle reçoit des visiteurs, tels ce cadre de banque japonais, Masaaki Mezaki qui fait le tour de l’Afrique en taxi-brousse et qui a choisi Terjitt pour un repos bien mérité.

Des fleurs sous les palmiers

Mais la source de Terjitt, ne l’oublions pas, est une propriété privée, bien gérée par ses possédants qui y ont installé une auberge et qui exigent payement pour la rentrée. Les prix sont chers sans être prohibitifs. Mais la qualité du service mérite d’être améliorée.

Aoujeft

Aoujeft ne se revendique pas comme un oued semblable aux autres. Elle se veut d’abord une des villes historiques de l’Adrar. Elle est née, selon ses habitants, cinquante années seulement après Chinguitti, et elle abriterait, dans le oued de Timinitt, la tombe de Yahya Ibn Omar, frère affirme-ton, de Boubacar Ibn O-mar, le grand conquérant almoravide.

Mais Aoujeft n’est de toute façon plus un oued comme les autres. Il est non seulement capitale de moughataa, mais il est aussi devenu une vraie cité, avec ses villas, ses maisons modestes, son marché, et un petit centre-ville où on joue au damier et où l’on vend des produits importés. Aoujeft dispose aussi de l’eau courante et même de téléphone fixe. L’électricité est également déjà installée et sera en service, dit-on, très rapidement. Aoujeft n’est donc plus un vrai oued.

Et pourtant Aoujeft sent encore fortement le oued. Les palmiers qui l’entourent, la belle batha qui le traverse témoignent de l’authenticité du bled. De fait, à Aoujeft, on se sent dans la campagne sans vraiment y être. Et pourtant, la production de dattes est ici cette année fort modeste, et la ville continue à souffrir de son éternel ennemi : le sable. Aoujeft a, dans son histoire, changé quatre fois de place. Et l’ennemi a toujours été le même : le désert. Mais l’Adrar tout entier n’est-il pas une portion du désert volée grâce au travail des hommes et à leur génie ? N’est-il pas un défi à la nature, au sable, au soleil, au vent ?

Demain, nous visiterons d’autres oueds.

Puits à balancier

Puits à balancier

Ouadane, Chinguitti, des villes-oueds Le voyage en Adrar continue. Après le Batten et sa luxuriance, c’est aujourd’hui le tour des cités historiques, Ouadane et Chinguitti ; des villes qui sont aussi - on l’oublie souvent - de très beaux oueds. 
La route de Ouadane est longue. Le désert caillouteux ne réserve aucun cadeau aux yeux. Le regard se perd dans un horizon de pierres. Il n’y a pas d’arbres pour s’arrêter et boire du thé, il n’y a pas d’âme qui vive pour discuter. Il faut fermer les yeux et attendre, attendre Ouadane.

Ouadane, au bout de près de 90 Km de piste isolée, vous saluera du haut de ses ruines, car Ouadane, c’est d’abord des ruines, un rempart millénaire, et des restes de la plus vieille cité du pays, un effluve d’histoire qu’on hume avec plaisir, et aussi un très bel oued qui s’étend tout au long de la magnifique batha. Ouadane, c’est un triptyque inimaginable, entre l’antique ’ (les ruines), l’ancien (le oued) et le moderne (ces maisons qui rompent le paysage et le défigurent, le téléphone, l’électricité ...). Mais à Ouadane, nous n’étions pas venus en touristes et ce n’est pas la grande gentillesse de Zakia, jeune aubergiste qui parle un excellent français (appris sur le tas) qui nous fera oublier notre mission : la guetna. Et à Ouadane, en ce domaine, nous sommes gâtés.

A Ouadane, il y a plus de cent variétés de dattes. Et mon ami Taganttois est bien étonné quand un Ouadani lui montre dans sa palmeraie, les espèces qu’il croyait spécifiques au Tagant. Ici, en matière de palmier, il y a tout. Même si Ouadane est surtout reconnu pour ses Sekani.

Mais il y a aussi Taggett, Tenouazidi, Lehboubou, El Valha, variétés rares partout sauf à Ouadane, toutes consommables quand elles sont jaunes. A Ouadane, les dattes c’est un art. Et même le cadre nouakchottois en vacances que je rencontre s’avère être un spécialiste parfait des palmiers de la région. A Ouadane, les dattes, c’est un savoir.

Et les Ouadanis rencontrés insistent toujours pour que vous rameniez des dattes. A Ouadane, les dattes, c’est la générosité.

Douceur de l'oasis

Les habitants de Ouadane, contrairement aux autres Adrarois, ne commercialisent pas leur production. Ils ont encore cet esprit assez désuet, de la très ancienne Mauritanie qui dicte de ne point vendre des dattes, mais d’en offrir et d’en consommer. Et pourtant, les palmeraies sont ici bien tenues. A Tenlabbe, plus gros oued de Ouadane, l’apparition du bayoud n’a pas ravagé la récolte. Cette année, elle est bonne, et les estivants sont nombreux. Belle occasion pour savourer les spécialités du bled : les dattes Sekani (les plus succulentes du monde vous dira-ton), le blé Echeylal, cultivé à l’ombre des palmiers (d’une inégalable qualité vous assurera-t-on) et les pâtes, les "ksours" de Ouadane, (inimitables, vous jurera-t-on). A Ouadane, on ne cultive pas beaucoup la modestie. Même si on a de bonnes raisons d’être fier.

feu d'artifice

Chinguitti, la vieille rivale de Ouadane, a elle, aussi, des raisons d’être fière. La ville est, peut- être, née après Ouadane, mais elle a tout de même donné son nom à l’ancienne Mauritanie. Chinguitti est ’ connu pour sa très vieille mosquée, ses manuscrits antiques, sa batha légendaire et ses sympathiques auberges. Pour dormir à Chinguitti, il n’y a rien de mieux que la Batha, cet univers sablonneux où le ciel semble vouloir vous caresser la tête. On peut aller aussi à l’Eden, chez la famille Beide, une toute petite auberge où l’on se sent chez soi. Mais on peut encore dormir près des palmeraies, en respirant l’air pur qui s’en échappe.

Il faut alors se rendre à Tkemkent, à quelques kilomètres seulement de la ville, des palmeraies bien tenues, bien arrosées (malgré la sécheresse) et qui donnent des dattes de toutes couleurs, grosses comme un poing.

Pour la guetna, il y a aussi Abeir, l’ancêtre de Chinguitti. Il y a Tendawaeli et il y a aussi Chinguitti elle-même, une ville qui oublie pourtant qu’elle fut d’abord un oued, une ville qui oublie même parfois qu’elle doit conserver son caractère authentique et ne pas succomber sous le poids d’une modernité dévastatrice (ces fils électriques vulgaires par exemple). Mais ça c’est un autre problème.

Système d'irrigation

A Chinguitti, on est fier de la Selmedina, datte qui mûrit encore verte et qui n’est vraiment bonne qu’ici. Selmedina est, d’ailleurs, devenue une véritable source de richesse : le kilo vaut quatre fois plus cher que celui du "hemr", la date "normale" en Adrar.

Mais, les Chinguittiens des oasis peinent pour arroser leurs palmeraies, car la sécheresse perdure ici depuis près de 10 ans, même si des crues venues d’ailleurs ont ravagé les palmeraies.

Les Chinguettiens ont peur de subir le destin de Toueyarett, vieil oued, aujourd’hui complètement effacé par le sable. Les Chinguettiens ont également peur de voir le tourisme s’évaporer sous le poids des mauvaises gestions et des petites ambitions. Les Chinguettiens ont un peu peur pour l’avenir, mais ils haussent aussi les épaules et se disent "après tout, cela fait bien huit siècles que l’on a peur."

Chaque palmier fait l'objet d'un soin particuler

Une culture, une civilisation

Quand on revient du "Batten", on a tendance à regarder de haut tout le reste. Et pourtant, les oueds qui entourent Atar valent bien d’être visités. Leur proximité attire beaucoup de vacanciers et de visiteurs. Et ceux qui ne savent plus se priver des commodités d’aujourd’hui aiment bien ces oasis où l’on trouve du pain, des images télévisées parfois et même, souvent, le réseau de téléphonie mobile. Mais ces oueds possèdent bien d’autres vertus.

Tawaz

Tawaz est devenu une oasis majeure de l’Adrar. C’est, peut-être, le oued le plus peuplé. Et l’on s’oublie même quand on parcourt les ruelles du marché de Tawaz à s’imaginer qu’on est à Gam El Gasba ou dans un autre vieux quartier d’Atar. Mais Tawaz, ce n’est tout de même pas tellement la ville.

Ici, les palmeraies s’étendent tout au long d’une batha interminable. Tawaz est un réceptacle d’eau, une sorte de vallée où s’écoule l’eau venant de presque toutes les hauteurs de l’Adrar.

L’année dernière n’a pas été mauvaise. Tawaz a reçu près de 125 mm de pluies. Ce qui est beaucoup pour la région. Seulement, les criquets sont apparus et avec eux les pesticides, autre fléau pour les palmiers.

Mais la grande spécialité de Tawaz, c’est les cultures maraichères. Tawaz a été certainement le premier terroir mauritanien à s’investir dans les cultures maraichères, dans les années cinquante. Il produit aussi, certainement, les meilleures qualités de légumes. La production frise parfois les 4000 tonnes par an, en bonne période et les marchés du Nord et de Nouakchott s’arrachent ces produits.

Tawaz est, peut-être, le oued où il y a le plus de motopompes (près de 600), mais il manque cruellement) de barrages et de seuils de ralentissement de l’eau.

Entretien de la plantation

Amdeir

A Amdeir, plus au sud, on se plaint d’abord du manque de pluies. L’année dernière a été dure et on a peur cette année de ne pas voir tomber la pluie. Amdeir, Amdeiratt, en fait car ils sont deux (Amdeir Lekbir et Amdeir Sghir) date du temps des Bafour. Ce sont eux qui ont planté ces palmiers "qui peuvent se relever mais aussi baisser la tête" (je ne sais ni l’origine ni le sens de cette assertion locale).

La guetna, ici, n’a pas rempli ses promesses et l’eau manque cruellement, malgré la douceur de l’eau des puits d’Amdeir Lekbir. La "tarfa" est là aussi, elle embellit, certes, un peu le paysage, mais aussi aspire l’eau des palmiers. Mais les gens d’Amdeir ne connaissent pas le pessimisme. Ils voient toujours l’avenir en rose, car ils ont confiance dans leurs bras : ils ne les ont pas baissés depuis plusieurs siècles.

La route de Lekseir

La route, qui mène à Kseir Torchan, n’est pas longue. Et elle est goudronnée, ce qui ne gâche vraiment rien. C’est une belle promenade qui mène à Terwen, à Zirett Lekhcheb, à Tezegrez, à Toueizektt. C’est vraiment une belle promenade où l’on aperçoit des oueds superbes et des bretelles de goudron qui vont on ne sait où... Kseir Torchan est habité bien sûr par les Torchan qui ont l’orgueil d’avoir résisté aux colonialistes en 1931 à Aghoueinitt, et d’avoir créé ce oued l’année même où est né Atar.

Mais en attendant Kseir Torchan ploie sous le poids des mauvaises récoltes et de la pauvreté. Les criquets ont ici tout ravagé et les palmiers sentent le mauvais entretien malgré l’abondance de l’eau.

Entretien des palmiers dattiers

Touezeht, plus au sud, possède lui des palmeraies bien entretenues, une population qui, manifestement, reste là en toute saison et ; ô miracle ; un musée, oui un musée créé par un passionné des vieilles choses et où vous trouverez de vieilles décorations, des armes anciennes, des pièces du néolithique, si vous êtes chanceux, un bon verre de thé sous une tente bien dressée.

culture des dattes

Terwen, Zirett Lekhcheb sont des oasis calmes, sans fureur, sans beaucoup d’arrivants en guetna, sans excès.

L’Adrar en guetna, c’est un appel incessant et auquel on est obligé de toujours répondre. Il est vrai que la beauté attire, mais il est aussi vrai qu’on ne peut en quelques jours, visiter tout l’Eden. Vous nous pardonnerez.

En tout cas, au terme de ce périple, une incompréhension se pose comment des Mauritaniens désireux de se payer des vacances peuvent-ils choisir d’aller ailleurs alors que l’Adrar s’offre à eux ? Comment peut-on tourner le dos à la brise des oasis, à l’ombre des palmiers, à la saveur des dattes fraiches, à la dolce vida de la guetna et aller se fourrer dans des mégapoles surpeuplées et des appartements vulgaires ?

Décidément, un projet de tourisme intérieur, visant à orienter les Mauritaniens vers les oasis devrait être étudié. On y gagnerait amplement. Mais, il reste tout de même qu’en matière de phoeniciculture [1] il y a des combats à mener.

Contre l’épidémie de bayoud d’abord. Ce véritable sida des palmiers, pratiquement incurable se transmet comme la foudre et assassine, à proprement parler le cœur du palmier.

Le pharaon blanc "wizz pour les Adrarois) est une autre maladie qui donne de courtes feuilles aux palmiers et l’empêchent de porter des dattes. La maladie du cœur qui penche " (Tejdemtt ou Taqaqet) et les "fourmis rouges" rongent les poitrines de palmiers et leurs troncs.

Il faut que les autorités redoublent d’efforts pour contrer ces maladies, il faut donner au laboratoire déjà installé à Atar les moyens de travailler, il faut investir l’argent nécessaire pour sauver les 700.000 palmiers de l’Adrar. Car en les sauvant, on assurerait non pas seulement la survie de dizaines de milliers de citoyens, mais on donnerait aussi sa chance à une manière de vivre, à une façon de cultiver la terre, d’accueillir l’étranger, de soutenir le prochain, de goûter à la joie, de laisser grandir les enfants, en un mot, on garantirait la continuité d’une culture, d’une civilisation.

M’Bareck Ould Beyrouck , dit "Cheikhou"

Source : Le Jardin d'Idoumou

Etoiles de palmes

 

 

 

 

category: 

Connexion utilisateur