Seul le côté ‘’défaite’’ de l’opération est largement mis en avant par les Ukrainiens et leurs alliés américains. Ces derniers ne semblent pourtant pas totalement pris au dépourvu par ce que vient d’entreprendre leur ennemi.
S’y attendaient-ils réellement ? Et comment ? L’ont-ils négocié avec les Russes, secrètement ? Silence radio des deux côtés.
Les Russes se contentent de parler d’impératifs, opérationnel et tactique. Curieusement, leur incroyable prouesse militaire, ils n’en disent presque rien : comment est-ce qu’ils peuvent, sous les feux nourris d’un ennemi surarmé, réussir un retrait, ordonné et sécurisé, en moins de 48 h, de dizaines de milliers de soldats et des milliers de pièces et d’engins militaires lourds?
Leur silence sur un tel succès, quasiment impossible, interroge.
La communication : quelles mises en scène de part et d’autre !
Il s’agit du troisième grand retrait opéré par les Russes en Ukraine depuis le déclanchement de ce qu’ils appellent ‘’l’opération militaire spéciale’’. Si cette dénomination est discutable à bien des égards, elle l’est autant s’agissant des messages que véhiculent les belligérants à propos du nouveau redéploiement de l’armée du Kremlin sur la rive Est du fleuve Dniepr.
En effet, la communication des deux parties peine à convaincre. Du côté russe, la mise en scène est invraisemblable, frisant le ridicule : le ministre de la défense, Serguei Choigou, discute sur les antennes de la télévision avec le général Sergueï Souroviquine, qui dirige les opérations en Ukraine, écoute et adopte ses propositions au sujet du retrait de ses forces de la rive droite du fleuve, et de leur nouveau redéploiement sur l'autre rive.
Depuis quand, des opérations militaires secrètes, et, de surcroît, d’une telle gravité, se discutent par les décideurs concernés sur les chaines TV !
Chez l’autre partie, on joue le jeu en faisant semblant de tout ignorer. C’est plutôt le doute que l’on manifeste sans trop s’y attarder, pour s’en détourner aussi vite. Comme si c’était convenu, les militaires ukrainiens pénètrent dans la ville aussitôt après l'annonce de ‘’l’achèvement total’’ du retrait russe par Serguei Choigou. En bon joueurs, ils déclarent, et y insistent, que ce sont leurs ‘’forces spéciales qui ont ouvert la voie lors de la reconquête effective’’ de la ville de Kherson qu'ils disent avoir "libérée''. Ils ne signalent toutefois aucune résistance ennemie ; ce qui ne les empêche pas de mettre en garde contre des menaces provenant de ''Russes restés sur place, déguisés en civils''. Une alerte dénuée de bon sens : les soldats russes n’ont pas combattu, organisés en unités de combat professionnelles, bien armés, équipés de tous leurs arsenaux militaires, combattront-ils désarmés et déguisés en citoyens ‘’lambda’’ ! Comme quoi, en termes de communication, le ridicule touche toutes les parties prenantes au conflit.
Profil bas de Poutine et de Biden
Par ailleurs, nombreux sont les observateurs qui constatent que Vladmir Poutine se tienne en retrait par rapport à la situation. En Occident, on explique cette attitude par le fait que le chef du Kremlin, ne se trouvant pas dans une posture de vainqueur, il laisse le soin à son ministre de la défense, au chef du théâtre des opérations et leur staffs d’occuper la scène médiatique.
Mais, de son côté, Joe Biden n’en parle pas trop non plus. Il a cependant lâché, lors d’une conférence de presse : ‘’les Russes ont choisi de n’annoncer leur retrait qu’après la fin des élections américaines de mi-mandat’’. C’est dire qu’il en savait déjà quelque chose, bien avant l’annonce officielle de l’opération par le Ministre russe de la défense. C’est dire aussi combien la guerre de l’Ukraine est observée par le locataire de la Maison blanche sous le prisme de la situation intérieure de son pays. Or, le conflit coûte de plus en plus cher aux contribuables américains aussi. Et leur président en est conscient.
Une situation qui pèse lourd, militairement et économiquement, sur les deux parties, obligeant le Kremlin et Washington à chercher d’autres voies.
Négociations secrètes, compromis et statuquo...
Comme nous venons de l’expliquer à propos des derniers développements militaires sur les théâtres de l’Ukraine, les apparences sont trompeuses. Le retrait russe de la ville de Kherson ne s’est pas fait dans les délais annoncés. Il a dû prendre plus de temps : plusieurs jours ou même plusieurs semaines. Et comme le pensent certains géopoliticiens et diplomates avertis, dont l'ancien ministre mauritanien des affaires étrangères et de la coopération, Mr Isselkou Ahmed Izid Bih[i], ce retrait est sans nul doute le fruit d’un accord secret entre Américains et Russes ; ce qui a offert aux derniers des conditions optimales de sécurité durant l’opération et permis aux Ukrainiens de récupérer une partie de leurs territoires annexés sans grands sacrifices de leur part.
Mais il serait trop simple, et assez réducteur, de penser que les conséquences s’arrêteront à quelques résultats tactiques.
D’autres évolutions probables sont à considérer à moyen et court termes. Une nouvelle situation, stratégique et géopolitique, est, en effet, en train d’émerger : Y’aurait-il des concessions en préparation, de part et d’autre ? Et de quel genre ?
A écouter, Volodmyr Zelensky, le président ukrainien, il n’en est pas question en ce qui concerne son pays. Seulement, le pauvre, ce n’est pas lui qui détient réellement les clés du problème.
(Affaire à suivre)
Colonel (e/r) El Boukhary Mohamed Mouemel
[i] Nous en avons parlé, lui et moi, au téléphone, hier soir. C'était à ma demande.
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