Une diglossie ou deux images dissemblables d’une même et seule langue : l’arabe ?

Souvent, le matin, quand je me mets devant la glace pour faire mes toilettes, des interrogations et des sensations naissent en moi, renvoyées par les images de mon visage. Des questions m'envahissent, portant d’abord sur moi-même : mon physique, la lecture des signes révélateurs de ses mutations, de mon vieillissement…

Mais vite, la méditation finit souvent par déborder, me conduisant je ne sais où. Mon évasion m’amène fréquemment loin, très loin, au point de me heurter à des questions parfois trop complexes et trop profondes qui n’ont rien à voir avec le corps, et auxquelles je n’ai pas du tout de réponse.

Tout à l'heure, en lisant « Langues, savoirs et pouvoirs en milieu maure » de  Catherine Taine-Cheikh (sur la photo jointe), je me suis également senti comme si j’étais devant une glace, avec quand même quelques différences non négligeables.

En effet, là mon questionnement a fait le chemin inverse. Son point de départ n’a pas été les apparences physiques lisibles sur mon corps, mais plutôt les aspects culturels profonds fondateurs de mon être, notamment les apports civilisationnels qui l’ont façonné à travers l’histoire. Comme résultante de ceux-ci, l’auteure explique une diglossie dans laquelle je me retrouve effectivement quelque part.

 Je pense néanmoins que, comme partout ailleurs dans les pays arabes, les deux oralités évoquées par la chercheuse, bien qu’elles soient dissemblables, constituent deux images d’un même et seul objet : l’arabe. Et peu importent les agents qui les véhiculent : griots, Zwâya ou d’autres groupes ou structures sociales ou institutionnelles.

D'autre part, comme  le démontre si bien l'auteure, « l’arabe littéraire est lié (…) à l’oreille du marabout (…),  (et ) l’arabe dialectal associé à la bouche du griot ». Mais est ce que cette différenciation donne forcement lieu une hiérarchisation entre les deux modes d’expression linguistiques, à une subordination ou supprématie de l’un par rapport à l’autre? Et cette « culture de ruminants »  développée par les lettrés maures, n’existe-t-elle pas également un peu partout dans le monde arabe ? 

En émettant ces questions, ne serais-je pas moi aussi sous l’emprise de l’idéologie ambiante qui, selon l’auteure, fait que «  dans la Mauritanie contemporaine, la revendication de l’arabe fait figure de principe fondamental de l’entité maure »?

 Fort de cette prudence, je me dois d’écouter l’analyse de Catherine Taine-Cheikh. Car elle, contrairement à moi, sait parfaitement de quoi elle parle.

Linguiste, chargée de recherche au CNRS, elle développe ici un raisonnement académique bien mûri au sujet du rapport : arabe littéraire / dialecte dans la société maure ;  une question qu'elle étudie depuis longtemps.

Voilà comment elle-même résume simplement son approche, profonde et documentée, en deux phrases :

 « Cet article met en avant le caractère bicéphale de la culture arabe maure et l’opposition entre l’oralité de la culture en dialecte, symbolisée par le griot, et l’« auralité » de la culture en arabe classique, incarnée plus spécifiquement par les Zwâya. Il cherche également à comprendre comment cette diglossie s’est mise en place, au sein d’une population d’abord berbérophone, et pourquoi elle tend à être remise en cause à l’époque récente ».

El Boukhary Mohamed Mouemel

 

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