Dans un coin oublié de Nouakchott, au quartier H, se cache un marché insolite où des vendeurs informels proposent, au kilo, des morceaux de mémoire nationale. Les vieux journaux et archives, jadis témoins de l’histoire de la Mauritanie, sont désormais échangés contre quelques ouguiyas, pour finir comme emballages ou protections dans des ateliers de tôlerie et de peinture.
Ce quartier, connu autrefois sous les noms de « marché aux charbons » et de ‘’marché des broyeuses de grains’’, est devenu une sorte de dépôt pour des archives et des documents précieux exposés à la vente. Situé sur d’anciennes avenues principales - Kennedy, Ely Ould Mhaimid, Bakary Magha - aujourd’hui renommée, populairement, “charee rizigh” ou “rue de la chance”, ce lieu porte les traces d’un passé où s’entremêlent l’histoire et le quotidien. Ici, entre détritus et bâtiments délabrés, d’importants pans de la mémoire nationale se transforment en simples matériels de récupération, sans le moindre intérêt pour leur valeur historique.
Ce qui surprend le plus, c’est la richesse de cette paperasse oubliée. On y trouve des documents d’une rareté inestimable : rapports sur l’éducation, la santé, l’urbanisme, correspondances officielles de divers départements (comme la lettre ci-dessous notifiant la décision historique de nationalisation de la MIFERMA), revues d’époque, et même des articles de presse et reportages que l’on croyait disparus. Ces pièces, vestiges de notre histoire administrative et sociale, sont là, mal déposés à même le sol et mal rangés devant et /ou dans de vieilles boutiques ou baraques en tôles, accessibles à tous ceux qui prennent la peine de fouiller dans cet environnement infect, poussiéreux et insalubre, moyennant de surcroit le versement de quelques sous.
Alors que les bulldozers ont rasé les anciens bâtiments administratifs de ce quartier, il ne reste aujourd’hui que le chaos, un marché de bric et de broc envahi par les ordures. Des lieux historiques autrefois occupés par des administrations, des habitations et même une caserne de musique militaire, ne subsiste désormais que ce marché dégradé que fréquentent des vendeurs informels et des semblants d’ateliers de bricolage.
Un triste spectacle d’une mémoire nationale jetée aux oubliettes qui soulève bien des questions cruciales : Comment préserver notre histoire ? Comment assurer que notre passé ne soit pas vendu en morceaux au marché au kilogramme ?
Cette négligence collective invite à la réflexion : il est peut-être temps de redonner leur dignité aux archives du pays, de leur accorder l’espace qu’elles méritent dans nos bibliothèques, plutôt que d’en faire un très mauvais ‘’recyclage’’ de poubelles qu’amassent et exposent des marchands sans scrupule dans les ruelles de Nouakchott.
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