Il y a quelques temps, je suis tombé sur un enregistrement sonore qui m’a beaucoup plu. Le réécoutant toujours, je m’évade fréquemment, emporté par la douceur des sons, par leur harmonie et par le calme et la générosité des deux intervenants, El Moktar Ould Meidah et Mohamedine Ould Sidi Brahim, dont les voix sont mises en onde. Ils me donnent de belles sensations que j’ai voulu partager, mais j’ai fini par ''divaguer'', parlant de choses que je connais plutôt mal. Quels délires !
Il s’agit de dire des ‘’trucs’’ qui se bousculent dans ma tête. Je cherche à les agencer sous forme d’idées personnelles étayées d’exemples concrets, mais je trouve beaucoup de peine à leur donner une contexture. Car, dès qu’il s’agit de musique, mon esprit, mal entraîné qu'il est, se tord quelque peu, à la fois confus et indocile.
Respectant sa dissidence ou plus exactement ses incertitudes, je tiens quand même à qu’elles ne débordent pas trop.
Je lui laisse donc la latitude de ‘’cracher’’ ce qui le traverse, de dire les choses comme elles viennent, justes ou erronées, sans toutefois trop pénétrer dans le ‘’jardin privé’’ du sujet qui m’interpelle.
Je ne demanderai pas en effet à notre art musical ''d’ôter'' tous les secrets dont il se couvre parfois certaines parties du ''corps''. Il ne m’expliquera pas par exemple l'énigme qui fait qu’il est à la fois populaire et très sélectif. Ma prudence de profane ne m’empêchera pas cependant de jouer un peu au ''provocateur'' en soulevant quelques points particuliers.
1. Deux écueils assez bien connus dans le pays imposent de sérieuses limites quant à mes goûts et passions artistiques :
a. «وَذْنِ ماهِ بَيظَ », littéralement : ''mon oreille n'est pas blanche''; c’est-à-dire que je n’ai pas l’oreille musicale qu’il faut, mon éducation sur ce plan ayant été largement sacrifiée au profit d’autres domaines, beaucoup plus ‘’prioritaires’’. Ne me demandez pas lesquels ! N’est-ce-pas tout homme de ‘’bonne famille’’ est sensé connaître ce que doit apprendre d'abord un '' fils de zwaya'' digne de considération comme bon jeune marabout ?
b. « لمرابط ماه صاحب إيكيو », un proverbe hassanya qui veut dire littéralement, ‘’le marabout n’est pas l’ami du griot’’. En interrelation étroite, avec l’écueil précédent, comprenons-le comme s'inscrivant dans la même logique qui n'accorde pas trop de place à l'art : la musique appartient à la caste des griots; une caste dont les membres sont assez libérés, ouverts et créatifs. Par contre, le marabout, lui, est plutôt dans l’orthodoxie religieuse et morale : conservateur et conformiste. Il doit donc s’éloigner des gens qui risquent de s’écarter de ‘’la voie juste’’. Chapeau, messieurs '' les directeurs de conscience'' à la mauritanienne !
2. Quand on écoute profondément les grands maîtres de la musique mauritanienne authentique et leur impact, on constate que les cloisonnements traditionnels par rapport à celle-ci sont réels, mais qu'ils ne sont pas aussi rigoureux qu'on le pense souvent. Mieux : ils s'estompent de plus en plus aujourd'hui. Certes, lentement mais sûrement. Illustrations et exemples sont nombreux : il suffit d’observer les échos d’El Moktar Ould Meidah, menant une séance d’apprentissage d’azawan – ‘’dourouss’’- avec une belle complicité pédagogique du fin connaisseur Mohamedine Ould Sidi Brahim, ou d'observer les échos d’autres icônes comme Ould Aawa, Ould Ahmed Zeidan, Ould Bowba Jedou… la liste est longue. Ils ont tous de grands auditoires parmi toutes les couches sociales.
3. ‘’Azzay’’ : il désigne ce flot de sensations et d’émotions indescriptibles que seule la musique classique fait naître chez le maure. Il définit en quelque sorte l'aptitude à l'’écoute artistique ; une aptitude qui naît et se développe plus ou moins bien selon la qualité de la culture ‘’azawanienne’’ de tout un chacun.
4. ‘’Azawan’’ : un concept fondamental qui structure la musique traditionnelle en Mauritanie. Sous ce vocable, probablement d’origine berbère, que l'on rencontre spécialement chez les maures, plein de choses restent à expliquer. Des approches générales comparables se retrouvent naturellement dans les autres communautés du pays, mais sous des appellations différentes.
5. Comment définir ‘’azawan’’ ? Personne ne vous le dira avec exactitude. On sait néanmoins que le concept couvre l’ensemble des sciences et techniques artistiques que doivent maîtriser les musiciens. Mais pas seulement : il englobe également les facultés d’écoute de la musique traditionnelle par ses propres ‘’fans’’. Il en découle que la qualité de ‘’mezzeywene’’ (qui connait azawane), s’applique aussi à ceux qui ont des connaissances théoriques en musique et qui ne la pratiquent pas. De ce fait, '' mezzeyiwene'' n’a pas de coloration de caste.
Voilà qui va dans le sens de la ''démocratisation'' de la musique vivement souhaitée par les nouvelles générations et voulue par l'Etat. Un principe auquel j’adhère totalement. Je ne suis toutefois pas dupe : je sais que pour y parvenir, il reste encore énormément de chemin à faire.
El Boukhary Mohamed Mouemel
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