Les nomades de Mauritanie, condamnés à utiliser des eaux insalubres

« Les mécanismes de nos corps se sont habitués à ces eaux que vous qualifiez de sales. Et puis nous n’en avons pas d’autres. Nous sommes obligés de compter exclusivement sur l’eau des pluies pour boire et abreuver le bétail. Et, lorsque celles-ci sèchent, il ne nous restera plus que les puits en attendant la prochaine saison pluvieuse. Nous vivons ainsi depuis des siècles ; nous avons hérité de ce mode de vie de nos aïeux et nous le transmettrons à nos descendants ». 

Tel est le rapport que les nomades de Mauritanie entretiennent avec l’eau potable, nerf de la vie pour eux, comme le résument des jeunes filles du quartier de Badaoui dans la région de « Loudi » au nord de la province d’El Brakna. Cet état des choses est confirmé par les chiffres officiels du gouvernement mauritanien qui déclare 32 % des habitants du pays en dehors de toute couverture des réseaux d’eau courante. Cela signifie qu’ils ne disposent pour s’approvisionner en eau potable que des sources de ravitaillement traditionnelles, le plus souvent d’ailleurs exposées à la pollution en tous genres, surtout que les nomades partagent leur eau avec leur bétail. De même, la surface de l’eau de pluie est généralement couverte de saletés, d’excréments et de tout ce que le vent peut transporter d’autre dans cette eau qui stagne à l’air libre.

Khadija et Maymouna sont deux jeunes filles à la fleur de l’âge. Dunes-Voices les a rencontrées pendant qu’elles s’approvisionnaient en eau dans un endroit connu dans la région sous le non de « Marine Jelouar », bien qu’il ne s’agisse en réalité que d’une immense flaque d’eau où se rassemblent les eaux de pluie pendant la saison d’automne, persistent tout au long de l’hiver, avant de tarir au début de l’été, lorsqu’elle ne sèchent pas avant. Les deux jeunes filles étaient occupées à remplir des bouteilles et autres récipients apportés du quartier en compagnie d’un groupe de personnes sur lesquelles on peut compter pour ramener les quantités d’eau qui peuvent suffire à tout le quartier pour plusieurs jours.

A la question de savoir si les eaux polluées peuvent nuire à leur santé, elles ont, toutes les deux, répondu d’une même voix : « Nous n’accordons aucune importance à ces histoires que nous entendons raconter par les gens qui viennent de la ville. Si c’était vrai, vous n’auriez trouvé personne dans cette région. Les gens en boivent depuis des dizaines d’années ; nos pères, mères et aïeux, tout le monde boit cette eau et tous ont vécu longtemps ! ».

Khadija se tait ensuite, comme pour réfléchir à une réponse différente, avant d’ajouter : « Et puis, que pouvons-nous faire ? De quel autre moyen dispose-t-on ? Voulez-vous qu’on abandonne notre vie ici pour partir en ville ? Voulez-vous qu’on quitte notre bel univers ici, ce monde que nous avons construit avec nos animaux ? Cela est impossible car cela signifie sûrement notre fin à tous ! Je ne peux pas imaginer une autre vie que celle que nous menons ici… ».

Et Maymouna d’ajouter, se remémorant probablement une vieille expérience qu’elle aurait eue avec la maladie : « Il est vrai que l’on  peut tomber malade et souffrir de divers maux et douleurs. Mais on peut aussi guérir grâce aux médicaments traditionnels et aux herbes. Nous guérissons parfois même sans médicaments. Nous préférons d’ailleurs les remèdes d’autrefois à ceux des « Chrétiens » - c’est ainsi qu’ils appellent les médicaments modernes- car nos corps n’y sont pas habitués, de même que nous ne les supportons pas ».

Les choses ne sont pas bien différentes à l’est et au sud de la province, notamment à « Maktaâ Lahjar » où, à cause de la trop forte salinité des eaux de la région, sont enregistrés selon des sources du service d’hygiène contactées par Dunes-Voices les taux le plus élevés de cas d’inflammations des glandes.

Dans l’ouest, à la banlieue de la région de Bababé, près du fleuve Sénégal, c’est le village de « Hayer Kliri » qui semble relativement tirer son épingle du jeu. En effet, il dispose d’un unique robinet public, non relié d’ailleurs à un réseau de tuyauterie, et où les villageois ainsi que les habitants des agglomérations voisines viennent se ravitailler en eau potable à dos d’ânes et à bord de carrioles. Des dizaines de jeunes filles et de garçons se rassemblent ainsi à ce point d’eau, arrivant à travers des routes auxquelles manquent des conditions les plus élémentaires d’hygiène et de salubrité.

C’est de la même manière, et selon ces mêmes procédés que les habitants de « Bourate », au fin fond de la campagne d’El Brakna, s’approvisionnent en eau potable. Cette situation n’en finit pas de durer, bien que plusieurs années se soient déjà écoulées depuis que les autorités officielles ont construit le groupement résidentiel au centre de la campagne dans le cadre d’un projet gouvernemental visant à rassembler les villages et à mettre fin aux agglomérations anarchiques.

En plus de cette pénurie d’eau potable, apparaissent fortement des conflits politiques et tribaux qui entravent considérablement le développement de cette région. En effet, malgré toutes les richesses naturelles, notamment animales et végétales, dont elle dispose et malgré sa forte densité démographique, la zone demeure sans cesse parmi les plus pauvres du pays et les moins pourvues en services élémentaires, tels que la santé et l’éducation. Très souvent d’ailleurs, l’eau fait l’objet d’affrontements qui prennent par la suite une dimension tribale et politique et provoquent blessures et arrestations.

« M.D.D » est l’un des personnages influents de sa tribu. Dans une déclaration qu’il a faite à Dunes-Voices, il nous confie que son village s’est vu obligé d’interdire au bétail des tribus nomades d’accéder à l’eau, de peur que la richesse végétale de la région ne s’en trouve déshydratée et qu’elle n’en vienne à périr, ce qui signifierait l’exode des habitants vers d’autres régions à la recherche de nouvelles ressources. Ils permettent toutefois que de petites quantités d’eau soient accordées aux nomades mais non pas à leur bétail, précise-t-il.

D’autre part, des sources contactées à la direction des eaux potables et usées de la province assurent que des efforts officiels sont en train d’être fournis pour le développement des régions rurales et pour leur ravitaillement en eau potable mais que le caractère anarchique des agglomérations, les interminables rivalités politiques, ainsi que la rareté des eaux souterraines dans certaines zones sont parmi les obstacles qui ralentissent le plus ce projet. 

Ces mêmes sources précisent par ailleurs qu’un plan gouvernemental est conçu chaque année, selon la densité de la saison pluviale et en fonction des zones où se retrouvent le plus de pâturages, de sorte que des puits artésiens sont creusés afin de faciliter la vie aux éleveurs qui représentent la plus grande majorité des habitants et pour que soient limités leurs déplacements.

Source : Mechri Ould Rabbany

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