Fin de la trêve terroriste en Espagne : Attention aux similitudes avec la Mauritanie !

Jusqu’à hier, jeudi soir, l’Espagne n’a pas connu d’attaques terroristes depuis 2004 sur son territoire, malgré que ses ressortissants n’ont pas toujours  été à l’abri durant cette période. Bien au contraire ! Certains parmi eux furent enlevés dans quelques régions du monde et n’ont pu été libérés qu’au prix de rançons payées aux ravisseurs. Des rançons qui ont fait l'objet de beaucoup d'interrogations et de controverses. Mais ça, c’est une autre histoire !

 Comme l’Espagne, la Mauritanie n’a pas enregistré d’opérations armées jihadistes depuis sept années environ. La dernière attaque contre elle remonte à la fin de 2011 quand une colonne de véhicules d’Aqmi,  lourdement armée, en provenance de la frontière malienne, s’est introduite dans le territoire et attaqué la ville de Basknou, avant qu’elle ne soit aussitôt chassée par les forces mauritaniennes.

Dans les deux pays, l’analyse des risques terroristes  appelle les observations suivantes qui font apparaître des facteurs d’explication que ces deux pays ont en commun, malgré des différences non négligeables.

Une politique antiterroriste volontariste. En Espagne, aussitôt après les attaques de Madrid en 2014, le pays a entrepris une reforme en profondeur de sa politique de défense en matière de lutte contre le terrorisme qui s'est avérée payante. Elle s'est traduite par plusieurs batteries de mesures qui comprennent de nombreux domaines et aspects dont  : le renforcement du système du renseignement, une coopération active avec les partenaires étrangers, en ciblant des pays clés dans des régions prioritaires (en Europe : FranceBelgiqueAllemange… au Maghreb : MarocTunisieAlgérie…), l’établissement d’un pacte national antiterroriste qui inclut tous les partis politiques espagnoles, etc. Comme le royaume espagnole, la Mauritanie s’est engagée avec force,  elle aussi, depuis l’accès au pouvoir du Président de la République actuel, Mohamed Ould Abdel Aziz, dans une politique antiterroriste résolue. Sa stratégie, multidimensionnelle est citée par de nombreux observateurs en exemple dans la région. Mais sur le plan intérieur, contrairement à ce que l’on observe en Espagne, cette politique ne bénéficie pas du même niveau d’engagement chez les acteurs politiques locaux. Bien que les citoyens en général la saluent, l’apprécient et y adhèrent, cette politique ne mobilise pas suffisamment tous les membres du camp de l’opposition. En effet, que l'on soit "pour" ou "contre" le regime, tout le monde se déclare naturellement contre le terrorisme. Toutefois les partis de l’opposition dite « radicale » se contentent de le dire des bouts des lèvres, et reservent leur combat au régime, qu'ils traitent, non pas comme adversaire, mais plutôt comme un "ennemi dangereux" à detruire coûte que coûte. Ils vont même jusqu’à mettre en cause l’opportunité de l’approche sécuritaire antiterroriste. Accusant les autorités de mener un « combat colonial par procuration », ils ont cherché à semer le doute quant à la la legitimité du combat du pays contre le terrorisme. 

Engagements militaires extérieurs réduits. L’Espagne s’est retirée en avril 2014 de la coalition militaire en Iraq dirigée par les Américains. Elle ne participe pas non plus à la coalition internationale qui engage aujourd’hui des moyens aériens contre l’Etat Islamique (EI) en Iraq et en Syrie ; coalition encore dirigée par les États-Unis. Comme elle, la Mauritanie est prudente, s’agissant de l’engagement militaire contre le terrorisme sur des champs d’opérations extérieurs. Les autorités de Nouakchott n’ont pas pris part aux forces internationales, d’abord africaines, puis onusiennes, qui interviennent au Mali contre les groupes armés terroristes, au côté de la force militaire française. Le non engagement militaire des deux pays contre le terrorisme en dehors de leurs territoires offre des arguments en moins aux groupes jihadistes implantés au Moyen Orient et au Mali.

Des ressortissants jihadistes au sein de l’EI relativement peu nombreux. Les Espagnoles qui ont rejoint l’EI en Iraq et en Syrie comptent parmi les moins nombreux, comparativement aux principaux pays fournisseurs de l’Europe occidentale. Sur une échelle de classification de ces pays, établie en 2016 selon le nombre de leurs ressortissants qui combattent au sein de l’EI, l’Espagne occupe la 8ème rang derrière la France, l’Allemagne, le Royaume Uni, la Belgique, la Suède, l’Autriche et les Pays Bas.  C’est dire qu’elle n’est pas la plus affectée. Sur ce plan, la Mauritanie la rejoint ou se classe mieux qu'elle dans la région du Maghreb où elle occupe une très bonne place. On estime le nombre de jihadistes maghrébins de l’EI à 5000 combattants qui viennent essentiellement de : la Tunisie, le Maroc,  l’Algérie et la Libye. C’est-à-dire les pays de l’UMA ( Union du Maghreb Arabe) à l’exception de la Mauritanie. On remarque en effet la rareté - voire la quasi absence- des sources médiatiques internationales qui donnent des indications sur les ressortissants  mauritaniens ( noms, nombre…) qui ont  rejoint Daech. Les déclarations officielles des autorités du pays, vont dans le même sens. Elles confirment l’absence de Mauritaniens dans les rangs de l’EI. Signalons quand même que cette affirmation ne prend pas en compte quelques Mauritaniens dissidents d’Aqmi qui ont rejoint la branche de Daech en Libye. Notons en fin que le rythme de recrutement de Mauritaniens par les groupes jihadistes implantés au Sahel – notamment au Mali- semble avoir beaucoup faibli depuis quelques temps. Et ce recul a dû certainement porter préjudice aux capacités opérationnelles de ces groupes contre le pays et concourir ainsin à cette espèce de « trêve » non declarée qu’ils observent à son égard. 

Réémergence de la menace terroriste. La conjugaison de l’ensemble des facteurs évoqués précédemment a certainement contribué dans de bonnes proportions à ''calmer les ardeurs'' des terroristes au point de les empecher de s'attaquer directement à l'Espagne et à la Mauritanie durant ces dernières années. Cependant, la menace n’a jamais disparu. Bien au contraire, tout indique que malgré que ces pays aient été épargnés par le terrorisme depuis quelques temps, ils ont toujours été et restent dans son collimateur, et que la "trève militaire" que les groupes jihadistes ont observée à leur égard peut voler en éclat à tout moment. Telle est la première évidence que rappellent les dernières attaques terroristes de Barcelone à la voiture belier, bien qu'il soit encore trop tôt pour en tirer tous les enseignements.   

Retours des jihadistes. Le retour dans leurs pays d’origine de jihadistes qui se retirent du Moyen Orient, de la Libye, ou d’autres régions du monde,  présente un grand danger, tant pour ces pays que pour d’autres régions du monde. Les pays fournisseurs dont l’Espagne le redoutent beaucoup. Les autres pays, non fournisseurs ou faibles fournisseurs, comme la Mauritanie, ne doivent pas s’estimer à l’abri d’un tel risque dont les conséquences sont multiformes. Après leurs séjours au sein d’unités terroristes combattantes et systèmes inhérents, les jihadistes apprennent à recruter, à établir des réseaux. Beaucoup parmi eux deviennent experts en la matière grâce à internet et aux NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) : dans l’établissement des liaisons et dans le tissage de réseaux à distance. Les pays « calmes »,  où les citoyens sont peu au fait de ce genre de risque à cause de la faiblesse de la fréquence des attentats terroristes chez-eux, constituent des cibles privilégiés. La Mauritanie, comme l’Espagne,  en font partie du fait qu'ils ont été éprgnés par le terrorisme depuis quelques années et que leurs populations, voire leurs autorités, se sont accoutumées avec l'absence de menace terroriste.

Se préparer à devenir un nouveau champ d’opérations terroriste. D’ores et déjà, il semble que les coups et revers subis par l’EI et les groupes armés dits « islamistes » au Moyen Orient et dans les pays du Maghreb, notamment en Tunisie et en Libye, risquent de conduire ces groupes à ouvrir des champs d’opérations dans d’autres régions du monde où leurs actions terroristes étaient relativement peu fréquentes jusu'à présent. Les pays qui étaient épargnés depuis un certain temps seront alors des cibles privilégiées. L’Espagne a commencé depuis hier à vivre ce risque en renouant avec les attaques terroristes. Sa réaction a montré qu'elle recèle beaucoup de potentialités et d'efficacité. Néanmois le retour sur expérience n'est qu'à ses tous débuts. L'analyse de ces attaques et de la façon dont  elle ont été traitées ne manquera certainement pas de faire ressortir des failles dans le système de défense et de sécurité espagnole. La Mauritanie aussi doit à son tour s’y préparer. Elle doit revoir son approche antiterroriste à la lumière de cette nouvelle donne : elle ne doit pas oublier qu'elle reste un champ d'opérations potentiel pour le terrorisme. Il faut qu’elle fasse tout pour qu’elle ne soit pas la prochaine cible des groupes armés jihadistes : l’EI ou d’autres groupes quelle que soit leur obédience. Outre les mesures et moyens de prévention, elle doit  se doter d’outils d’intervention efficaces pour faire face à la menace au cas où celle-ci se produise. Comme il est en effet impossible aujourd’hui de se mettre totalement à l’abri d’une attaque terroriste, il faut se préprer à affronter l'éventualité en mettant au point les moyens nécessaires: des forces d'intervention militire, les secours d'urgence, les moyens sanitaires, les moyens de communication de crise, les moyens et systèmes de résilience... 

Pour conclure, je répète une fois de plus : la menace persiste. Tout indique aujourd'hui qu'elle risque de frapper là où on l'attend le moins, notamment dans les régions où le terrorisme semblait "marquer une pause". En Mauritanie, les attentats de Catalogne, à Barcelone et à Cambrils, doivent nous alerter pour que nous redoublions de vigilance et pour que nous nous préparions au pire, لا قدر الله (que le Bon Dieu nous en preserve).

   par le Colonel (E/R) El Boukhary Mohamed Mouemel, président d'un think tank mauritanien:  COTES ( Centre Oum Tounsi pour les Etudes Stratégiques).

 

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