Je viens de le lire pour la seconde fois consécutive. Mais ma curiosité reste intacte, inassouvie. Elle est même stimulée et plus forte qu’auparavant. La simplicité du style et son attrait me captent au point d’oublier le reste. Ou presque.
Personnages, intrigues et dénouement sont pourtant bien là. Tellement présents dans mon esprit, et bien agencés, au point de croire que je les vis comme réalités et depuis toujours, oubliant qu’il s’agit de fiction, d'un roman.
Le fait que j’appartienne au bled, et qu’il me semble avoir vécu à la même époque décrite dans le récit, est-il pour quelque chose dans cette accoutumance rapide et presque sans limites avec le Printemps de Tourarine ? Probablement.
Cependant, les liens géographiques ou historiques n’expliquent pas tout.
D’ailleurs s’agit-il vraiment du printemps ou d’une autre saison ? S’agit-il également de Tourarine ou d’un autre endroit ?
Peu importe, pourvue que le lecteur se sente à l’aise dans l’espace et l’environnement décrits. C’est mon cas. C’est un récit intemporel que je viens de vivre.
Il nous plonge dans une ambiance idyllique, comme si Nené Dramé, l’auteure, jouait avec ses personnages, tout en tenant à trainer dans son sillage ses futurs lecteurs. Pari réussi en ce qui me concerne.
Sa démarche apparait si naturelle, si aisée, que la gravité des sujets abordés n’y change rien. Bien au contraire, elle y apporte une touche d’insouciance puérile. C’est notamment le cas du "je-m'en-foutiste" Mbarek, son esprit rebelle et son rapport ironique aux mœurs et valeurs morales et religieuses. De même, des scènes d’érotisme sont décrites et présentées avec humour. Bien que les faits rapportés soient parfois graves, l’ambiance reste légère et la narration captivante.
Sous l’angle érotique amusant, s’inscrit effectivement le jeu de questions/réponses auxquelles se livrent ironiquement Mbarek, Edda et Sidi au sujet de la première rencontre intime entre Vieux Salem et Fatma, sa nouvelle épouse. Cependant, les rapports ou attouchements sexuels entre Edda et sa copine Oumara sont d’un autre type où l’illégitimité prime. Malgré leur gravité, ils sont racontés sur un ton léger, comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfants.
Des manières ou comportements bon enfant qui caractérisent quasiment tous les personnages du roman. Tous débordent de sensibilité, d’exaltation, d’illusions… Et font preuve de générosité, chacun dans son domaine de compétence. Même la commère Fatma n’y fait pas exception. Elle s’adonne totalement à sa passion en exerçant avec enthousiasme ses deux métiers, celui d’exciseuse et de "zaghrata".
Egalement, mais sur un autre registre bien différent sur le plan moral, le jeune expatrié, Colonel médecin Yanni, fait preuve d’une grande générosité dans l’exercice de son travail, comme dans ses rapports aux habitants du village et à leur milieu désertique qu’il affectionne beaucoup.
Toutefois, s’agissant de son cas, on pourrait songer à un schéma classique des rapports Nord/Sud ; un schéma beaucoup moins idéaliste qu’il n’y parait. Il révèlerait symboliquement une perception critiquable des liens entre pays riches et pays sous-développés : les premiers présentés à travers ce colonel médecin rêveur fournisseur généreux d’aides, et les seconds présentés comme demandeurs nécessiteux toujours en quête de soutiens extérieurs.
Quoi qu’en diront critiques littéraires ou autres lecteurs, cette perception négative des rapports déséquilibrés Nord/Sud se nourrit d’une réalité que l’on ne doit pas nier. Et Néné Dramé n’a pas tort de l’évoquer sous forme romanesque. Peut-être qu’elle ne l’a pas fait intentionnellement. En tout cas, moi, c’est l’une des premières sensations que j’ai eues à la lecture du roman.
C’est vrai que j’ai eu plusieurs autres qui m’ont marqué agréablement plus que cet aspect politique plutôt discutable. Mais j’avoue que j’ai du mal à les coucher clairement sur papier.
En effet, par rapport au Printemps de Tourarine, j’éprouve des sensations inachevées, qui évoluent au fur et à mesure que je relise le bouquin, que j’y réfléchisse… D’autant plus que mes sentiments et impressions s’enrichiront encore davantage lorsque je découvrirais d’autres œuvres de l’auteure. Je les attends impatiemment.
El Boukhary Mohamed Mouemel
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