Ma première rencontre avec Rayhana a eu lieu il y a quelques heures à Nouakchott, dans les locaux de la Bibliothèque Nationale. C'était hier après midi, lors d'une cérémonie de dédicace d'un roman : "Le tambour des larmes" de BEYROUK.
Je ne sais pas trop ce que pensent critiques et professionnels de la littérature de l'ouvrage. S’arrêteront-ils sur les problèmes de la société ou les questions sociétales ? En tout cas si tel est leur choix, ils y trouveront matière à travailler : condition de la femme, séquelles de l’esclavage, questions de mœurs, contrastes entre grandes villes et campagne, conflit entre modernité et traditions…y font saillie.
Quant à moi, je fus aussitôt attiré par autre chose : la narration du personnage principal. J’ai aimé l’accompagner dans son voyage, dans sa fuite. J'adore la force de ses mots, leur profondeur, leur poésie. Sa solitude créative m'enchante.
Je me demande si, en effet, la belle Rayhana n'est pas quelque part la voix du bel auteur, le vrai : l'écrivain, l’artiste.
N'est-elle pas l'écho de sa solitude, de son indignation ou sa revolte, de sa ténacité, de ses doutes ou ses lumières... ?
Et cette réflexion m’a fait penser à un second personnage très important, lui aussi, dans le roman : le bébé de Rayhana auquel elle s’accroche avec toute la force de l’amour maternel. Ce bébé que la tribu lui a arraché et caché quelque part, car conçu hors mariage.
Pris comme une forme d’expression symbolique, dépassant la simple représentation réaliste des phénomènes sociétaux bien concrets, ce bébé séparé douloureusement de sa mère ne serait-il pas ce cher projet artistique en gestation que tout auteur caresse quand il a du mal à coucher ses sensations ?
Mais, comme Rayhana, l'auteur y va, bravant risques et dangers, donnant libre cours à son imagination. Et rien n'arrêtera son inspiration tant qu’il n’aura pas retrouvé son bébé. Sa plume, son pinceau, sa caméra… lui pèseront toujours très lourd, ne lui laissant aucun autre choix que de les laisser éclater.
El Boukhary Mohamed Mouemel
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"Je fus tenté de m’arrêter un peu, pour souffler, pour me libérer de mon lourd fardeau, pour allonger les bras, secouer la tête, me palper le corps, pour aussi humer l’air, écarter les ombres de la nuit et écouter le silence du ciel. Mais j’y renoncerai vite et je pressai le pas. Ne point faiblir, ne point tomber, ne point m’oublier, même pas ma vraie douleur, là, ni ma colère, là, ni l’amour immense qui remue en moi, là ! je me répétais tout bas que j’étais bien moi, que je ne rêvais pas, que je n’étais pas une autre, que tout cela était vrai : j’avais bien rompu les amarres qui me liaient aux cultes, j’avais volé les contes, et les vanité de la tribu, je courais bien pour rattraper les songes qui perturbaient mes nuits. Je devais seulement leur échapper toujours, et rejoindre coûte que coûte les lumières invisibles, là-bas, et enfin la toute petite chose qui était en moi, le bout de rêve que personne n’aurait dû m’arracher ».
Beyrouk, « Le Tambour des larmes », (extrait).
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