L´UNITÉ EN QUESTION!
L´Unité Nationale. Un rêve, un beau rêve pour tout mauritanien assez conscient pour voir ce qui se passe. Tout citoyen qui aime sa patrie et veut en faire un lieu de tolérance, d´unité dans la diversité, d´acceptation mutuelle. Un citoyen assez ouvert pour voir et surtout concevoir que cette terre qu´on aime et claironne à tort et à travers, la qualifiant de terre de contact et de rencontre entre les peuples-doit rester ce qu´elle était toujours: non sans heurts, mais elle l´était quand même. Une terre de rencontre de civilisations Berbères Sanhaja, Négro-africains du Ghana et du Waalo, et, plus tard, les Arabes bédouins, tous-en l´absence d´un pouvoir centralisé- vivaient, chacun dans son domaine, en échangeant leurs cultures et leurs produits.
C´est beau de disserter sur ce sujet, si beau que bien des gens le font au risque de déformer certaines réalités passées et d´autres réalités présentes. On a trop parlé de cette unité. Parfois, on en parle tellement, au point d´oublier que le fait même d´en parler suppose qu´elle n´existe pas, ou au moins qu´elle est à parfaire. On en oublie que, pour unir des choses, il faut d´abord accepter le principe de leur différence et qu´elles soient séparées.
Il faut que l´on sente qu´on n´est pas menacé, non seulement dans son appartenance, mais aussi dans sa survie. Et pour avoir cette assurance, il faut que l´on se sente accepté tel qu´on est, avec tout ce qu´on a de différent.
Il ne suffit pas de crier à l´unité nationale pour qu´elle soit, il faut d´abord savoir pourquoi elle « n´a pas été ». Ceux qui croient que dans ce pays il y a eu une unité, au sens le plus élémentaire du terme, entre ses peuples depuis leur existence, doivent se rectifier.
D´ailleurs, comment pouvaient-ils s´unir ? Comment les Noirs, qu´on attaquait il n´y a pas très longtemps encore dans des razzias pour les vendre en esclaves, pouvaient-ils avoir confiance en ces Blancs du désert qui représentaient l´horreur à leurs yeux ? Comment les Berbères-et plus tard, la plupart des Zwayas et Aznagas-pouvaient-ils se fier à ces Arabes conquérants, « pilleurs et sanguinaires », qui les avaient réduits en hommes de second rang sauf récupération et qui leur avaient même imposé leur langue ? Comment ces groupes aussi différents pouvaient-ils s´unir, étant donné que leur survie même obligeait qu´ils s´opposent ? Ils faisaient beaucoup d´échanges certes, mais ils n´avaient aucune raison de s´unir, car leurs modes de vie étaient relativement différentes.
N´essayons pas, comme se hasardent à le faire bien des gens, de donner à l´islamisation de la région une action unificatrice- bien qu´il soit répandu dans la région, l´Islam n´a pas changé l´état des choses. C´étaient les Arabo-bérberes musulmans qui razziaient et vendaient les esclaves- c´étaient eux même qui soumettaient des populations musulmanes pour en soutirer un tribut. C´étaient ceux là même qui parlaient au nom de l´Islam qui dominaient au nom de celui-ci. Cela n´est pas un plaidoyer contre l´Islam, ni contre sa capacité à constituer, à un moment de l´histoire- n´importe lequel- un facteur unificateur, ne serait-ce que théoriquement. Mais alors on doit bien se demander de quel Islam s´agit-il ? Le vrai, c´est-à-dire celui qui prône l´égalité des hommes, quelle que soit leur race et leur origine ? Ou bien celui qui, ici, classe les gens en « pseudo-castes » nettement distinctes rien que par leur soit-disant naissance ? Est-ce l´Islam qui recommande la justice sur la base de l´égalité devant Dieu, ou celui qui permet de tenir d´autres musulmans en servitude et de les traiter en hommes inférieurs? Celui qui recommande le droit au savoir ou celui qui permet à une minorité de monopoliser le savoir religieux et de l´utiliser à l´égal des armes-comme moyen de supériorité et de domination? On voudrait bien savoir de quel Islam il s´agit avant de prétendre qu´il a pu être un facteur d´unité dans cette région. Cet espoir d´unité que l´Islam aurait pu faire et n´a pas fait naitre, ce n´est pas l´arabisme borné et l´arabisation forcée qui le feront naître. Nous avons trop peur de dire certaines choses, à tel point que nous finissons par croire qu´elles n´ont pas existé.
A mon humble avis, ce n´est pas en criant notre arabité sur les toits que nous arriverons à nous convaincre que nous sommes arabes. En fait, ceux parmi nous qui tiennent ce langage donnent l´impression d´un enfant qui arrive tant bien que mal à exprimer ce qu´il croit, mais a besoin de l´approbation de sa mère pour y croire vraiment. Nous paraissons vouloir nous convaincre nous même d´un fait qui a été accompli avant nous. Là , il faut retenir qu´un arabe est, ni plus ni moins, quelqu´un qui parle un langage arabe comme langue maternelle. Il faut aussi préciser que tous ces Arabes d´Afrique ou d´ailleurs, qu´ils soient d´origine Egyptienne, turque, persane, bérbere ou autre, se caractérisent uniquement par l´usage de cette langue, qui n´est plus ni moins qu´une langue. Seulement, dans notre Inconscient collectif nous n´arrivons pas à essuyer la défaite historique devant les conquérants Hassanes. Peut-être aussi ne pardonnons – nous pas les problèmes que la Mauritanie a rencontré pour être reconnue comme Etat Nation Arabe. Cet inconscient nous pousse à faire des actes qui pourraient prouver à nous même et au monde entier que nous sommes arabes. Ici, chacun peut expliquer cela à sa façon.
Dans notre raisonnement simpliste, on ne peut être arabe que d´origine- ce qui en réalité limiterait le nombre d´arabes aujourd´hui au moins leur dixième. Comment arrivons-nous á prouver que nous sommes arabes d´origine? Nous ne tenons en fait de nos appartenance Sanhaja que ce qui prouve que nous étions autre chose que des Arabes: les noms de nos tribus et parfois nos familles-essayez seulement d´être assez superficiel pour convaincre les gens de l´origine arabe des Lemtouna,Tendgha ou Techouncha, rien qu´à titre d´exemple.
Ces noms nous rappellent trop la défaite, et à défaut de l´essuyer, nous la renions, et du coup nous nous renions.
Nous ne sommes devenus arabes-peut-être malgré nous- et nous n´avons pas besoin de le crier pour que ça soit vrai. Mais soyons conséquents avec nous même et n´imposons pas notre langue aux autres. Car ces gens que nous voulons assimiler font partie de ce pays et n´en disparaitront que s´il n´existe plus (le cas kurde d´Irak n´est pas enviable). Laissons les choisir eux mêmes d´être avec nous. Précisons leur que pour être ensemble dans ce pays et pour que ce pays continue à exister, il faut qu´ils nous acceptent, mais aussi que nous les acceptions.
Il faut que chacun d´entre nous admette que le fait de reconnaitre la différence de l´autre n´enlève rien à sa légitimité ni à ses droits, pas plus qu´à son appartenance. Il est temps que chacun de nous comprenne que la Mauritanie est difficilement comparable aux pays d´Afrique de l´Ouest,…pas plus qu´aux pays arabes. Admettons ensemble que nous avons des réalités différentes ici, et que nous avons une réalité différente du reste du monde. C´est uniquement comme cela que nous sauverons notre pays, et que nous pourrons avoir une identité, une personnalité, une caractéristique sociale qui nous est propre. Ce qu´il faut faire aujourd´hui, ce n´est pas de vouloir un retour en arrière vers une histoire et une civilisation dont on ne retient que des demi-vérités déformées.
Notre salut ne sera pas non plus dans la course vers un arabisme et une arabisation qui n´a pas encore fait ses preuves dans le monde actuel, et qui pose bien des problèmes pour des arabes bien « plus anciens «que nous- En se fondant dans le monde arabe- avec la passion qui nous est propre- nous perdons notre personnalité mauritanienne, et du coup notre histoire notre identité. Que ceux qui tentent de nous pousser à cela par les paroles ou les actes sachent qu´en perdant leur personnalité mauritanienne ils seront moins que rien, non seulement aux yeux du monde- qui ne les voit qu´à la loupe-mais à leurs propres yeux. Car ce qui est sûr, c´est qu´un maure (arabe, bérbere, arabo-bérbére, ce que vous voulez) ne peut se reconnaitre nulle part ailleurs. Cette identité qui fatigue tellement chez nous nous risquons de la perdre, parce qu´au rythme où nous allons nous risquons de perdre la Mauritanie.
Le 31 juillet 2007.
Hindou Mint Aïnina
Rédactrice en chef du Calame – Nouakchott-Mauritanie
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