Il est vraiment heureux depuis hier, contrairement à son père Hama. Fermer l’école pendant une dizaine de jours ou pour une durée plus longue, lui et sa petite sœur R… ne demandaient pas mieux que cela. Totalement à l’abri des contraintes liées à l’enseignement à distance, les deux enfants jubilent. L’absence totale de ce genre de service pédagogique dans notre système scolaire fait le bonheur de Sidi et de sa petite sœur.
Pour autant, l’aîné de la petite fratrie n’est pas resté bras croisés. Il s’est découvert une vocation à priori très utile. Il fabrique depuis quelques jours des masques de protection contre le Covid-19 en utilisant des matériaux et techniques simples, appris sur le net : du papier mouchoir, des élastiques et une agrafeuse papier. Il lui reste maintenant de rentabiliser l’invention. Ce qu’il a commencé à faire, en vendant le produit à chaque membre de la famille, à papa, à maman, et à sa petite sœur. Une clientèle encore trop reduite malgré que le prix soit compétitif, 100 UM-A.
« Comment l'élargir », se demande Sidi ? Il sait bien que, contrairement à son habitude, cette fois ce n’est pas à Papa qu’il doit s’adresser pour trouver la solution.
En effet, Hama impose depuis hier à la famille un confinement qui réduit le rayon d’action de son fils. Même s’il a beaucoup de mal à faire respecter sa décision, rien qu’à rappeler ses instructions, cela décourage les enfants.
Heureusement pour eux que les visiteurs, amis et parents, continuent de venir, nombreux, à la maison. De même, rien ne devait changer dans leurs habitudes sociales, notamment en ce qui concerne la participation de la famille aux grandes rencontres, festives ou tristes : festivités liées aux cérémonies de mariages, de baptêmes, de condoléances…
Oui, je dis bien « festivités de condoléances », car, comme dans de nombreuses régions du Continent noir, la mort, ça se fête chez-nous également, bien qu'on ne le dise pas. Si les autres peuples africains chantent et dansent lors des funérailles, nous, nous fêtons l’événement un peu différement : repas et boissons à foison, blagues, discussions et causeries amicales de façon quasiment ininterrompue durant les trois jours de deuil qu'observe la famille et les proches du défunt. Réciter le coran en groupe sert de sermon comme paravent à cette ambiance joyeusement invraisemblable qui se déroule, malgré les apparences festives, dans un contexte tristement surréaliste.
A chaque fois que l’occasion se présentait, Hama pense à ce paradoxe. Mais maintenant, ce n’est pas cela qui retient son attention. Son plus grand souci est ailleurs : comment compenser la fermeture des écoles alors qu’aucune possibilité d’enseignement à distance ne s’offre à ses enfants ?
La question accapare totalement son attention, sachant que la crise de coranavirus risque de durer et d’affecter dangereusement d’autres domaines vitaux de la vie en Mauritanie.
Pour y faire face, il prie le Bon Dieu. « Qu’Allah nous préserve », répète-t-il sans cesse.
« Une attitude fataliste », diront certains.
Même s’ils ont quelque part raison, l’explication- ou plutôt la critique- est réductrice et peu constructive. Mais quelles autres réponses puisse-t-on apporter à un drame mondial, aussi subite que grave, auquel les habitants de notre planète n'y étaient pas du tout préparés ?
La question inquiète énormément Hama. Cependant, il trouva queque peu du soulagement en appelant, à titre d’essai, le Numéro Vert, « 1155 », mis à la disposition du public par le ministère de la santé.
Comme la réponse, venant de l'autre bout du fil, fut rapide, il en déduit deux conclusions réconfortantes : « la ligne marche; et elle n’est pas saturée, Al hamdu lilah (louange à Dieu », se dit-il. Il se demanda, toutefois, craintif : « jusqu’à quand restera-t-elle comme ça ? »
El Boukhary Mohamed Mouemel
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