Tous les acteurs de la société, y compris les pouvoirs publics reconnaissent aujourd’hui la gravité de la corruption dans notre pays. Le moment est venu, pour la Mauritanie, de placer le dossier de la corruption au centre des débats. La lutte contre ce fléau est une affaire collective.
L’action de la société civile en matière de sensibilisation aux méfaits de la corruption doit être soutenue et relayée par les moyens publics. La lutte contre le fléau de la corruption s’impose à cause de ses conséquences dramatiques sur le développement du pays. La pauvreté touche environ 50 pour cent des Mauritaniens. Les autorités se sont engagées, dans le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP), à mettre en œuvre les mesures requises pour la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) à l’horizon 2015. Mais les indicateurs sociaux dénoncent des progrès insuffisants pour atteindre ces objectifs. L’indice de développement humain (IDH) du PNUD n’est que de 0.55, et la Mauritanie est classée au 137è rang sur 177 pays. La corruption est l’obstacle majeur à la bonne gestion des ressources (financières, humaines et matérielles) et à la bonne gouvernance, elle est à la base de presque tous les problèmes de développement. Lutter contre la corruption c’est permettre non seulement une gestion saine des ressources et une meilleure gouvernance, mais aussi le respect d’autrui par le biais de l’établissement ou du rétablissement des droits de tous les citoyens.
La lutte contre la délinquance financière, la corruption et autres atteintes aux biens publics occupe une place majeure dans les préoccupations des plus hautes autorités du pays. La Mauritanie a adhéré à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (EITI), adopté un Code d’ةthique pour les fonctionnaires et une loi sur l’état de la fortune des hauts responsables de l’ةtat, signé la convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption en décembre 2005 et ratifié la convention de l’ONU contre la corruption en octobre 2006. En signant ces conventions, la Mauritanie s’engage à adopter tout un éventail de réformes de gouvernance à court et à long terme (fonction publique basée sur le mérite, code de conduite pour les fonctionnaires publics, législation sur la liberté de l’information, etc.) qui doivent encore être mises en œuvre par l’adoption de lois nationales. Les structures de contrôle créées par l’ةtat sont nombreuses. Mais le nombre ne va pas forcément de pair avec l’efficacité et, dans l’opinion publique, il est fréquent de relever la frustration souvent grande de voir des atteintes graves aux ressources publiques rester sans suite malgré le travail combien laborieux et difficile des services de contrôle. Il est donc nécessaire de créer une synergie d’actions entre les services de contrôle de l’ةtat et la justice afin de traquer plus efficacement ceux qui détournent les biens publics.
1. Politique et corruption.
La question de la corruption en Mauritanie est politique par essence. Depuis l’Indépendance les richesses ont toujours été redistribuées en fonction de « l’appartenance politique » ou du « statut », dans le cadre du système social mauritanien. Les notables étaient récompensés pour leur fidélité par des postes au sein du gouvernement ou des secteurs clefs de l’économie, conférant un accès aux ressources publiques pour le bénéfice de leurs circonscriptions. L’accès à ces postes se faisait de manière rotative pour élargir le cercle des bénéficiaires des ressources de l’ةtat. Ces pratiques ont marqué les institutions politiques et administratives du pays, rendant ainsi faibles les mécanismes de responsabilité. Les caractéristiques qui facilitent la prise en compte de la corruption par les instances politiques sont liées en fait aux représentations qu’elle génère dans l’univers des croyances des acteurs sociaux. Il s’agit notamment d’un sentiment communément partagé par le corps social ou par une partie de celui-ci que quelque chose « ne va pas » et que cette situation est remédiable par les pouvoirs publics. Ce sentiment se traduit généralement par la constante incitation de l’élite dirigeante à l’action contre le phénomène, comme les récentes exhortations du chef de l’Etat à poursuivre certaines actions entreprises dans le sens de l’assainissement des mœurs financières dans les services publics.
2. Exhortations du Président et victimes de la lutte anti-corruption.
Le 3 novembre, Le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz recevait, au palais présidentiel à Nouakchott, les directeurs généraux (DG) des établissements publics. La rencontre intervenait quelques jours après une réunion tenue avec les présidents des conseils d’administration (PCA) des établissements publics. Au cours de laquelle le président de la République a critiqué la budgétisation d’énormes dépenses au profit des PCA, devenus un gouffre financier pour leurs établissements. Les DG ont été appelés à la raison et à accompagner les nouvelles orientations du pouvoir en matière de lutte contre la gabegie et de rationalisation des deniers publics. Le chef de l’Etat les a interpellés à arrêter la dérive morale qui gangrène la société Mauritanienne.
Déjà, quelques jours auparavant, Ould Abdel Aziz avait annoncé devant notre diaspora en France que des mesures sont en train d’être prises pour mettre fin à cette injustice, afin de mettre les citoyens au même niveau pour une meilleure répartition de la ressource nationale. Ces citoyens dont une minorité possède toutes les facilités alors que la majorité survit dans les souffrances. Lors de la même rencontre, le Président de la République a annoncé que « la lutte contre la gabegie a commencé à faire des victimes, mais ce sont des victimes pour l’intérêt du pays. » et de citer des exemples de gabegie, comme la facture d’électricité de plus de 3 milliards, payés annuellement par l’Etat pour des fonctionnaires dont certains ont une facture supérieure au salaire et la multitude de véhicules détenus par certains fonctionnaires, alors que des services vitaux de l’Etat sont immobilisés faute de moyens.
Des mesures énergiques ont été prises récemment contre l’utilisation anarchique des véhicules de l’Etat et pour la limitation des dépenses injustifiées liées aux prises en charge des loyers, des factures d’électricité et de téléphones des fonctionnaires, dont certains ne sont même plus en droit de bénéficier de tels avantages. Les experts affirment que de telles mesures feront économiser des milliards d’ouguiyas à l’Etat mauritanien, soulignant par la même occasion, que le président de la République a mis cette fois le doigt sur la plaie, en s’attaquant aux sources des dépenses «illogiques et aux charges indues».
3. Définition de la corruption
La corruption est un phénomène universel qui se rencontre dans tous les pays du monde. Elle existe aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. Cependant, son existence varie d’un continent à l’autre et d’un pays à l’autre. Le fléau de la corruption est surtout ressenti dans le tissu économique, financier, politique et social d’un pays. Mais c’est en Afrique que son influence est une des plus désastreuses. On peut diviser la corruption en deux catégories : la « grande corruption » – au niveau juridique et des politiques – et la « corruption administrative » – qui concerne le personnel de l’ةtat, les procédures budgétaires et contractuelles, tout en comprenant également le versement de dessous de table, généralement appelée « petite corruption ». Ces deux grandes catégories peuvent aussi être considérées comme se situant « en amont » (grande corruption), ou en « aval » (corruption administrative).
4. Domaines de la corruption.
Les domaines où la corruption a le plus de chances de se répandre, que l’on considère comme domaines vulnérables de la corruption, sont entre autres la gestion des entreprises publiques, les marchés publics, l’administration fiscale, les douanes, la police, l’éducation, la justice, la santé etc. Le document de la Banque mondiale, MAURITANIE : ةTUDE SUR LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION. (Février 2008), élaboré en préparation de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC), contient une étude détaillée des domaines de la corruption en Mauritanie. Nous citerons ici seulement les principaux parmi ces domaines :
a. La corruption dans le domaine de la passation des marchés publics. Ce domaine est considéré comme l’un des secteurs d’activités gouvernementales les plus propices à la corruption, car il concerne une grande part des ressources publiques. La corruption en matière de passation de marchés publics affecte les dépenses de l’ةtat dans tous les secteurs, dont les conséquences peuvent être d’une grande portée. Une des principales difficultés concernant la détection de la corruption dans ce domaine réside dans le fait qu’elle peut prendre diverses formes, au niveau de l’identification et de la conception des projets ; de la publicité, pré qualification, préparation et soumission des offres ; de l’évaluation des offres et l’attribution des contrats ; et de l’exécution, administration et suivi des dits contrats. Le coût de la corruption dans la passation de marchés est élevé dans notre pays. Un rapport récent de l’OCDE classe la Mauritanie à la 118ème position sur 135 pays, pour ce qui concerne les paiements irréguliers de contrats publics. Les contrôles restent faibles et bien que la Commission Centrale des Marchés (CCM) soit censée passer en revue chaque contrat, elle n’est ni en mesure, ni disposée à le faire avec compétence. Alors que l’audit ex-post a connu quelques améliorations avec le renforcement de la Cour des Comptes et l’Inspection Générale d’ةtat (IGE), les contrôles du processus de passation des marchés sont encore insuffisants. L’actuel code de passation des marchés de Mauritanie est relativement complet, mais n’est pas considéré comme faisant partie des meilleures pratiques internationales. Plus important encore, de sérieux défis se posent quant à sa mise en oeuvre.
b. La corruption dans le secteur judiciaire. Le fait que le pouvoir judiciaire joue un rôle central dans la lutte contre la corruption est de plus en plus reconnu par les gouvernements, les bailleurs de fonds et les chercheurs. Un système judiciaire indépendant et fonctionnant de manière appropriée, joue un rôle clef dans le système de gouvernance d’un pays. Or la corruption est généralisée dans le système judiciaire, en termes d’accès sélectif à la justice, de manipulation des faits, de rapidité de traitement des différents cas, et de charges cachées. L’expérience internationale indique que certaines réformes (les codes de conduite, les salaires et les nominations basées sur le mérite) permettent de réduire les opportunités de corruption au sein du système judiciaire.
c. La corruption dans les industries extractives. La corruption dans le secteur minier s’opère par le biais de différents canaux. La grande corruption aux niveaux législatif et politique peut influencer la conception des politiques de secteur, ainsi que la promulgation de lois, y compris de nature fiscale. La corruption peut également impliquer le vol direct de sommes d’argent importantes par le détournement de la production, de produits, ou de revenus. La corruption administrative a pour résultat la passation de marchés de bénéfices illégaux en échange d’approbations concernant toute une variété d’activités opérationnelles et commerciales. Le domaine plus large de la passation des marchés est également inclus, y compris la manipulation des offres, le versement de pots de vin et l’inflation des coûts.
5. Causes de la corruption en Mauritanie.
Les principales causes de la corruption en Mauritanie sont l’absence de transparence dans la gestion des affaires administratives, le manque de contrôle effectif et de renseignements suffisants sur le fonctionnement des différents services de l’Etat, le faible niveau des salaires, le mécanisme inefficace d’application des lois (ou la promulgation et l’application de lois inefficaces), la faiblesse de l’appareil judiciaire, le manque de responsabilité et de conscience morale des cadres, la mauvaise distribution du pouvoir et des compétences, l’impunité dans les administrations publiques, le népotisme, l’ethnocentrisme etc.
6. Acteurs de la corruption en Mauritanie.
Les deux axes principaux sur lesquels la corruption tourne sont le secteur public et le secteur privé. L’un et l’autre secteur pouvant regrouper à la fois des corrupteurs et des corrompus. Mais c’est surtout dans le secteur public que la corruption est la plus répandue, le secteur privé représentant souvent dans ce cas l’élément corrupteur (ou l’élément qui corrompe) par rapport au secteur public. En général, on a plus de chances de trouver la corruption lorsque les secteurs public et privé (dans le sens large du terme) se rencontrent, et surtout quand il y a une responsabilité directe pour la fourniture d’un service désiré ou pour la demande de réglementations ou de taxations spécifiques. C’est la corruption dans la vie publique qui fait l’objet de cet article. Cette corruption affecte tous les secteurs d’activités, et elle se présente à tous les niveaux ; c’est à dire du plus haut au plus bas niveau. Son ampleur reflète la fréquence des sommes d’argent affectées à des fins diverses (escroquerie, trafic d’influence, pots-de-vin, détournements de deniers publics …). Ainsi, toutes les catégories socioprofessionnelles représentent les acteurs de la corruption dont les plus connus sont les suivants : cadres, enseignant, douaniers, policiers, magistrats, élus, experts assermentés, hommes d’affaires, etc.
7. Actions spécifiques proposées.
Je lance un appel à tous, gouvernement, partis politiques, élus de la nation, médias et ONG pour :
— Maintenir l’élan et poursuivre la réflexion stratégique concernant la lutte contre la corruption, finaliser la législation anti-corruption et mettre en œuvre les lois et mesures relatives à la gouvernance et à la lutte contre la corruption (GAC) déjà approuvées.
— Agir de manière concertée pour accélérer la formulation de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) ;
— Faire part des enseignements relatifs à l’expérience internationale en matière de politiques relatives à la GAC;
— Organiser de vastes consultations avec la société civile, y compris les acteurs non gouvernementaux ; ce qui permettrait également d’identifier les organisations de la société civile pouvant jouer un rôle dans le cadre du système de suivi qui sera adopté pour la Stratégie. ;
— Parachever et distribuer le document de stratégie;
— Commencer la mise en oeuvre des mesures récentes prises pour lutter contre la corruption;
— Préparer les textes règlementaires pour la mise en œuvre du Code d’éthique, y compris les mécanismes pilotes d’échange et de contrôle/réactions au niveau de l’utilisateur final;
— Préparer les Codes de conduite spécifiques ayant trait aux fonctions spécifiques au sein de l’administration publique (passation des marchés, douanes, etc.);
— Faire le suivi des progrès réalisés dans la lutte contre la corruption de manière active;
— Réaliser des enquêtes de manière régulière (telles celles effectuées par Global Integrity ou Transparency International);
— Effectuer des diagnostics de secteurs spécifiques et des évaluations institutionnelles (PEFA);
— Lancer une campagne de communication de grande portée;
— Etendre la gamme de médias électroniques interactifs en tant qu’instruments privilégiés pour des campagnes d’information à succès;
— Informer les citoyens grâce à la TV et à la radio ainsi que des publicités dans la presse, et par le biais d’événements publics.
Moussa Ould Ebnou
Source : ODH Mauritanie
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