Sahel: la stratégie militaire française laisse beaucoup trop de vides !

Comme à son habitude, le Président français n’a pas été avare en explications, lors de la conférence de presse qu’il a donnée conjointement avec son homologue nigérien. C’était en marge de la visioconférence du G5 Sahel qui a eu lieu hier. Mais, paradoxalement, et comme à son habitude encore, Emmanuel Macron nous a laissés sur nos fins sur de nombreuses questions.

Toujours l’enlisement militaire, et toujours sans perspective politique.   

En expliquant, sa nouvelle approche militaire au Sahel, le Président français a semblé oublier que le nord du Mali et le Sahel en général ont horreur du vide, comme la nature. Pour lui, la menace terroriste a changé de configuration géographique. Elle se dirige désormais vers le sud, allant jusqu’à exercer « une pression renforcée sur l'ensemble des pays du golfe de Guinée », selon ses mots. Le redéploiement militaire français dans la région doit accompagner cette évolution. Voilà comment l’occupant de l’Elysée justifie le retrait programmé des militaires français du nord du Mali afin de mettre l’effort, explique-t-il, sur les régions de plus en plus menacées par les « djihadistes ». Quant au contenu de la stratégie, Macron a défini le GNIM[i] et l’EIGS[ii] comme ennemi.  Pour les vaincre, il préconise de leur couper la tête, comme modes opératoires et objectifs militaires prioritaires. « La neutralisation et la désorganisation du haut commandement des deux organisations ennemies" » constituent la démarche choisie par son pays, selon Macron. Une stratégie de décapitation que les Américains, mènent depuis le début de l’ère Obama, sans trop de succès, en Afghanistan et dans d’autres régions du monde. Les Français, de leur côté, l’appliquent au Sahel depuis quelques années, sans enregistrer beaucoup de réussite, eux aussi. Certes, ils ont éliminé physiquement quelques chefs "jihadistes" importants. Mais ils n'ont pas éliminé la menace. Loin s'en faut ! En persistant dans cette voie comme solution militaire, les états-majors français nous donnent curieusement l'impression qu'ils ne font pas de « retours d’expérience », comme on dit dans le jargon militaire ! Ou que leurs chefs politiques ne les écoutent pas !  

Les bases militaires françaises de Kidal, de Tassalit et de Timbuktu seront fermées dans six mois environ, a précisé le Président français.  Les moyens qui s’y trouvent, humains et matériels, seront en grande partie retirés définitivement, en application de la stratégie de "transformation profonde" de l’opération Barkhane dont le format va être ramené de 5100 soldats actuellement, à 2500 ou 3000 hommes d’ici 2023.  L’autre partie sera déplacée vers le sud : la zone des trois frontières- (entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso)- et au-delàs, en incluant la Côte d’Ivoire.

Un grand réajustement du dispositif qui ne garantit cependant pas la sortie de l’enlisement militaire de la France dans le sable sahélien. Tout au mieux, il permettra de diminuer de moitié les moyens militaires mis en œuvre, et d'étendre le champ des opérations vers le sud en y incluant la région des pays du golfe de Guinée.   

Le nouveau dispositif, comme le précédent qui l’a enfanté, manque de vision politique générale pour le cadrer. Sachant que la lutte contre le terrorisme n’est pas uniquement militaire, l’aspect développement économique et social aurait, en effet, dû prendre beaucoup plus de place dans le discours "macronien".

Comme levier fondamental de la sécurité, ce côté a par contre largement manqué de consistance et de détails.

Avec une carence de vision politique pareille, le dispositif militaire envisagé par la France, aboutirait difficilement aux résultats escomptés. Il ne manquera cependant pas d’avoir des répercussions d'intérêt variable, pour les uns ou pour les autres, sur le mouvement et la présence des belligérants dans la zone.

En face, l’ennemi ne restera évidemment pas les bras croisés. Les groupes terroristes armés (GTA) s’y adapteront, nous semble-t-il, sans grande difficulté, ainsi que d’autres acteurs armés en conflit avec les Etats sahéliens concernés : rebelles, trafiquants, narcotrafiquants... Tous, forts de leur capacité de mobilité, de dissémination et d’opportunisme, rien ne garantit qu'ils ne reviendront pas dans les régions abandonnées par Barkhane. Et pourquoi pas ! Le nord du Mali a toujours été leur terrain de prédilection. D’ailleurs, ils ne l’ont jamais quitté. Ils y sont toujours, y mènent quotidiennement des opérations militaires, y développent et entretiennent des liens de complicité tout azimut…Et vraisemblablement, leur présence y sera encore plus facile et plus forte à moyen terme.

En effet, avec le retrait des Français, les GTA seraient, peut-être, tentés d’installer une forme de « califat » dans le nord du Mali, en fonction du contexte.

Pour ce faire, il n’est pas exclu, par exemple, qu’ils chercheront à enterrer la hache de guerre entre leurs deux factions principales, le GNIM et le l’EIGS.  Comme il est concevable par ailleurs, qu’un nouveau groupe djihadiste émerge ou que l’un de deux belligérants noue des alliances avec d’autres acteurs armés qui sévissent dans la région.

Un grand vide aux facettes multiples

Dans tous les cas, « djihadistes » et rebelles ne manqueront pas de chercher par tous les moyens de tirer profit de la nouvelle situation, militaire et politique, née de la politique française et son inconstance dans la région. Il y a risque qu’ils exploitent et comblent un vide préoccupant, aux facettes multiples :

  • D’abord, un vide militaire : comme déjà expliqué, les GTA feront tout pour supplanter les forces françaises dans le nord du Mali. Leurs combattants s’y déploieront plus facilement et mèneront la vie dure aux autorités locales et aux forces de défense et de sécurité maliennes dans la zone. Dans ces conditions, le retour envisagé de l’Etat malien, ses administrations et ses services, se trouvera gravement compromis dans cette partie du pays. En outre, les GTA présenteraient davantage de menaces qui continueront de peser lourdement sur les pays frontaliers : Algérie, Mauritanie, Niger.
  • Ensuite, comme nous l’avons mentionné précédemment, l’installation d’un « califat » dans la zone évacuée par la France constitue un risque qui n’est pas à négliger. Son embryon, ou plutôt « ses » embryons, existe(nt) déjà sur place. En effet, là où les «moudjahidines » se déploient avec force, au vu et au su des populations locales, leurs « émirs » agissent souvent comme l’unique autorité de la place, politique, administrative, judiciaire… Leurs décisions sont immédiates, radicales, irrévocables et sans appel. Le nord du Mali est l’un des champs d’opérations qu’ils privilégient depuis toujours pour exercer leur pouvoir dans quasiment tous les domaines.
  • En fin, le refus catégorique par le gouvernement français de tout dialogue avec les « djihadistes », ne semble pas du tout convaincre ses principaux partenaires au Sahel, notamment, les autorités maliennes. Celles-ci ne veulent manifestement pas suivre la France sur cette question, malgré l’insistance et les pressions de Macron sur   la junte militaire au pouvoir au Mali. Les désaccords profonds entre les deux parties à ce sujet, créent un autre vide politique engendré par l’intransigeance de l’ancienne puissance coloniale. Son comportement ne risque-t-il pas de constituer un point de faiblesse du gouvernement malien face à ses interlocuteurs éventuels parmi les GTA ?

Le « deux poids, deux mesures », et le soutien mesuré de Bazoum.

La question ne lui était pas adressée. Le destinataire, Emmanuel Macron, y a répondu, tant bien que mal. Plutôt « mal », diront les tenants de la constitutionnalité des processus politiques au Mali, comme au Tchad. Par rapport aux derniers changements de pouvoir opérés dans les deux pays, nombreux sont ceux qui qualifient l’attitude de la France et de Macron, en particulier, de « deux poids, deux mesures. » En répondant à un journaliste qui a soulevé la question, le Président français n’a pas fait preuve de grande imagination, arguant que la situation des deux pays n’est pas comparable. Pour lui ce qui s’est produit au Tchad peut se justifier par les risques d’instabilité que courait le pays suite à la mort brutale d’Idriss Deby. Un argumentaire difficilement défendable par "un chantre de la démocratie et du respect de la vie constitutionnelle en Afrique", comme se porésente Emmanuel Macron. A-t-il déjà oublié qu'il vient, il y a seulement quelques minutes, de féliciter solennellement son hôte nigérien et saluer énergiquement les "élections présidentielles exemplaires" qui l'ont conduit au pouvoir ainsi que la "vitalité démocratique" de son pays ! Ce dernier  a certainement voulu  rendre la monnaie à son collègue français en venant à son secours. Il  a soutenu clairement et tout doucement sa position.    

 Il ne l’a cependant pas suivi quand Macron a mis clairement en cause l’attitude de la CDEAO vis à vis du dernier coup d’Etat au Mali. Au contraire, Mohamed Bazoum s’en est démarqué doucement en justifiant la non mise « en quarantaine » du Mali par l’organisation sous régionale. C’était là, peut-être, que réside la raison de prise de parole du président nigérien pour répondre à une question qui ne lui était pas adressée. En vrai renard politique sahélien, il a dû sauter sur l’occasion pour faire passer son message avec pas mal de tact.

Un autre vide, mais à consolider, celui-là.

Un seul pays du G5-Sahel a brillé par son absence de la conférence de presse conjointe entre Macron et Bazoum. C’est la Mauritanie. La place de son nom dans le discours du Président français était restée totalement vide. Ce dernier n’en a jamais parlée, ni lorsqu’il a développé l’évolution géographique de la menace terroriste et son caractère mouvant, ni quand il a indiqué, une carte d’état- major à l’appui, les zones de déploiement, actuelles et futures, du dispositif militaire français au Sahel.

Son collègue nigérien, lui, a cité notre pays une seule fois. En parlant de la géographie, du type et du déploiement de la menace terroriste, Mohamed Bazoum a déclaré que seule la « Mauritanie échappe, Dieu merci », lança-t-il.

Qu’Allah continue de nous protéger! Mais pour cela, il ne faudra pas que l’on ne baisse la garde. Bien au contraire ! Le contexte géopolitique, régional et mondial, l’évolution des menaces sur nos frontières avec le Mali, leur caractère changeant et imprévisible, le départ probable des mercenaires qui se retireraient de la Libye vers on ne sait où… tout cela nous incite à redoubler de vigilance.

 Il ne suffit pas de déployer des forces militaires sur les lignes de frontières. Il va falloir également que l’on ait, en plus du renforcement de la surveillance et du contrôle de nos frontières, des systèmes de veille performants à tous les niveaux : stratégique, opératif et tactique. La mise en place d’un Conseil Supérieur de Défense en fait partie. La Constitution le prévoit. Son article 34 stipule :

« Le Président de la République est le Chef Suprême des forces armées. Il préside les Conseils et comités supérieurs de la défense nationale. »

Appliquons correctement notre Constitution. Outre la sécurité du pays que cela renforce et consolide, il en va tout simplement de notre respectabilité collective, en tant que peuple et tant que nation..

Colonel (e/r) El Boukhary Mohamed Mouemel

 

[i] Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans.

[ii] Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans.

category: 

Connexion utilisateur