Parias de Beyrouk, une ode à l’amour...

Tragédie et amour ne sont pas antinomiques. Au contraire ils vont bien ensemble. La poésie les unit, les fusionne. « Parias » de Beyrouk en est l’illustration parfaite.

Ce roman est en fait un hymne à l’amour. On y balance entre joie et tristesse. Le malheur se transforme en beauté artistique sous le poids poétique des mots de l’amour et ses tragédies qu’ils portent joliment.

Le père, comme le fils, les deux narrateurs, le chantent.

Cependant, le père, insatiable, en veut aux mots. Ils ne rendent pas suffisamment compte de ses sensations, de ce qu’il éprouve à l’égard de sa bien-aimée, sa vie. D’entrée de jeu, il l’annonce, sans détour, dès la première phrase du roman :  

« Ma vie,

Je t’écris à travers les mots, tu sais bien combien ils savent cacher les choses, les mots. »

Puis, plus explicite, et toujours insatiable quand il s’agit de dire ses sentiments intimes, il ajoute :

« Tu sais bien, ma chérie, que je ne sais pas parler, tu sais bien que mes vérités crient en moi, mais ne savent pas aller ensemble, s’accompagner, devenir une phrase, un discours. »

Non seulement il s’avoue incapable de parler, de dire les vérités qui bouillonnent en lui, mais il vit l’écriture tragiquement : elle est tristesse profonde, des larmes noires à évacuer. Comme quoi, l’écrivain, le vrai, l’artiste, est forcément inventeur de drames, de tragédies.

« Voilà pourquoi je t’écris. Mais en vérité je ne sais pas non plus écrire, je sais seulement tracer des larmes noires sur du papier blanc. »

Même la scène tragique et épouvantable du meurtre de son épouse, il la vit et décrit autrement, sous un angle complètement différent : un message d’amour dont il est l'auteur, qu’il adresse à sa bien-aimée disparue, afin de la garder et préserver la forte passion qui les unissait.    

« Cette nuit- là (…) je t’avais vue partir, t’en voler, me quitter pour toujours. Je t’ai saisie, fortement, à la gorge, je crois, et j’ai hurlé mon refus de l’abandon, je t’ai étranglée, a-t-on dit. Non, je t’embrassais, je te retenais de toute ma force, je t’arrachais aux méchants envahisseurs qui venaient piétiner nos pâturages, je voulais arracher en toi ce qui m’appartenait et voir s’en fuir au loin les ectoplasmes qui se promenaient depuis trop longtemps, je n’entendais rien, même pas ton agonie, sous mes mains, et pas les pleurs de mes enfants, pas les fracas des voisins qui avaient fini par appeler la police, et casser la porte pour entrer. J’étais affreusement seul face aux géants des terres sombres que je devais combattre pour rester moi-même et te regagner, je me suis débattu quand ils vinrent m’arracher à toi, je voulais mourir la tête entre tes seins. »

De son côté, le fils vit le drame de la mort de sa mère terriblement, comme son père ; ainsi que l’emprisonnement de ce dernier. Il l’aime beaucoup et aime autant sa mère et sa petite sœur Malika. Ce qui leur arrive, il l’appelle « ça ». Mais jamais meurtre ou assassinat ! L’amour l'en empêche. Il l'envahit au point de ne voir rien qui puisse entacher ses parents, ou ternir ce magnifique sentiment qui l’habite et qu'il partage avec son père.

Un amour qu’il voue finalement à tous les parias, aux pauvres et misérables, à ceux qui l’ont approché : la famille de Mod aux ressources trop modestes,  qui l’a généreusement accueilli après la mort de sa maman et l’emprisonnement de son père, la jeune dame Sara qui l’a éconduit sans rien dire, les enfants et les habitants de Pk7 et PK8... Deux quartiers très pauvres et difficiles dans lesquels il menait une vie pénible, et dont les enfants se livrent au banditisme et la petite délinquance…

Par ces sentiments généreux et admiratifs envers tout le monde, le fils conclut le double récit : le sien et celui de son père. lls se recoupent fréquemment. Tous deux racontent une belle ode à l’amour. Mbarek Ould Beyrouk, l’auteur, a choisi de séparer les deux soliloques, tout en les croisant, dans un style poétique captivant. Pari réussi.

El Boukhary Mohamed Mouemel

category: 

Connexion utilisateur