‘’L’élite n’a pas sa place dans la cite, si elle n’est pas d’abord conscience. Elle doit certes empêcher les pouvoirs de contraindre les esprits, mais elle doit aussi entrainer ces mêmes esprits à la reflexion.Elle doit être en partie égales un veilleur et un éveilleur ; en quelque sorte un intercesseur. Si donc il convient, le débat s’institue entre le pouvoir et les autres, son rôle n’est pas de le passionner mais d’y introduire la raison.
‘’ L’élite doit exciter les esprits mais apaiser les passions. L’élite doit réveiller ceux qui dorment. La difficulté de sa situation et ce qui la rend suspecte à tous les camps, c’est qu’elle ne peut être inconditionnellement du parti de l’un deux.’’ Roger Bésus
Nous fêterons dans quelques jours Inch’Allah, le 55ème anniversaire de l’indépendance nationale.
Certes, nous avons aujourd’hui plus de ressources humaines et matérielles que les pionniers de notre indépendance. Il est aussi vrai que le monde a énormément changé entre-temps, que les défis sont d’une autre nature, que les générations nouvelles ont subi le moulage de la société de consommation et du monde virtuel ; mais cela ne saurait être une excuse pour ne pas puiser dans l’héritage laissé par ces pionniers, surtout le faisceau de principes et de codes moraux qui peuvent nous aider a bâtir de grands et perdurables projets d’avenir :
- Le sacrifice et le surpassement de soi pour que l’intérêt supérieur de la nation transcende toutes les autres préoccupations.
- L’édification d’un pont solide entre les peuples du sud et du nord du continent africain dont les Mauritaniens sont la synthèse.
- La consécration de la méritocratie, la probité, le patriotisme et la valeur intrinsèque comme seuls et uniques critères pour l’accès à toutes les fonctions et distinctions nationales.
- Le pari sur la mise en valeur de la femme et de l’homme mauritaniens à travers ce qu’ils ont en commun de mieux : l’honneur, la fraternité et la justice.
- La foi profonde et inébranlable en l’avenir de ce pays, si pauvre et fragile à sa naissance.
Si de leur legs nous ne reprenons à notre compte que cette unique valeur : la profonde et inébranlable foi en l’avenir de ce pays, si pauvre et fragile à sa naissance, nous pourrons réaliser beaucoup de choses pour notre peuple.
Rappel historique : La colonie française de Mauritanie et son environnement géostratégique[i].
Deux périodes nous semblent intéressantes à évoquer pour souligner le caractère très particulier du processus qui enfantera la Mauritanie actuelle. Ils concernent la Mauritanie, comme colonie française, puis la Mauritanie indépendante qui se bat, ‘’contre ventes et marées’’[ii] pour exister en tant que nation jouissant de tous les attributs d’une souveraineté totale.
La colonie de Mauritanie ou ‘’l’ensemble mauritanien’’
Il est plus approprié de parler de ‘’l’ensemble mauritanien ‘’‘réuni par décret sous cette appellation ; cet ensemble dont certains pans ont été rattachés au Soudan français, l’actuel Mali jusqu’en1945.
Ce n’est qu’au début du siècle dernier que la France a fait de ‘’l’ensemble mauritanien’’ une colonie, poussée par des exigences géostratégiques. Par cette colonisation relativement tardive, elle voulait contrôler un territoire situé entre ses colonies du nord et celles du sud ; un territoire qu’elle voyait comme un ‘’no man’s land’’ dangereux, constituant un foyer de tensions, susceptible de troubler sa quiétude et sa mainmise sur ses colonies
La colonie de Mauritanie était administrée par un Gouverneur qui gérait le territoire à partir de ses bureaux situés à St Louis, au Sénégal voisin. L’administration implantée sur le territoire mauritanien était, quant à elle, confiée à des commandants de Cercle, ou de subdivisions selon le cas. Ces administrateurs, souvent militaires, étaient installés dans des bureaux greffes à des Ksour anciens ou de petites villes connaissant un essor commercial. La justice civile était confiée à un juge résidant dans le chef lieu du Cercle. Ce juge était doublé d’un cadi. Les chefs de groupements nomades (unités montées sur chameaux ou sur chevaux selon l’endroit) avaient qualité d’officier de police judiciaire. Il y’avait parfois des garnisons de l’armée française installées dans des forts et souvent dans les zones frontalières des pays voisins. Il y’avait aussi l’interprète, le tresorier, l’infirmier et quelques enseignants en fonction de la demande de scolarisation qui n’était pas fréquente dans certains endroits.
On peut dire que l’administration française n’a pas touché aux coutumes, aux langues et à la religion des Mauritaniens. Elle a été surtout une administration de maintien d’ordre et de défense des frontières mauritaniennes. Le peu d’impôt que fournissait le territoire mauritanien était loin de couvrir les charges qu’entraine son administration.
La France n’a pas réalisé d’infrastructures en Mauritanie. Ce n’est qu’après le choix de Nouakchott comme future capitale du pays que la France a commencé à aider la Mauritanie dans tous les domaines. Cette aide continuera après que le pays ait accédé à l’indépendance. Elle se doublera d’un intérêt tout particulier pour notre sécurité nationale à chaque fois que la France estimait celle-ci menacée.
La colonisation française n’a rien changé aux structures sociales qui prévalaient dans l’ensemble mauritanien, hormis le maintien de l’ordre. Cet ensemble était une juxtaposition d’émirats, d’almamiats ou de grands ensembles tribaux prédominants sur certaines contrées du pays. Il n’y avait ni Etat centralisé, ni armée, ni structures administratives. C’est pour toutes ses raisons que la Mauritanie était en retard sur tous les plans, comparativement à ses voisins du nord comme du sud.
Au nord ‘’ La régence d’Alger était un Etat fort avec toutes ses structures. Il fut plus tard sous protectorat ottoman jusqu'à l’invasion française de 1830 et sa colonisation. Le dernier Dey régnant sera chassé et remplacé par un Résident général, gouvernant l’Algérie. La Tunisie connaitra le même processus et son dernier sultan ottoman, Lamine Bey, sera destitué peu de temps après l’indépendance avec la proclamation de la république par feu Bourguiba en 1957. La Lybie suivra elle aussi un cheminement comparable : Une longue période sous protectorat ottoman, puis une colonisation italienne dont elle sera libérée par les alliés à la fin la Seconde guerre mondiale. La monarchie d’Idriss Senoussi aura son indépendance avec l’assistance de l’Angleterre. Au Maroc régnait une très ancienne monarchie avec toutes les structures d’un Etat. Le roi acceptera mal le protectorat français qui voulait éroder son pouvoir. La France, de guerre lasse, lui accordera l’indépendance.
Au sud, les pays africains voisins étaient totalement administrées par la France depuis très longtemps en raison de leur fort potentiel économique que les compagnies françaises et les nombreux colons exploitaient. L’un d’entre eux, le Sénéga,l où la France s’était implantée depuis 1634, abritera la capitale de toute l’Afrique occidentale : AOF. Nos voisins du nord comme du sud, malgré les protectorats et la colonisation, ont bénéficié d’infrastructures, de traditions administratives et d’un enseignement de qualité. Au moment de leurs indépendances, ils comptaient déjà beaucoup de cadres : universitaires dans toutes les disciplines, officiers, magistrats, administrateurs, médecins, ouvriers spécialisés. Ils avaient des milliers d’étudiants dans toutes les spécialités dans les universités françaises.
Dans tous ses Etats existaient déjà des usines, une agriculture moderne et des exploitations minières. Malgré le joug colonial et les protectorats, les peuples de ces pays auront assimilé la signification de l’Etat, sa préséance sur les individus, les rapports avec l’administration, le respect des lois, la symbolique du drapeau, de l’hymne matioanl, etc. Même sous le joug d’un Etat colonial ou d’un protectorat, c’était déjà une grande expérience vécue pour ceux qui aspirent un jour accéder à leur souveraineté. En sus des contraintes d'ordre sociologique qui seront invoquées dans le thème :’’la naissance d’une nation’’, le peuple mauritanien qui voulait créer son propre Etat n’avait rien reçu de cet héritage que la colonisation léguera à ses voisins du nord et du sud leur facilitant grandement la tâche le moment venu d’accès à la souveraineté nationale. Pour toutes ses raisons, notre Etat privé de tous ces atouts, a accédé à l’indépendance alors qu’il était plus handicapé et plus fragile que tous ses voisins.
Naissance d’une nation
Après la promulgation de la loi cadre en 1956, une élite limitée a commencé à réfléchir, à se concerter, sur les étapes qui doivent mener le pays à l’indépendance après l’étape de l’autonomie interne. Les hommes politiques et les bonnes volontés commencèrent à prêcher dans des terreaux sociaux peu réceptifs au discours politique et à la notion d’Etat. La grande difficulté qu’ils rencontrèrent est que les Mauritaniens ne se connaissaient pas entre eux pour les raisons historiques suivantes.
Les régions de l’ouest et du sud mauritaniens entretenaient de puissants liens commerciaux, sociaux, culturels et de sang avec notre frère et voisin le Sénégal. Les régions de l’est avaient des liens de la même nature avec notre frère et voisin le Mali. Les régions du centre et du nord entretenaient des rapports du même type avec nos frères et voisins algériens et marocains. Toutes les ethnies et tribus de Mauritanie avaient des prolongements dans ces différents pays. Les liens étaient peu nombreux entre les habitants de cette colonie, si vaste : ils n’avaient jamais eu l’occasion de se rassembler, de se connaitre et de discuter de leur destin. Ce sera les congrès d’Aleg qui leur donnera cette première occasion. L’évènement réunira tout le corps social mauritanien. Il y’aura l’Emir, l’Almamy, le Cheikh, l’infirmer, le secrétaire, l’étudiant, le citoyen ‘’lambda’’ et les délégués des partis politiques existants. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maitre.
C’est dire combien l’enfantement de cet Etat a été réalisé dans des conditions difficiles et parfois avec de très grandes fâcheries avec tous nos voisins. L’équipe des patriotes-fondateurs, au delà de ses différences ethniques, tribales, regionales, ideologiques et les handicaps ci-dessus cités, a, ‘‘contre vents et marées,’’ décidé de porter sur les fonts baptismaux ce pays congénitalement fragile. Chacun a su taire certains particularismes comme offrande à cette naissance. La première Constitution, l’hymne national, les armoires de la republique, le type de regime, le nom du pays, le drapeau n’ont fait le consensus que grâce a la volonté de tous de faire des concessions parfois douloureuses mais dynamiques et patriotiques. Malgré les écueils rencontrés pendant la période où ils ont en charge le destin du pays, ils ont toujours donné la préférence au dialogue serein pour résoudre les problèmes, tant ceux qui se posent entre eux à propos des choix et orientations que ceux que rencontre le pays.
Contexte actuel.
Nous nous limiterons dans cette seconde partie, et de façon assez succincte, à deux aspects qui revêtent à nos yeux un grand intérêt aujourd’hui. Il s’agit de rappeler très brièvement, d’un côté, les risques et dangers liés aux replis identitaires, et, de l’autre, planter quelques repères et idées centrés autour de la conduite d’un dialogue politique fructueux pour le pays.
Replis et reflexes identitaires
Depuis quelques années nous voyons ressurgir des reflexes et des replis identitaires que nous croyons avoir enrayés en grande partie dès les deux premières décennies de notre indépendance. Les reflexes qui font surface portent les germes d’ethnisme, de caste, de tribalisme, de regionalisme, de chauvinisme idéologique et d’extrémisme religieux. Ils sont les plus dangereux pour les pays fragiles. Les générations qui les portent ignorent l’histoire et les valeurs séculaires du pays ; ce qui les rend perméables à toutes les formes de propagande dont ils deviennent à la fois victimes et vecteurs faciles consciemment ou inconsciemment. Le traitement approprié réside dans une approche objective du phénomène en vue récupérer tous ceux qui sont de bonne foi et de combattre, non par la violence mais par le discours et les actions, les réfractaires.
Dialogue politique
Depuis quelques années le pouvoir et l’opposition affirment, chacun de son côté, leur disposition au dialogue. Chaque fois des rencontres ont lieu et n’aboutissent pas. Les initiatives se multiplient pour servir d’intermediaires.Tout dernièrement chacune des parties a affirmé par les canaux les plus officiels que tout peut être objet de discussion et qu’aucune partie ne pose de préalables. Des contacts sont à nouveau renoués. A la veuille de la commémoration de cette indépendance, si difficilement acquise, le dialogue doit reprendre et aboutir à des résultats qui mettent en confiance les deux parties. Les équipes qui se sont déjà rencontrées et se connaissent doivent redonner au dialogue un climat emprunt de confiance mutuelle, de sérénité, de dignité, de responsabilité en excluant toute rancune et toute arrière-pensée. Le dialogue doit aussi nous sortir de la période des passions, des rancœurs et de l’intolérance tant au niveau de nos actes politiques que de nos discours. Chaque partie doit sortir rassurée que seul suffrage universel transparent et choix du peuple souverain seront les seuls arbitres de la dévolution du pouvoir. La tolérance et la pondération sont de vieilles traditions auxquelles s’est astreint ce peuple sunnite-malikite qui fait de la modération l’essence de tous les actes de sa vie, tradition qui lui a permis de tous temps de régler ses conflits mêmes les plus épineux.
En cette période de tourmente mondiale sur les plans sécuritaires et économiques et de dangers majeurs dans notre sous région, le devoir patriotique nous impose une pause pour :
- Bannir cette tendance que nous avons à nous entredéchirer et la transformer en un combat d’ensemble pour parfaire notre unité et sanctuariser notre pays contre les dangers intérieurs et extérieurs.
- Laisser de côté nos égoïsmes et nos nombreux replis identitaires et idéologiques
- Donner une image d’hommes de bon sens, de pondération et de consensus dans toutes nos actions et discours politiques.
- Faire plus de place pour notre pays et nos concitoyens dans nos cœurs, et non seulement dans nos discours de circonstances et de propagande politique.
- Transcender nos différents politiques et constituer un rempart infranchissable devant tout danger qui menace notre pays.
- Montrer que la pratique politique n’est pas une guerre de tranchées, mais une confrontation saine et civilisée d’idées et de propositions.
Ayons foi et confiance en l’avenir. Nous devons savoir que nos désaccords ne sont pas irréversibles ; ils constituent une résultante de nos égoïsmes conjugués à une démission collective de la part de nos élites. Une fois ces hypothèques levées, nous redeviendrons ce peuple de spartiates du désert et de la savane, héritier d’un passé glorieux dont les échos résonnent encore au Machregh, au Maghreb et en Afrique. Ce ne sont ni des fantasmes, ni des éloges non méritées.
Oui, nous sommes un peuple au passé glorieux. Il ne tient qu’à nous de lui assurer un avenir radieux, en ayant plus de foi en son destin.
Nouakchott, Novembre 2015
Brahim Salem Ould Elmoctar Ould Sambe dit Ould Bouleiba
[i] Le rappel historique ci-dessous, objet du chapitre ‘’ Rappel historique : la colonie de Mauritanie et son environnement géostratégique‘’, est tiré d’un article précédent écrit en septembre 2012 sous le titre ‘’Confession politique, une intelligentsia qui a perdu ses repères’'. Il est consultable sur cridem ou google, où l’on peut le lire dans son intégralité sous le lien suivant :
http://cridem.org/C_Info.php?article=634479.
[ii] Expression que j’empreinte au titre des mémoires du premier Président de la Mauritanie , Me Moktar Ould Daddah, que l’on considère comme le fondateur de l’Etat mauritanien : Moktar Ould Daddah, ‘’ La Mauritanie contre vents et marées’’, édit. KARTHALA, 2013.