L’apparition des légendes dans la vie des sociétés humaines, est affaire de longue durée : des générations, des siècles…. Or nous avons assisté le 22.12.2015 à l’apparition en quelques heures de la Légende Ahmedou Ould Abdelaziz.
Le 21, l’immense majorité de ses compatriotes ignoraient son existence. Le soir même (ou le lendemain), presque tous le pleuraient. Le 24, la légende AHMEDOU était devenue une ICÔNE patriotique, objet d’une dévotion d’un genre inconnu dans ce pays, ni religieuse nipolitique ni … matérialiste. Appelons-la IDEALISTE (parce que, sans doute répondant inconsciemment à un manque, un vide immense notamment chez des jeunes et autres citoyens restés sains ; nous avons d’ailleurs utilisé spontanément – instinctivement - le terme « patriotique »). Ajoutons, pour compliquer un peu plus l’équation – en ces temps où presque tout se fait par intérêt, pour ou contre les Pouvoirs en place - que cette apparition quasi-miraculeuse ne doit rien à la propagande et que la « dévotion » en question semble bien, comme le fameux « bon sens », également partagée dans les différents camps (Majorité, opposition, riches, pauvres …)
Il y a là un phénomène assez inhabituel pour justifier qu’on y consacre une recherche sérieuse afin d’en comprendre d’abord les causes et aussi, les éventuelles conséquences. Cela tombe bien, au moment où le gouvernement a la bonne idée de consacrer unimportantprogramme à la « REVITALISATION DES VALEURS NATIONALES ».
Sans attendre les résultats d’une recherche approfondie (et multidisciplinaire), je voudrais livrer quelques remarques et réflexions simples.
Les premières informations, observations, témoignages relatifs à Ahmedou donnaient toutes une impression générale de pureté, de bonté, d’éloignement du monde de la politique, du Pouvoir, des intrigues … Mais en même temps, il était bien présenté comme étant « le fils de … » Le paradoxe, c’est que cette « identité »-là, cette identification au Pouvoir, au lieu de nuire à son image, l’a au contraire fait ressortir, briller, exploser comme si la violence du contrasteentre le milieu dont il est censé être sorti et le résultat final, ajoutait à la qualité sans tache, apparemment inaltérable de cet « ovni » dont personne nesemble deviner le mystère. Non seulement « la Légende » n’a pas souffert de la proximitéavec le milieu par définition controversé de la Politique et du Pouvoir, mais parcontrel’image du Père est sortie nettement confortée de la dramatique épreuve.
Il est vrai que le Président Aziz a eu tout au long de ces quatre jours de deuil un comportement que d’aucuns qualifient « d’exemplaire » : dignité dans les attitudes, sobriété dans les paroles, volonté manifeste – presqu’ostensible – de maintenir le fonctionnement de l’Etat à l’abri des contingences de la vie personnelle ou familiale de son Chef (au point de refuser d’interrompre une réunion qu’il présidait au moment où il a reçu l’annonce du décès de son fils).
Mais qui était donc « AHMEDOU », cet inconnu désormais présent dans notre vie, y compris nationale ? C’est à partir de témoignages individuels d’amis, avant tout d’anciens condisciples en Mauritanie ou à l’étranger, que s’est construit par touches rapides un personnage d’une grande simplicité, d’une modestie tellement inhabituelle dans sa position qu’elle semble avoir été déterminante dans tous les jugements le concernant. « Quand on ne le connaissait pas, on ne pouvait pas deviner qu’il était « fils de … ». Il n’en faisait jamais état et son comportement était aux antipodes de ceux qui sont devenus courants chez lesfils de « lbatârîn ». Il était généreux sans être prodigue, serviable … surtout serviable, toujours prêt là où il faut se dévouer pour aider, secourir, sauver … sans bruit, sans tapage. La DISCRETION était l’une de ses marques de fabrique … ».
Ce témoignage résume un grand nombre de ceux que nous avons entendus dans les différents lieux de condoléances quenous avons visités les 23 et 24 Décembre : d’abord comme il se doit chez le Grand Père Abdelaziz, supportant avec beaucoup de dignité l’écrasante douleur qu’on devine ; ensuite chez l’oncle Cheikh Neama Ould Malaïnine Ould Ahmed « remplaçant » le grand absent –l’autre grand père El Hajj Malainine et son épouse ElHAJJA Oum Tbeibib ; Cheikh Neama, l’oncle intarissable sur ce neveu bien-aimé, qualifié notamment « d’enfant précoce » : « un surdoué ? » - En tout cas d’une maturité très rapide, avant l’âge … » ; troisième étape chez le beau-père qui se trouve être Ahmed Ould Sidi Ali, le fils de mon ami feu Mohamed Ould Sidi Ali chez qui j’ai l’agréable surprise de trouver Mariem ment Mohamed Ould Cheikh Ould Ahmed Mahmoud (autre très très grand ami disparu). J’ai appris par la suite (trop tard pour y aller) qu’il y avait une autre « taaziyya » chez d’autres amis :l’une des tantes, Aichetou ment Ahmed et son mari le Sénateur Yahya Ould Abdelqahhar. En fait, d’innombrables foyers mauritaniens ont servi de lieux spontanés de condoléances et de prières pour l’âme de ce disparu qui a commencé depuis sa mort à vivre pour toujours dans le cœur de millions de Mauritaniens
Bien d’autres récits, anecdotes, révélations – vraies ou « rêvées » ou enjolivées, toujours belles en tout cas et … crédibles – ont contribué à donner très vite à la Légende une épaisseur que seul le temps donne, normalement. Mais nous avons sans aucun doute affaire à un Phénomène hors du commun. L’une des dernières « révélations » que je qualifierais de manière peut-être trop familière de « cerise sur le gâteau » et qui, si elle se vérifiait, donnerait à ce personnage insolite une tout autre dimension, concerne sa Fondation « RAHMA », dont le financement ne serait pas d’origine mauritanienne ! Il s’agirait d’amitiés extérieures (arabes ?) tissées par Ahmedou à l’étranger, au cours notamment de ses études londoniennes (dont il a rapporté par ailleurs un adorable petit garçon prénommé Hamza).
Reste l’énigme que constitue sa vocation sociale : pourquoi un jeune de son âge devant lequel toutes les carrières, toutes les vocationsétaient ouvertes « s’enfermerait-il » déjà dans un métier aussi …austère ? J’avoue que j’étais comme tout le monde étonné par ce choix étrange pour son âge et … le reste jusqu’au moment où, au cours d’une discussion, quelqu’un a rappelé le nom de son grand père : Malainine. « Eurêka ! Mais c’est bien sûr ! c’est Malainine ! ». Là je voudrais me permettre d’ouvrir une parenthèse personnelle. En effet, Malainine est un de mes amis les plus anciens, peut-être LE plus ancien. Cela date des années 1940-1950 (Médersa d’Atar, Collège de Rosso, puis AJM et NAHDA…). Ce n’est cependant pas le lieu de raconter notre vie : je me contenterai donc d’évoquer des aspects ayant à voir avec notre sujet. Nous étions extrêmement liés, intimes, et je puis témoigner que Malainine était, pour tout résumer, un « chabboun nachaa fi taatillah ». Il avait en fait deux préoccupations majeures : la prière et le service des autres. Quelles que soient ses occupations dans la journée et la soirée (parfois « frivoles » comme les jeunes de notre âge) il ne pouvait se coucher avant d’avoir accompli toutes ses prières « fard » de la journée ET ajouté quelques « nawafel ». Je l’ai retrouvé à St-Louis (à l’époque capitale de la Mauritanie coloniale). Fonctionnaire dans les services financiers, il passait le plus clair de son temps à courir d’un service administratif à un autre pour rendre service à des citoyens mauritaniens ou sénégalais ayant des problèmes. Bénévolement, bien sûr. A partir de 1960, c’est au Maroc qu’il a continué à développer cette vocation et il a bénéficié de circonstances lui permettant de rendre d’innombrables services à ses compatriotes d’origine, auprès du « MAKHZEN » et, notamment, de favoriser la formation de générations de cadres mauritaniens… Je l’ai retrouvé quelques décennies plus tard à Nouakchott : toujours les mêmes préoccupations dominantes. Le temps de la prière n’a pas diminué, au contraire… de même que celui consacré au service des autres. Jusqu’à cette année de grâce (et, hélas, de deuil) 2015.
La vie d’AHMEDOU comporte un témoignage non négligeable à l’avantage de ceux qui l’ont« éduqué » ; ses parents ne peuvent qu’y avoir toute leur part. Quelle fut celle des grands parents ? Elle n’a pu être nulle. Je sais encore par cœur nombre de poèmes appris de mon grand-père (maternel !) alors que je ne savais pas encore écrire (même en arabe !).
Il ne s’agissait là que d’un rapide témoignage et non d’une « étude ».
Ahmed Baba Miské