Hindou Mint Ainina, ministre mauritanienne de la Culture et de l'Artisanat, met la culture au centre de toute politique sécuritaire, notamment les statégies de lutte antiterroriste et contre l’extrémisme. Pour elle, la solution est naturellement globale et pluridisciplinaire, avec notamment une dimension culturelle et religieuse. Consciente du poids de cette dimension dans le combat contre la culture de l'intolérance et les idées intégristes, elle explique comment en Mauratanie, cet aspect s'est traduit par "l’amorce d’un dialogue avec ces extrémistes, avec leurs ténors et avec leurs idéologues".
Cependant, remarque-t-elle, « nous avons tous besoin de revisiter nos cultures, nos patrimoines, nos identités ainsi que notre référentiel idéologique, moral et culturel ». Une ambitieuse tâche qu'annoce la Ministre !
Par rapport à cet énorme défi, comment compte-elle s'y prendre? Autrement dit : quelle est sa vision de la culture dans le contexte d'aujourd'hui, un contexte marqué par l'instabilié, par la perte de repères moraux, par la mondialisation et ses effets déroutants ? La réponse de Hindou Mint Aïnina est à chercher dans dans l'entretien suivant avec Wal Fadjri, rapporté par CRIDEM :
«Wal Fadjri : Le contexte d’aujourd’hui reste marqué par ces clichés de terrorisme souvent collés à la religion islamique… Quelle solution culturelle la Mauritanie entend apporter à ce débat ?
Hindou Mint Aïnnina : Je dois dire que la politique menée par Son Excellence, le président de la République islamique de la Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz, a été essentiellement de traiter le problème dans toutes ses dimensions : religieuse, culturelle et sécuritaire. Ici en Mauritanie, nous essayons de traiter le dit problème à tous les niveaux.
D’abord au niveau sécuritaire, qui a été très visible d’ailleurs et qui constitue pour nous un traitement préventif pour toute action qui peut être menée.
Ceci, dans un environnement qui est de plus en plus très instable surtout dans notre sous région où nous partageons tout ensemble. Mais aussi très religieuse, par l’amorce d’un dialogue avec ces extrémistes là, ainsi qu’avec leurs ténors et avec ceux-là qui sont leurs idéologues. Et c’est à ce dialogue référentiel au sein de notre religion même que nous nous référons pour désamorcer déjà la pensée.
Donc, je dois souligner que le débat a été véritablement amorcé, tant au niveau des principes qu’au niveau de la pensée pour repousser le jihadisme et l’extrémisme.
Sans parler aussi du fait que nous avons, au niveau de la Mauritanie, amorcé une politique économique assez audacieuse pour la mise en place de grosses infrastructures qui soutiennent le développement, une autre approche aussi au niveau culturel a été mise en place. A ce niveau, il s’agit de mettre en exergue l’importance du patrimoine culturel, de l’importance de vivre ensemble, la tolérance.
Wal Fadjri : Pensez-vous que la culture puisse servir de rempart face aux assauts contre l’islam.?
Hindou Mint Aïnnina : Je pense que nous avons tous besoin de revisiter nos cultures, nos patrimoines, nos identités ainsi que notre référentiel idéologique, moral et culturel. Et surtout de reprendre en main ce que nous sommes, parce qu’il y a cette rupture intergénérationnelle entre ceux qui détenaient un pouvoir traditionnel, une morale traditionnelle et une culture traditionnelle, et ceux qui sont en train de vivre la modernité et la mondialisation globale, ou la globalisation ou la mondialisation écrasante.
Donc, entre les deux, il nous faudra bien trouver notre véritable place. Et je pense qu’il est plus qu’urgent pour nous de beaucoup réfléchir.
Wal Fadjri : Existe-t-il une industrie culturelle en Mauritanie?
Hindou Mint Aïnnina : Pas encore vraiment. Car l’industrie culturelle demande une infrastructure culturelle. Cela demande aussi une politique culturelle, et c’est ce que nous sommes en train d’amorcer depuis que le Président Mohamed Ould Abdel Aziz est à la tête de la Mauritanie.
Parce que, c’est maintenant, pour nous, une volonté politique de faire de la culture un levier de développement. Nous sommes en train d’engager ce processus, car cette année 2015, notre gouvernement a adopté un programme national de développement culturel.
Ceci avec plusieurs dimensions de développement, à savoir celui des infrastructures, celui du personnel d’encadrement, du développement des concepts culturels et la conception d’une réelle politique culturelle dans le pays.
Wal Fadjri : Quelle est la politique culturelle que vous menez en ce moment pour que les acteurs et artistes culturels puissent mieux vivre de leur art ?
Hindou Mint Aïnnina : J’avoue que la culture est jusqu’ici restée dans le traditionnel, mais surtout dans l’informel. En tout cas, pour toutes ses composantes musique ou immatérielle, tout cela est jusqu’ici resté dans l’informel. Et il est aujourd’hui temps de pouvoir sortir avec quelque chose de structuré.
Et surtout mettre cela dans le cadre d’un effort commun c'est-à-dire de valorisation de ce patrimoine immatériel qui est généralement oral, parce que nous sommes tous africains et nous avons une tradition orale par excellence.
Wal Fadjri : Les promoteurs de spectacles se plaignent très souvent de la lourdeur des taxes qui leur sont infligées. Quel message d’espoir peuvent-ils attendre de leur ministre de tutelle ?
Hindou Mint Aïnnina : Avec la volonté expresse et les instructions très claires du président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz, nous sommes en train de faire en sorte que le secteur culturel soit très actif, vivant et qu’il soit pluriel. Donc c’est cela notre message fondamental. Nous travaillons avec tous les secteurs du gouvernement pour mettre cela en place.
Wal Fadjri : Des artistes sénégalais se produisent souvent en Mauritanie. Tel n’est pas le cas pour les Mauritaniens. Comment équilibrer les choses ?
Hindou Mint Aïnnina : Le déplacement des artistes relève en général d’une volonté personnelle, ou de l’existence d’un public réceptif. Donc je suppose que c’est une question qu’il faudra encore continuer à poser et à débattre.
En tout cas nous avons ici en Mauritanie, des conventions avec le Sénégal, dans le domaine culturel, de l’artisanat. Nous sommes en train d’ailleurs d’échanger avec les autorités sénégalaises sur toutes ces questions et nous en avons beaucoup discuté lors de la dernière grande commission mixte entre les deux pays.
Et actuellement c’est un cadre juridique que nous sommes en train de mettre en place et qui doit nous permettre de travailler ensemble dans un cadre organisé. Quand bien même les musiciens mauritaniens restent encore dans le cadre informel. Maintenant, il reste aux promoteurs culturels de nous proposer des schémas et des projets cohérents que nous pourrons accompagner.
Propos recueillis à Nouakchott par Abou Kane»
Source : CRIDEM