Mauritanie : Pourquoi le dialogue réussit avec les terroristes, mais pas entre les politiques ?

Déjà l’appellation est sujette à controverses. Alors que notre soi-disant ‘’opposition’’ parle de « dialogue national », pour le pouvoir il s’agit de "concertation". Comme quoi, en termes d’éléments de langage, c’était mal parti pour l’identité de vue tant espérée. Néanmoins, les deux parties vont essayer de transcender la question « sémantique ».

Sauf qu’elles ne feront pas un long chemin ensemble : le dialogue-(ou consultation)-sera vite suspendu, pour ne pas dire renvoyé aux calendes grecques. Bonne ou mauvaise décision ?

Le débat reste ouvert.

Pour « l’opposition », le dialogue doit reprendre rapidement, coûte que coûte. Dans ce sens, Ahmed Ould Daddah, leader du RFD (Ressemblent des forces démocratiques), vient de lancer un « appel au peuple mauritanien ». C’est lui-même qui l’a lu, articulant les mots sur un ton grave. Pour ce leader, trois fois candidat malheureux aux présidentielles, un « dialogue national » constitue aujourd’hui la seule voie de salut pour la Mauritanie. Toutefois, il n’a rien proposé qui puisse mettre son idée sur les rails.  Sont restés sur leur fin ceux qui s’attendaient à qu’il avance des bases nouvelles susceptibles d’assurer le succès d’une démarche qui ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique, et qui suscite encore moins d'enthousiasme au sein de l’opinion publique.

En effet, beaucoup de voix dans le camp adverse et parmi les citoyens ne trouvent pas de raison à un « dialogue national » mettant aux prises opposition et pouvoir. Ils estiment que dans la situation politique normale, de paix et de stabilité, qui prévaut dans le pays, il existe suffisamment de structures et de tribunes d’échanges entre tous les acteurs de la scène publique, quelles que soient leur nature ou obédiences politiques et idéologiques : le parlement, les partis politiques, les organisations de la société civile, la presse… constituent autant de tribunes dans lesquelles le dialogue est permanent et automatique.

Dans ces conditions, la réussite de la démarche d’Ahmed Ould Daddah et ses amis politiques, parait assez hypothétique. Le dialogue qu’ils réclament qu’apportera-il de plus que ce qu’offrent les tribunes et institutions démocratiques dont regorge le pays ? Mises à part de bonnes doses de surmédiatisation, de suspicions, d’ambiances malsaines… !

Des gages de succès dans le dialogue avec les terroristes

Par contre, sur un autre front, beaucoup plus brûlant, le dialogue marche avec les terroristes. Mais on n’en parle pas trop. Et tant mieux : la discrétion à ce sujet, fournirait probablement l’un des éléments d’explication du succès de l’opération. La médiatisation faisant l’affaire des terroristes, les autorités du pays ne veulent pas leur offrir une telle opportunité.

D’autres conditions vont à l’avantage du pouvoir, le mettant en position de force. La première réside dans le fait que ses interlocuteurs dans le dialogue étaient en prison, donc « neutralisés » au sens militaire du mot. Leurs possibilités manœuvrières étant extrêmement réduites, l’Etat leur proposait la repentance contre l’allègement des peines pour certains, la libération pour d’autres, qui n’avaient pas de sang sur les mains, ainsi que des opportunités de réinsertion sociale et professionnelle.

Cependant, ce dernier point ne doit pas concerner uniquement les terroristes, sinon il risque d’être perçu comme une « prime au terrorisme ». En l’apprenant, d’autres jeunes, désœuvrés ou en situation de grande précarité, pourraient, en effet, être tentés par rejoindre les groupes « djihadistes » ; puis, si cela ne marche pas, les abandonner, déclarer et monnayer leur volonté de « repentance » pour gagner des primes ou aides financières à la réinsertion. Les autorités sont évidemment conscientes de ce risque et agissent en conséquence. D’ailleurs, les capacités de recrutement des groupes terroristes, semblent beaucoup affaiblies ces dernières années en Mauritanie. Elles ne se sont néanmoins pas totalement taries. Bien au contraire.

Redoublons de vigilance

Avec les conséquences géopolitiques de la guerre d’Ukraine, ses impacts sur les relations Est/Ouest et ses incidences crisogènes sur les économies des pays africains, et avec la détérioration de la situation sécuritaire au Sahel, notamment au Mali, au Niger, au Burkina Faso… la menace terroriste et l'instabilité pèsent lourdement sur les pays de la sous-région.

C'est dire combien la Mauritanie doit redoubler de vigilance en renforçant son front intérieur et en réadaptant sans cesse ses politiques et stratégies nationales. Bien entendu, il est essentiel de mettre à niveau ses outils de défense et de sécurité ; mais aussi et surtout les inscrire dans une vision globale, plurisectorielle et inclusive. Le développement économique et social du pays, la lutte contre le dérèglement climatique, contre les impacts de la guerre d’Ukraine et de Covid 19 … en constituent des axes clés et exigent l’engagement de tous les acteurs nationaux, publics comme privés.  

Si par rapport à ces chantiers énormes, le « dialogue national », actuellement suspendu, va apporter des valeurs ajoutées, concrètes et chiffrables, n’hésitons pas à l’engager immédiatement, sans tarder. Si tel n’est pas le cas, ne nous trompons pas de combat.

El Boukhary Mohmed Mouemel

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