Sahel : Pour que Macron ne fasse pas du Mali ce qu’a fait Sarkozy de la Libye !

A cause de sa violente guerre verbale contre les autorités maliennes de Transition, et sa fuite en avant sur la voie de l’escalade, le président français se livre au Sahel à un jeu dangereux. A certains égards, ses calculs hasardeux, diplomatiques et militaires, rappellent la mésaventure de Nicolas Sarkozy en Libye.

 Deux modes d’action diamétralement opposés conduisant aux mêmes résultats chaotiques

Le denier a conduit une guerre illégitime, dans laquelle il a entrainé l’OTAN, pour faire tomber le régime de Kadhafi. Pour justifier l’opération moralement, il s’est appuyé sur des relais d’opinion parfois douteux, dont le plus connu est sans nul doute le philosophe Bernard Henri Levy, devenu depuis aussi célèbre que controversé. L'objectif qu’il avait annoncé : protéger le peuple libyen et ses manifestations pacifiques contre la barbarie génocidaire du dictateur Kadhafi.

Emmanuel Macron, lui, prépare vraisemblablement l’opinion publique et ses amis occidentaux au retrait de ses forces militaires du combat contre le terrorisme au Mali et fait tout pour que l’UE le suive dans son désengagement. Comme Sarkozy, son argumentaire est d’un simplisme frappant, nourri lui aussi, en apparence, par des soucis de "démocratie" et "d’éthique" : pas question, selon lui, de collaborer avec une junte militaire qui tient absolument à se maintenir au pouvoir et fait appel, pour ce faire, aux mercenaires russes de Vagner "qui vont piller les richesses du pays !", met-il en garde les Maliens.

« Merci infiniment, la France, pour ton altruisme exemplaire ! », serait- on tenté de lui répondre ironiquement.

Plus calculateur que Sarkozy, l’occupant actuel de l’Elysée évite de négliger ou d’ignorer les organisations régionales africaines. Au contraire, il compte énormément sur la CDEAO et, dans une moindre mesure, sur l’UA, afin d’isoler et d’affaiblir politiquement et économiquement la « junte militaire malienne ». Ce qui en outre l’aide à faire d’une pierre deux coups : affaiblir l’adversaire malien et semer la division et la zizanie dans le Continent noir.  

Ses modes d’action sont bien entendu différents de ceux de Sarkozy, au point d’être fondamentalement antonymes : l’un a déclenché brutalement la guerre, l’autre cherche péniblement à s’en retirer. L’approche « makronienne » risque toutefois de reproduire les mêmes effets géopolitiques engendrés par le conflit libyen : un terrible chaos dans la région du Sahel.

Une France dont la puissance est en déclin...

La France peine aujourd’hui à trouver dans le paysage géopolitique mondial une place à la hauteur de son prestige historique d’ancienne puissance coloniale.  L’occupant actuel de l’Elysée le sait très bien, le reconnait parfois, mais cherche souvent à ramer à contre-courant.

Ses partenaires, comme ses adversaires, constatent le déclin, et les chiffres le démontrent. Lors de son émission « Géopolitique, le débat » du 04/11/2021[i], la journaliste de RFIMarie-France Chatin, en avance quelques-uns :

L’économie française fait 1% du PIB mondial ; son PIB la classe au 6ème ou 7ème rang mondial selon les années, avec un poids dans les équilibres mondiaux, qui s’amenuise d’année en année : le PIB chinois est passé de 1,6% du PIB mondial dans les années 1990 à 16% aujourd’hui, le PIB français de 5,6% à 3%. 

 Selon toujours la même source[ii], « si l’on raisonne en termes de PIB à parité de pouvoir d’achat, la France occupe la 10ème place derrière la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, l’Allemagne, la Russie, l’Indonésie, le Brésil et le Royaume-Uni. Et si nous continuons sur la même trajectoire, la France aurait dégringolé (…) dans huit ans entre le 16ème et le 20ème rang ».

Des impératifs : pour le Mali et pour le Sahel...

Dans le contexte géopolitique mondial et ses mutations, dont le déclin de la France, qui est difficilement réversible à moyen terme, compter aujourd’hui sur celle-ci, comme grande puissance, est une erreur stratégique qui risque d’être lourde de conséquences. Le Mali a sans doute raison d’en tirer les conséquences. Les pays du Sahel et d’Afrique devraient eux-aussi en être, collectivement et individuellement, conscients et en tirer les leçons, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière.

Du côté de Bamako, il semble que les autorités de la Transition sont en train de mettre le paquet en vue de donner une nouvelle impulsion à la montée en puissance des FAMA (forces armées maliennes), à leur efficacité et combativité. Et elles auraient franchi des pas encourageants. Cependant, il n'y a pas lieu de jubiler : les défis à relever restent énormes. Il s’agit :

  • d’éviter les bavures et exactions contre les populations civiles et de punir leurs auteurs ;
  • de désarmer et dissoudre les milices ;
  • de traiter efficacement les conflits intercommunautaires à la source et tout faire pour gagner le combat des cœurs et des idées ;
  • de régler la crise politique de manière à revenir à une situation constitutionnelle normale dans les meilleurs délais ;
  • de mener une politique étrangère souple et rentable offrant un large éventail de possibilités, notamment en matière de coopération et de partenariat militaires ;
  •  etc.

Par ailleurs, comme les autorités françaises sont en train de changer leur approche, dans un sens réducteur des moyens et des ressources qu’elles déploient au Sahel, les pays de la région, et plus particulièrement les membres du G5 Sahel, devraient eux aussi revoir leurs politiques dans ce domaine.

Quatre axes nous semblent essentiels à privilégier, à savoir :

  • Le renforcement des moyens et outils de défense nationaux, propres à chaque pays ;
  • La diversification des alliances militaires et voies de coopération étrangères, en accordant un intérêt spécial à la coopération sécuritaire inter sahélienne ;
  • La consolidation des facteurs de stabilité en matière de politique intérieure, de manière à "booster" les efforts orientés vers le renforcement de l’Etat de droit, ainsi que les systèmes et mécanismes d’alternance démocratique au pouvoir ;
  • La mise au point de politiques volontaristes dans les domaines de bonne gouvernance afin d’améliorer continuellement et sensiblement les principaux indices directement liés à la vie des populations, notamment : l’indice de développement humain (IDH), l’indice de développement de genre (IDG) et l’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM).

Ce sont là des chantiers hautement stratégiques et complémentaires. Ils requièrent un engagement politique fort et une stratégie de moyens conséquente qui définisse et prenne en compte une échelle de priorités.

Il va sans dire que les 1er et 2ème axes, relatifs aux domaines de défense et de sécurité, doivent faire l’objet d’une attention urgente et particulière. Ils méritent de faire l'objet d'un sommet sahélien. Un sommet qui devrait se tenir dans les meilleurs délais, et qui aura pour thème central : « accompagner les mutations géostratégiques et politiques dans la région : état des lieux et prospectives».

El Boukhary Mohamed Mouemel

 

 


[i] MAURIACTU.INFO : Pourquoi on ne doit pas compter sur la France ?

[ii] Idem.

category: 

Connexion utilisateur