Le monde Afrique - C’est un scénario qu’aucune sphère du pouvoir algérien n’avait envisagé : la création d’une organisation dédiée à la paix et à la sécurité dans la bande sahélo-saharienne sans la participation de l’Algérie, la puissance militaire régionale.
La Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad ont mis en place depuis décembre 2014 le G5 Sahel. « Il s’agit de cinq pays ayant un destin commun et qui ont souverainement décidé de conjuguer solidairement leurs forces et dont l’appartenance à cet espace sahélien, qui s’étend certes au-delà de ces Etats, est incontestable, précise le secrétariat du G5 Sahel basé à Nouakchott. Ce sont des Etats homogènes sur le plan topographique, géographique, culturel, socio-économique ou même d’un point de vue géopolitique », ajoute-il.
Eviter les querelles de leadership
On aura vite compris que cette nouvelle organisation ne veut pas s’épuiser dans des querelles de leadership, ni même voir ses ambitions entraver par un « grand frère » algérien qui n’a pas toujours assumé ses responsabilités. Et comme pour apporter la preuve qu’il est le « bon format, à la bonne échelle », le G5 Sahel a lancé des projets tous azimuts en matière de lutte contre l’insécurité dans le Sahel.
Il entend ainsi ouvrir, avant la fin de l’année, une école de guerre à Nouakchott en Mauritanie et mettre en place un bataillon d’intervention rapide (BIR). Le G5 Sahel revendique déjà une douzaine de patrouilles conjointes entre les armées nationales sur les frontières communes et vante par ailleurs ses avancées pour arriver au partage du renseignement.
Dans ses efforts pour mieux associer sécurité et développement, l’organisation réfléchit au lancement dans les prochains mois d’une compagnie aérienne, Air Sahel, et à moyen terme à la construction d’une ligne ferroviaire Nouakchott-NDjamena passant par le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Derrière les raisons officielles de l’exclusion de l’Algérie du G5 Sahel s’exprime une volonté claire de tirer les enseignements de l’expérience avortée de coopération régionale en matière de lutte le terrorisme et les autres forces d’insécurité.
La Mauritanie, le Mali et le Niger n’ont pas oublié que le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), créé en 2010 sous l’égide de l’Algérie, puis installé à Tamanrasset, est resté une coquille vide. De son bilan, il n’existe aucune trace !
Déception des « petits frères sahéliens »
Les trois pays, qui forment aujourd’hui l’ossature du G5 Sahel, n’oublient pas non plus que le centre commun de partage du renseignement, annoncé dans la foulée de la création du CEMOC, n’a jamais réussi à fonctionner.
Le caractère inadéquat de l’aide bilatérale algérienne aux « petits frères sahéliens » est venu ajouter à leur déception et conforter leur préférence de créer un autre choix, sans la puissance militaire algérienne. En janvier 2012, le Mali avait besoin d’une intervention militaire urgente et directe pour stopper la progression des djihadistes, partis du nord, vers Bamako. L’Algérie en avait les moyens, elle ne l’a pas fait.
De même, en mai 2013 lors des attaques terroristes contre les villes d’Agadez et Arlit, sur la frontière algéro-nigérienne, le Niger avait besoin d’une aide directe en forces spéciales. L’Algérie en avait les moyens, elle n’est pas venue à la rescousse de son voisin. Pourtant, elle avait su faire intervenir ces mêmes forces chez elle lors de l’attaque d’In Amenas, en janvier 2013.
Même justifié par des dispositions constitutionnelles, qui interdisent depuis l’indépendance à l’Armée nationale populaire (l’ANP) d’intervenir hors des frontières nationales, le refus de l’Algérie de voler militairement au secours de ses voisins du Sahel (c’est d’ailleurs le cas avec la Tunisie aussi) a fini par créer de la déception, voire la frustration. Ils y ont vu, sans doute à juste raison, la démission du « grand frère algérien » !
La France en embuscade
Pendant ce temps, la France en a profité pour avancer ses pions. D’abord à travers ses interventions militaires directes au Mali (janvier 2012), au Niger (mai 2013), au Mali encore lors de l’attentat du 20 novembre 2015 contre le Radisson Blu et au Burkina Faso, le 15 janvier, au moment de l’attaque terroriste contre le Splendid Hôtel de Ouagadougou.
Porté par son succès auprès des pays bénéficiaires, Paris envisage même, en plus des autres forces déjà sur place, de prépositionner des éléments du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), spécialisé dans la lutte contre les attaques terroristes qui ont frappé ces derniers mois des capitales ouest-africaines.
Personne ne le dit ouvertement à Paris, mais la création du G5 Sahel sans l’Algérie ne suscite aucun regret de la part des autorités françaises. Bien au contraire, on y voit une excellente occasion de contrer l’influence militaire et stratégique algérienne sur la bande sahélo-saharienne.
C’est sans doute cela qui explique l’enthousiasme des autorités françaises à accompagner la montée en puissance du volet sécuritaire du G5 Sahel. En effet, la France va apporter une aide directe à la future école de guerre de Nouakchott, qui devrait à terme devenir un collège interarmes, ouvert aux autres forces de défense et de sécurité (police, gendarmerie, douanes, gardes nationales, agents des eaux et forêts).
Les cinq pays sahéliens ont également obtenu la promesse que Paris devienne, chaque fois que ce sera possible, leur avocat dans les instances internationales (Union européenne, Nations unies, Banque mondiale).
Le G5 s’occupera directement du plaidoyer auprès de l’Union africaine qui, après une longue hésitation, a fini par voir en lui un partenaire stratégique dans la lutte contre l’insécurité et pour le développement dans la bande sahélo-saharienne.
Convaincus que l’efficacité de leur organisation repose surtout sur son homogénéité et sa cohérence, les pays du G5 Sahel ont cadenassé la porte derrière eux : plus aucun Etat n’y sera admis comme membre à part entière. Au mieux, ils accepteront quelques Etats observateurs. L’Egypte a formellement fait acte de candidature alors que le Sénégal hésite encore, campant sur son exigence de « membre à part entière ou rien ».
La nécessité d’une coopération
L’Algérie, pour sa part, observe de loin la nouvelle entité prendre son envol, se disant que tôt ou tard son expertise sera sollicitée. Ce qui n’est pas faux du reste ! Au moins sur le plan de la connaissance des mouvements djihadistes encore actifs dans la sous-région. La branche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui a revendiqué les attentats de Bamako et Ouagadougou, est dirigée par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, que les services algériens connaissent mieux que quiconque.
L’Algérie disposait également des canaux de communication avec Iyad Ag Ghali, du mouvement djihadiste Ansar Dine, qui a repris avec intensité ses activités au Mali, et peut-être même au Burkina Faso et sur la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Mali. A défaut de compter sur Alger pour neutraliser ces deux groupes, le G5 Sahel pourrait au moins obtenir qu’ils ne soient pas tolérés, voire manipulés.
Par ailleurs, le soutien bilatéral algérien continuera d’être utile aux « petits frères sahéliens ». L’Algérie a fourni pendant longtemps du carburant à l’armée malienne pour l’aider à assurer ses patrouilles dans les zones d’insécurité. Le pays a également formé au moins deux bataillons antiterroristes au Niger, voisin auquel il a promis de l’aide pour la construction des casernes destinées aux forces de défense et de sécurité sur la frontière commune.
La poursuite de cette coopération est d’autant plus souhaitée par les pays, tout en gardant leur marge d’indépendance envers le « grand frère », qu’elle leur permettra d’avoir des capacités opérationnelles nationales qui pourront ensuite être mutualisées.
S’il est tout à fait juste de la mutualisation des moyens humains et techniques nationaux comme une tentative de réponse aux défis sécuritaires au Sahel, il faut cependant prendre garde à penser que l’addition des faiblesses va produire une meilleure efficacité.
Le G5 Sahel ne pourra finalement pas faire l’économie d’une coopération avec l’Algérie, la puissance militaire et stratégique régionale. Reste seulement à savoir sous quelle forme elle se mettra tôt ou tard en place.
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*Seidik Abba, journaliste et écrivain, est l’auteur de Rébellion touarègue au Niger. Qui a tué le rebelle Mano Dayak ? (éd. L’Harmattan, 2010).
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