Dans un long discours écrit en arabe, Abou Al Houmam, l’émir de l’Emirat du Sahara, développe ce qui semble être la vision stratégique de son organisation, en choisissant de s’adresser à un site mauritanien, "Al Akhbar", pour faire passer son message sous forme d’interview. Il ne fait aucune révélation digne de ce nom dans cette sortie médiatique. Et le journaliste anonyme qui l’aurait interviewé à distance ne semble pas être trop exigeant sur ce plan. Il se contente apparemment de réaliser un ‘’joli scoop’’ en recueillant les propos de ce personnage dangereux, aussi "traqué" que difficile à rencontrer, qu'est monsieur Jemal Oukacha, de son nom de "djihadiste" Abou El Houmam ! Une occasion qui, journalistiquement parlant, n'est pas donnée à tout le monde, devrions-nous le reconnaître.
Cependant, l’analyse du discours du Chef des " djihadistes" d’AQMI dans le Sahel qui, manifestement, a été soigneusement préparé, apporte quelques modestes éclairages sur la tactique de l’organisation, notamment son attitude vis-à-vis de la Mauritanie. Sur ce point précis, les propos de celui qui fut le terroriste le plus sanguinaire vis-à-vis des soldats mauritaniens, notamment à Tourine, à El Ghallawiya et à Hassi Sidi… semble parvenir à semer de la confusion dans certains esprits.
En effet, Abou El Houmam a sorti une phrase ‘’suspecte’’, dans laquelle quelques lecteurs ont cru percevoir une allusion à un ‘’contrat de paix tacite avec la Mauritanie’’. « En ce qui concerne, dit-il, les pays de la région dont les soldats n’ont pas pris part à cette guerre de croisés, et qui ont observé une attitude neutre à notre égards, nous nous comporterons avec eux de la même manière ».
En lisant ces mots, certains médias du pays sont allés trop vite pour y déceler une soi-disant ‘’ neutralité bienveillante ‘’, et d’en déduire que la Mauritanie ne constituerait plus un objectif militaire ou politique pour AQMI ; car elle n’a pas envoyé des forces ‘’combattre au côté des Français’’, selon leur interprétation des propos du chef d’AQMI dans le Sahel. Malgré les équivoques, certainement voulues et entretenues par ce dernier, et assez perceptibles dans ses propos, cette lecture ''pacifiste'' des propos d'Abou El Houmam ne nous semble pas la bonne pour plusieurs raisons :
- L’Algérie, la Tunisie et la Libye n’ont pas envoyé de forces militaires combattre au Mali dans le cadre de la coalition internationale. Cela n’a pas empêché ces pays d’être fréquemment attaqués par AQMI, chaque fois que celle-ci trouve l’occasion ou la possibilité de le faire. Pourquoi la Mauritanie aurait- elle plus de faveur qu’eux ! Pour quelle raison benéficierait-elle de plus d’indulgence de la part du dirigeant de « l’Emirat du Sahara », lui qui s’était toujours distingué les années passées par sa fougue sanguinaire et par la haine profonde qu’il porte en lui contre les militaires et l’Etat mauritaniens !
- Dans son ‘’discours/interview’’, Abou El Houmam a par trois fois au minimum, lancé un appel aux Chinguitiens (الشناقطة ), le non historique des habitants de Mauritanie, les priant, eux et leurs ulémas, de le rejoindre dans ce qu’il appelle le ‘’djihad’’. On comprend à travers ce message qu’AQMI, non seulement n’est pas neutre vis à vis de la Mauritanie, mais en plus, son chef dans la région cherche à entraîner tout le pays ou le maximum de ses citoyens dans les périls du terrorisme.
- De 2005 à 2011, la Mauritanie n’appartenait à aucune coalition contre Aqmi. Cela ne l’a pas empechée de subir douloureusement les attaques meurtrières de l’organisation terroriste qui l’a agressée plus de 13 fois. Nous en rappellerons : Lemreity, Al Ghallawiya, Tourine… où les militaires mauritaniens furent égorgés comme des moutons, sans que l’Etat ne puisse faire quoi que ce soit. L'incapacité de l'Etat face à ces actes odieux était terriblement affligeante pour tous les Mauritaniens ! Il faut reconnaître qu'à l’époque, le pays était sans vision stratégique, sans moyens de défense réels et sans doctrine d'emploi des forces. Ces carences dangereuses du système sécuritaire avaient effectivement fait du pays la cible préférée de cette organisation terroriste au point que géopoliticiens et stratégistes pensent qu’AQMI voulait s’implanter en Mauritanie : y installer des centres d’entrainement, des chantiers de fabrication d'explosif et d'assemblage d'rmement, y disposer de bases arrières, des réseaux de recrutement, des structures d’accueil…
- AQMI, Daech, Bokou Haram ou tout autre groupe terroriste sont des opportunistes. Ils exploitent les failles dans les systèmes de défense et de sécurité des Etats pour les attaquer, ou pour s’y implanter quand il s’agit d’ « Etats faillis » ou d’Etats qui connaissent une instabilité politique grave. Pour se prémunir contre de telles situations périlleuses, les autorités mauritaniennes, grâce à la determin ation du Président de la république actuel, Mohamed Ould Abdel Aziz, suivent depuis plusieurs années une politique volontariste en matière de lutte antiterroriste. Une approche qui, à ses débuts, semblait ‘’déroutante’’ pour certains politiciens nationaux au point qu’ils l’avaient qualifiée de ‘’ guerre coloniale par procuration '', reprenant exactement les mêmes termes qu'emploient Abou El Houmam et son organisation dans leur propagande à l'encontre de l'Etat mauritanien et ses dirigeants quand ils défendent leur pays contre les agressions terroristes. Aujourd’hui, tout le monde, y compris les détracteurs et les sceptiques d’hier, font le même constat : depuis cinq ans le rempart antiterroriste mauritanien fonctionne bien, faisant preuve d’efficacité. Pour autant, les groupes terroristes ont-ils abandonné définitivement leur rêve de s’implanter en Mauritanie ? Leur animosité à l'égards du pays s'est-elle éteinte ? Certainement pas.
- Les groupes terroristes sont aujourd’hui mondialisés, et ils auscultent la Mauritanie à la loupe, comme ils le font partout ailleurs, cherchant le moindre indice de faille qui leur permette de s’infiltrer dans le pays. Une infiltration qui pourrait d’ailleurs se faire à l’insu même des organisations terroristes : internet ‘’fabrique’’ des autos radicalisés, des « loups solitaires », se réclamant de groupes terroristes avec lesquels ils n’ont pas forcement de rapports physique ou organisationnel. Mais aussitôt que ces ‘’loups solitaires ‘’ émergent, l'organisation dont ils portent la bannière les bénit, publiquement ou clandestinement. AQMI, Daech et tous les autres groupes guettent toute occasion de ce genre, y compris en Mauritanie. De ce fait, le cyberspace constitue un champ de bataille très favorable au terrorisme et aux criminels de tout genre. Il est suicidaire de le négliger. La Mauritanie doit s’y investir en surveillant et en bloquant, le cas échéant, les forums ou sites présentant des menaces pour la sécurité du pays. Elle doit savoir qu'il s'agit d'un chantier prioritaire difficile, et, en conséquence, mettre en place les moyens qu'il faut pour relever ce défi complexe, à la fois, sécuritaire et technologique.
En conclusion, la Mauritanie reste bel et bien un objectif pour AQMI et pour le terrorisme international. Cependant, pour atteindre sa cible, AQMI, qui est toujours le groupe le mieux implanté dans la région, et qui s’est frotté beaucoup aux forces armées mauritaniennes par le passé de manière lui permettant d’estimer la détermination des dirigeants actuels du pays et de s’en méfier, a tout intérêt aujourd’hui à que l'Etat baisse la garde. C’est dans ce sens qu’il y a lieu d’éviter de tomber dans le piège des fausses assurances données par l’ennemi. Il est fort probable qu’Abou Al Houmam en distille dans son dernier discours. Il faut donc doubler toujours de vigilance pour ne pas subir des surprises militaires et politiques dramatiques qui rappellent douloureusement celles de Lemreity, d’Al Ghallawiya ou de Tourine.
El Boukhary Mohamed Mouemel