Sans fil conducteur

Des crachats d’averses adoucissaient l’atmosphère. Je devais dire plutôt : inondaient mon esprit. Ils me parvenaient à travers les ondes de la radio. Le reporter annonçait ce matin qu’une légère pluie gênait les coureurs lors de la deuxième étape du Tour de France. Par contre, moi à leur place, j’y trouverai un énorme plaisir.

Ne s’agit-il pas de larmes d’anges ! En tout cas c’est l’explication magnifique que me donnait ma nurse Khoueira, qu’Allah aie son âme, au sujet du phénomène de la pluie. Comme son fils, Ebesh, mon frère de lait, je m’accrochais à ce qu’elle nous racontait quand nous étions petits. Et ses histoires, belles et magiques, m’accompagnent encore.

En suivant ce matin la plus grande compétition cycliste au monde, je me mis à lécher, à distance, les gouttelettes des larmes d’anges qui tombaient sur les coureurs, tout en pensant à autre chose.

Après l’émission sportive, une journaliste posa une question au sujet du nom du kangourou et son origine. Mais moi, c’est la traversée du marché du bétail qui capta mon attention doublement.

D’abord, « combien coutera un mouton dans deux semaines », me dis-je, soucieux. J’ai en effet peur de ne pas célébrer la « fête de la viande » comme il se doit. Sacrifier un mouton pour la Tabaski risque d’être un peu trop cher cette année.

Puis, « boum ! » Une forte secousse me secoua, mettant fin à mes prévisions et calculs pour l'Aïd al-Adha. Tombée brusquement dans une crevasse sur la route, en plein milieu du marché du bétail, la voiture échappa momentanément à mon contrôle. Sortie de la route, elle finit par s’arrêter, entourée d'une bonne petite foule agitée. Ebahi par le grand brouhaha émanant des gens qui s’agglutinèrent aussitôt autour du lieu de l’accident, je pris d'abord peur. Cet attroupement rapide des gens m'inquiéta avant que je ne me ravise : « Rien de trop méchant, Alhmdu lilah (Dieu merci) », me dis-je, en fin.

Reprenant la route, mon addiction à la radio ne s’arrêta point. Bien au contraire ! J’y apprends des choses toujours plus attachantes, souvent graves et parfois légères. Par exemple : le mot « kangourou » veut dire « je ne comprends pas », dans la langue des aborigènes, selon l’invitée d’une émission littéraire que je viens d’écouter il y a quelques instants sur RFI.

Pour cette écrivaine motocycliste, qui a traversé l’Australie et beaucoup de régions à bord de sa machine à deux roues, l’un des premiers colons anglais arrivé en Australie voulait tout savoir sur l’animal. Les habitants autochtones lui répondaient toujours qu’ils ne comprenaient pas sa question, dans leur langue locale : « kan ghu ru ». Il a donc cru que c’était le nom de l’animal.

Vraie ou fausse, cette explication étymologique est en tout cas amusante. Sauf que moi, elle m’importe peu en ce moment. Le fil conducteur de mes préoccupations est ailleurs. Je ne sais même pas où est-il exactement.

Je l’ai perdu quelque part dans une grotte, aux alentours du poids de la pression que je subis à cause du rendez-vous de la fête du mouton. Ses dépenses et le grand carnage des pauvres ovins, qui l’accompagnent, s’approchent trop rapidement. Peut-être que je trouverais auprès de nos ulémas des arguments refuges pour m’y soustraire.  

J’espère en outre que, dans leur fatwa, ils s’attacheront également à faire face aux risques de propagation de la pandémie de covid 19 à l’occasion de la fête. L’Etat est interpellé, lui aussi, par la question.  

El Boukhary Mohamed Mouemel

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