Dans un chapitre surprenant et explosif, l’auteur fait des révélations sur des complicités gravissismes avec le terrorisme dit « islamiste », en rapportant les confidences d'un "djihadiste", qui serait de haut rang, et qui fut son voisin de cellule en Côte d'Ivoire. Le nom du richissime homme d’affaires et opposant mauritanien Mustapha Limam Chafi y revient fréquemment. Les origines de la fortune de cet homme controversé fait l’objet de beaucoup de suspicions. Mais le prisonnier de la CPI (Cour penale internationale) semble avoir découvert le secret de son enrichissement énigmatique.
Arrêté le 17 janvier 2013 par la police ghanéenne, Charles Blé Goudé, ancien ministre de Laurent Gbagbo fut aussitôt extradé en Côte d’Ivoire. Il passera 14 mois dans les geôles de la DST à Abidjan. Puis, il sera remis le 21 mars 2014 à la CPI qui vient de l’acquitter il y a quelques jours avec l'ancien chef d'Etat ivoirien tout en maintenant paradoxalement les deux hommes en prison. Un maintien qui prolonge leur enfer. Mais battant, Blé Goudé reste optimiste, débordant d'energie.
« De l’enfer, je reviendrai », est justement le titre d'un ouvrage autobiographique qu’il a écrit depuis la prison de La Haye. Il y raconte des pans difficiles de son parcours, notamment le calvaire terrible de sa détention dans son pays. Une période au cours de laquelle il a croisé Mohamed, l’un des lieutenants du grand terroriste Moktar Bel Moktar, et échangé plusieurs fois avec lui. Ce que le "djihadiste" lui aurait raconcté sur la complicité financière de Blaise Campaoré, l'ancien président burkinabé, avec les preneurs d'otages et celle de son conseiller mauritanien, Limam Chaffi, l'a "laissé sans voix", selon les mots de Blé Goudé. Extrait :
« Revenons à ma relation avec mon voisin djihadiste. Il vient de la Mauritanie, pays à la fois arabophones et aussi francophones. Je lance alors le sempiternel « Bonjour mon frère » à Mohamed, une expression usuelle entre détenus pour essayer de briser le mur de la méfiance. À ma grande satisfaction, il me répond avec ce que je devine être un sourire : « Bonjour Monsieur le ministre. » Super ! Il parle français, me dis-je. Avant même que je formule mon souhait d’échanger avec lui sur quelques sujets de temps à autre en profitant des moments d’inattention de nos geôliers, Mohamed s’empresse de me dire qu’il était l’homme à tout faire de Mokhtar Belmokhtar, le patron de AlMourabitoune, une union de factions djihadistes qui sévissaient dans le nord du Mali et auteur de plusieurs prises d’otages. Moctar Belmoctar régnait en maître dans cette région. Durant les neuf mois que nous partageons à la DST, à travers les moyens de communication propres aux prisonniers, Mohamed m’apprend beaucoup sur bien des situations dont j’avais entendu parler de loin, ou même que j’ignorais tout simplement. Un jour que Mohamed s’arrête devant ma cellule, il me dit : « Monsieur le ministre, c’est dommage que je ne vous aie pas connu avant. J’aurais pu vous prévenir de tant de choses qui vous auraient évité bien des malheurs. » Intrigué, je lui demande : « De quoi aurais-tu pu me prévenir ? » Mohamed me raconte alors que l’attaque des 18 et 19 septembre 2002 (note COMAGUER : première tentative française de renversement du président Gbagbo) qui s’est muée en rébellion s’est plus ou moins préparée sous ses yeux, du moins avec des gens qu’il connaissait bien au Burkina Faso. Et Mohamed de me demander si je connais un certain Mustapha Chafi. Je ne connais pas ce monsieur. Mohamed (...) poursuit pour me dire que tous, djihadistes et rebelles ivoiriens, étaient voisins à Ouaga 2000, un quartier huppé de la capitale burkinabée. C’est dans ce quartier que vivaient les chefs de la rébellion ivoirienne à l’époque. Ça, je le savais comme beaucoup d’autres Ivoiriens. Ce que j’ignorais, c’est le fait que l’exprésident burkinabé était le tuteur des djihadistes qui prenaient les Occidentaux en otage en échange de rançons. Mohamed y était logé au nom de son patron Mokhtar Belmokhtar au compte de l’État burkinabé. Son quotidien, ses repas, ses soins, tout était pris en charge par le pouvoir ouagalais.
« Mais, Mohamed, que gagnait le Président Blaise Compaoré à donner gîte et couvert aux djihadistes ?» lui ai-je demandé. « Blaise Compaoré était notre maître, me répond-il, notre démarcheur. Il gagnait, nous aussi nous gagnions. Il avait l’exclusivité de négocier avec les Occidentaux chaque fois que nous prenions en otage un de leurs ressortissants. Le deal avec lui était que nous acceptions que les fonds exigés soient réceptionnés par lui. Nous avions aussi convenu de ne pas faire de prise d’otage au Burkina Faso. » Je n’en crois pas mes oreilles, tellement je trouve trop grave et trop gros ce que m’affirme Mohamed. Alors, je lui dis : « Mohamed, arrête de me raconter des contes de fées et prends-moi au sérieux s’il te plaît. » En fait je veux le stimuler à m’en dire davantage. C’est la seule occasion que j’ai pour m’informer en profondeur sur ces chefs d’État qui le jour, prononçaient des discours véhéments contre le terrorisme aux différentes tribunes des organisations internationales mais qui, nuitamment, servaient d’intermédiaires dans le cadre d’opérations pilotées par des hommes sans foi ni loi. La cohérence avec laquelle Mohamed détaille son récit me laisse sans voix. La seule condition que Mohamed me pose avant de continuer à parler est que je puisse un jour faire savoir au monde entier tout ce qu’il va me dire. En écrivant ces quelques lignes, je ne suis pas en train de trahir des confidences ou des secrets ; bien au contraire, je ne fais que tenir la promesse faite à Mohamed d’en témoigner comme il me l’a demandé. Sûrement se doutait-il que, comme nombre de ses compagnons, il n’avait pas une longue espérance de vie. En outre, la portée propagandiste de pareille confession, habituelle dans les mouvements djihadistes, n’est pas à négliger. Il raconte. « Dès que nous prenons un otage, on avertit tout de suite Blaise et il se charge d’informer les autorités du pays dont est originaire l’otage. Quand nous exigeons par exemple un million d’euros pour la libération d’un otage, Blaise dira aux autorités concernées que nous demandons trois millions d’euros comme rançon. Une fois l’argent disponible, les autorités burkinabées nous facilitaient le transport pour retourner à notre base au nord Mali. On répartissait la rançon en deux parties. Un tiers nous revenait et Blaise gardait les deux tiers restants. Il en disposait comme bon lui semblait mais je dois reconnaître qu’il nous fournissait du matériel militaire, des vivres et des médicaments. On prenait beaucoup d’otages au Niger et au Mali sauf au Burkina Faso. En retour, Blaise nous couvrait, il nous a beaucoup aidés. On choisissait aussi la nationalité des Occidentaux à kidnapper selon la réputation de leurs pays d’origine à bien payer. Il y a des pays qui ne paient jamais. Nous, on n’avait rien à faire avec leurs ressortissants. Quelques rares fois où nous avons pris en otages certains de leurs ressortissants, c’était pour faire pression afin qu’on nous rende certains des nôtres qui étaient accusés de terrorisme et qui croupissaient dans les prisons.
Il-y a des pays qui officiellement disent ne jamais payer de rançons et ne jamais négocier avec nous, mais qui en réalité sont de bons payeurs. C’est surtout leurs ressortissants qui étaient nos cibles privilégiées parce qu’avant tout, avec ces prises d’otages, notre objectif principal était d’avoir de l’argent pour nos besoins en matériels et aussi gérer notre quotidien et l’entretien des otages. Il fallait aussi mettre à l’abri du besoin les familles des candidats à l’explosion avec les ceintures. Voilà ce qui se passait, et c’est comme ça que je me suis lié d’amitié avec Mustapha Chafi. C’était lui qui servait de pont entre Blaise et nous.
Aujourd’hui, après la prise de Kidal et de bien d’autres localités par les forces françaises, Chafi croit que nous ne sommes plus utiles, donc il me livre aux autorités ivoiriennes. C’est pourtant avec lui que nous avons monté l’opération en Côte d’Ivoire. Mais qu’il sache qu’il nous le paiera. »
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