Le mythe de la Tour de Babel met en scène les Hommes qui essayent pathétiquement de se transcender, alors même qu'il leur est impossible de se détacher de leur essence : ils ne sont que des hommes, pas des dieux. Pour cette audace, Dieu les punit en les « confondant » à travers leur moyen d'expression, la langue. En multipliant les langues, IL divise les hommes et annihile chez eux toute ambition d'auto-déification. Mais IL n’annihile pas cette volonté (saine) de dépassement de soi, bien différente.
Depuis cette chute douloureuse du haut d'un rêve illusoire de grandeur, la porte de l'espoir est là pour l'Homme, dans la diversité des peuples qui le fondent, de se dépasser, spirituellement, sereinement, sainement, en paix avec les Autres, pour se retrouver en lui-même.
Ce schisme créé par l’Eternel a figé l'être dans une mosaïque identitaire, de perspectives qui se combattent depuis cette chute, se heurtent, se rencontrent, parfois s'épousent, se repoussent, dans une danse multi millénaire qui ne trouve pas encore d'horizon apaisé.Un horizon lointain, brumeux, car le chemin qui y mène est escarpé et dangereux pour ceux qui ont des certitudes identitaires figées, comme nous en voyons tant en Mauritanie, où l’identité est d’abord (encore) exclusivement communautaire, géographique, tribale.
Un chemin sur lequel le seul viatique qui permet d'avancer est la bonne foi et le courage, dans les canaux de dialogue, ouverts avec les Autres. Un chemin qui en emprunte d'autres, de traverses, vers les chemins d'autres identités sur la même quête, avec le même bâton d’appui, de la curiosité et de l'acceptation de la perspective de l'autre. Les certitudes devront s'effriter sur ce chemin vers cette ligne floue où nous serons réconciliés avec nos multiples identités. Et avancer sur ce chemin suppose donc de dialoguer avec les autres qui y marchent parallèlement, perpendiculairement, en cercle, tournant en rond dans la cage des certitudes adamantines.
« Ta vérité, et ma vérité »
« Il y a ta vérité, il y a ma vérité. La vérité qui nous unira est à mi-chemin entre nos deux vérités » disait Amadou Hampaté Ba, le disciple du sage de Bandiagara. Aller l'un vers l'autre. Se regarder continuellement dans le miroir tout en avançant, pour se débarrasser d'anciennes vaines certitudes clouées aux piloris de ce nouveau chemin qui se dessine avec l'Autre. Et débarrasser l'autre aussi de ces oripeaux comme il nous aide de son regard, à nous débarrasser des nôtres. Un chemin des martyrs. Oui un bien long chemin des martyrs ; mais comme Bouddha demande à l’orée du satori, si celui qui s’éveille à l’univers « a souffert pour la Connaissance », nous devrons assurément souffrir sur ce chemin du dialogue avec nous-même, avant de reconnaître l’Autre, et son discours, son point de vue. Cette souffrance viendra de l’amputation, ou de la corrosion à l’acide, de nos certitudes issues de la culture, de l’illusion glorifiée d’un passé chimérique, colportée dans la fanfaronnade communautaire.
C’est cette illusion, par exemple en Mauritanie, qui fige le dialogue entre les communautés.
En Mauritanie, nous avons perdu de vue ce chemin, cette autoroute de l'humanité sur laquelle doivent se déverser toutes les routes périphériques des communautés. Les routes ont été détruites, l'autoroute maintenue à distance. Le cloisonnement communautaire qui y règne depuis une trentaine d'années y a étouffé toute possibilité de réel dialogue. Les complexes de supériorité des uns ont maintenu les complexes d'infériorité des autres, au détriment d'une entité citoyenne qui aurait pu être le péage gratuit par lequel l'autoroute se serait ouverte à ce récent pays artificiel, et dont les gouvernants successifs, de l’indépendance à aujourd’hui, ont échoué à fonder ce Citoyen Mauritanien. Mais le silence règne. Un silence inquisitoire qui interdit aux voix désireuses de nouer un vrai dialogue de s’élever, en brisant les murs de tabous qui les en empêche.
Comme en fin d’année 2014, quand Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir, un jeune ingénieur, est condamné à mort pour apostasie, « par peloton d'exécution » par le tribunal de Nouadhibou. Son crime ? Avoir voulu instaurer un débat, un dialogue, sur le système de castes prévalant en Mauritanie, et qui fonde des êtres supposé plus « nobles », donc « supérieurs », que d’autres. Pour ce faire, il touche, par le canal de l’histoire et de la comparaison, la vie politique du Prophète Mohamed (PSL), pour tenter de désacraliser ce système féodal sévissant en Mauritanie, qui le place lui, forgeron de son état, au rang social le plus bas de cette société, en invitant ses compatriotes à y jeter un œil neuf.
Avec l'esprit rigoriste que le wahhabisme continue à développer dans ce pays et un discours de haine pure avant la réflexion et l'usage du cœur, un terrorisme intellectuel et de foi s'installe. Il touche aussi la classe politique, qui, par lâcheté ou opportunisme politique démagogique, accompagne ce mouvement, qui brise l’élan de tout dialogue social, intercommunautaire, politique, ou culturel.
Le rôle de l'écrivain dans cette tourmente d'incompréhension consiste à révéler les uns et les autres. Tisser un embryon de chaîne de liaison. À mon sens, c'est toute l'importance de découvrir d'autres littératures, d'autres points de vue autres que les nôtres, pour apprendre à percevoir le point de vue de l’autre et marcher vers sa vérité, en espérant le voir lui aussi marcher vers la nôtre.
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Toi et Moi
Je me reconnais dans tes yeux bleus
Qui saisissent aussi la splendeur du soleil;
Tes cheveux légers sont ébouriffés
Par les mêmes vents qui apaisent mes caniculesJe me reconnais dans la pâleur de ta peau :
Derrière cette fine membrane diaphane,
Pulse les mêmes craintes pour l’avenir,
Les mêmes joies pour les vies à écloreJe me reconnais dans ta recherche
Éperdue, du rythme invisible de l’Univers,
Que je vois dessiné sur ce simple sourire,
Quand parfois, tu tâtonnes la froideur des métaux...
Mamoudou Lamine Kane
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(*) Ce mot a été prononcé par l'auteur lors la Quatrième Rencontre Euromaghrébine d'Ecrivains sur le thème "Littérature et dialogue" qui s'est tenue en Tunisie, du 4 au 6 mai 2016 au Palais Ennejma Ezzahra-Sidi Bou Saïd.