L’approche de notre lutte antiterroriste au Sahel n’est pas la plus adaptée !*

Face aux forces terroristes disséminées en minuscules fragments dont la mobilité et l’autonomie sont poussées à l’extrême, il s’impose de repenser de toute urgence la stratégie jusqu’ici mise en œuvre. Devant cet ennemi sortant totalement des schémas connus, il faut reconnaître l’inadéquation de l’approche et se réadapter au contexte.

Comprendre l’articulation et l’organisation des forces adverses :

Les groupuscules terroristes ne sont pas articulés sous une forme connue et constante, les véhicules, motos et individus à pieds ne sont pas préalablement regroupés, ils obéissent à un schéma mis en œuvre seulement à quelques heures de l’exécution du coup de main ou de l’attaque. Aussitôt l’opération terminée, les éléments se disloquent et se fondent dans l’environnement naturel ; villages, hameaux, oueds, mouvements nomades voire périphéries citadines. Donc à proprement parler il n’y a pas, sauf cas exceptionnels, d’unités constituées suivant une configuration préétablie. C’est précisément pour cette raison que l’observation aérienne et le renseignement terrestre peinent à les repérer hors accrochages.

La poursuite de l’ennemi est à éviter autant que possible, privilégier l’interception et surtout axer l’effort sur l’identification et la neutralisation de la logistique ennemie. La guerre asymétrique de surcroît en zone sahélienne, se joue concomitamment sur les points suivants :

  • La destruction de la logistique des terroristes.
  • La rupture de l’ascendance du djihad sur les populations locales.
  • Une action socio-économique soutenue et permanente pour sortir les populations locales de la misère et donc de la dépendance vis-à-vis des groupes terroristes.
  • L’anticipation des attaques ennemies en s’appuyant sur le renseignement humain et électronique pour le neutraliser avant toute action.
  • Enfin engager une vigoureuse campagne spirituelle de déradicalisation dans toute la zone sahélo-saharienne.

Dans une zone de combat grande comme une fois et demie l’Europe, le sort de l’ennemi reste étroitement lié à sa logistique, donc sa base. Quel qu’en soit le lieu d’implantation, et quel qu’en soit le prix, la privation de l’ennemi de son carburant, de ses munitions et de son intendance prime sur toute autre action opérationnelle. Si cette logistique se trouve être dans un pays tiers il s’impose de mettre en œuvre toute la puissance de la machine diplomatique dans un premier temps pour y mettre fin. En tout état de cause la neutralisation des bases et l’assèchement du soutien logistique est un impératif incontournable pour contenir et vaincre l’ennemi.

Révision du concept de l’articulation organique de nos formations de combat engagées.

Les approches expérimentées en Afghanistan, en RDC (République démocratique du Congo, NDLR) … démontrent que le concept de forces juxtaposées en coalition est inefficace dans ce genre de combat.

Dans des conflits du genre, toute aide ou mutualisation des forces doit se faire à travers les structures de combat nationales locales auxquelles l’on peut toutefois adjoindre des conseillers au niveau du commandement en plus de cellules techniques d’appui, de communication, de repérage de guidage… Une juxtaposition de forces internationales, même très professionnalisées, ne constitue en aucun cas l’addition de leurs capacités ni la démultiplication de leur action. Même combinées, ces formations resteront chacune sur son approche et ses objectifs propres, d’où un problème de synchronisation permanent. Le concours de l’ensemble des forces doit mener vers un objectif unique, ce, suivant une approche stratégique globale. La base de la construction des forces doit impérativement partir des forces locales,mais ces forces doivent être organisées, formées et renforcées. Une fois ces unités professionnalisées, accoutumées à l’ambiance opérationnelle sahélienne et aguerries au combat du désert l’on aura alors acquis une sécurisation adaptée et surtout permanente. L’on pourra alors se passer de la projection particulièrement couteuse, depuis des milliers de kilomètres, d’unités étrangères. La mise en place du G5 SAHEL conçu comme force regroupant un bataillon de chacun des cinq pays que sont le Mali, le Burkina, le Niger, le Tchad et la Mauritanie est une idée généreuse mais sans plus. A notre humble avis il aurait été plus judicieux de découper la zone sahélienne « infectée » en plusieurs zones, chaque pays ayant la mission de sécuriser la sienne. Ceci supposant bien entendu la remise à niveau au préalable de chaque force, avec la coopération des pays amis impliqués. L’aide amie devra alors porter sur la formation et l’intégration du soutien à tous les niveaux (logistique et appui opérationnel). Pour ce faire, l’action globale militaire devra obligatoirement être accompagnée de la volonté politique indispensable à une coopération très poussée des forces.

Il faut avoir l’honnêteté d’admettre et d’intégrer pour de bon, quant à nous autres Sahéliens, que, ni nos économies ni nos armées ne sont capables de faire face seules, à cette menace majeure. Plus que jamais nous avons besoin du soutien de la communauté internationale et la France est à ce jour la seule à consentir un engagement digne de ce nom. Nous ne sous-estimons pas l’aide des autres pays amis et institutions, mais nous la voudrions calquée sur l’urgence et à la hauteur de nos attentes en eux.

N’eut été l’action de la France via Serval en 2013, le Mali, voire tout le Sahel serait aujourd’hui sous la coupe des Djihadistes. Ceux qui mènent cette campagne ingrate et dangereuse contre les forces françaises se doivent de s’aplatir et de se rappeler le soulagement des Maliens, de leurs voisins et du monde, quand le président François HOLLANDE, sans la moindre hésitation, a pris la lourde responsabilité d’engager la France au secours des pays du Sahel. Rappelez-vous cet élan national de générosité par lequel population et parlement français ont soutenu cette coûteuse intervention ! Son successeur, le président MACRON s’y est investi avec force en prenant le relai et en renforçant l’engagement de son prédécesseur. Mais cette implication de la France ne doit pas nous faire perdre de vue que cette guerre est avant tout la nôtre et qu’un jour ou l’autre, il faudra que l’on prenne nos responsabilités pour en assumer la conduite. Un jour proche il faudra que nous mourions au Sahel non plus en tant que victimes collatérales passives des attaques, mais comme combattants de première ligne. A défaut de permettre à la France d’arracher ses fils du désert, de notre lointain désert, sachons ne pas cracher sur le bras qui se saigne aux quatre veines pour nous protéger.

L’exemple des armées mauritaniennes et tchadiennes est la preuve qu’avec de l’expérience en matière de guerre des sables, un équipement adapté, même en deçà du besoin et un minimum d’organisation, l’on peut très vite s’avérer apte à faire face aux terroristes sahéliens. Imaginez la force de frappe que seraient ces forces mauritaniennes et tchadiennes équipées au maximum, renforcées en conseil opérationnel et en soutien de renseignement, de communication, de guidage et d’appui ! Il n’y a pas le moindre doute que la solution au problème du terrorisme au Sahel passe par l’engagement dans la remise à niveau des armées nationales impliquées. La guerre par procuration comme la gouvernance sous tutelle sont des approches erronées qui ne sauraient mener que vers la désillusion. L’engagement en Afghanistan a été un échec, ceux en RDC et en RCA (république de centrafrique, NDLR) sont entrain de virer au fiasco, tirons – en la leçon qu’il faut et réadaptons notre approche du problème. Comment peut-on par ailleurs concevoir se lancer dans cette délicate et lourde guerre contre le terrorisme au Sahel et ne pas intégrer ou tout au moins s’attacher le partenariat de grands pays non seulement pleinement concernés, mais des puissances régionales tels le Maroc, l’Algérie et le Nigéria ? Et ces voisins du sud et du sud-est ? Le cours des évènements de ces dernières années a largement démontré qu’ils sont tout aussi menacés que nous ; je veux parler du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Elargir la coalition à tous ceux qui sont sécuritairement concernés, ceux qui constituent la ceinture autour de ces étendues sahéliennes, loin de nous handicaper, boostera autant notre cause que nos capacités économico-militaires à y faire face. La constitution d’un tel bloc, outre les innombrables avantages plus haut mentionnés, ne manquera pas par ailleurs de créer l’élan de solidarité propre à tempérer les susceptibilités et tensions historiques qui n’ont que trop duré.

    L’impérieuse nécessité d’asseoir une bonne gouvernance inclusive.

Si la guerre ne battait actuellement son plein au Sahel, j’aurais dit que c’est par là qu’il fallait commencer !

Mais hélas, on en est là aujourd’hui et les regrets n’ont jamais été que des justificatifs pour minables.

L’ambassadrice américaine adjointe Cherith, Norman avait souligné lors d'une réunion du Conseil de sécurité :

«Pour lutter contre la violence dans la région et renforcer la stabilité, nous avons besoin d'un engagement accru des gouvernements régionaux».

Et d’ajouter plus loin :

«N'avoir qu'une réponse militaire empêche souvent de traiter les raisons qui sont à l'origine d'un conflit violent», a aussi relevé la diplomate américaine. A cet égard, «toutes les communautés en Afrique de l'Ouest et au Sahel devraient pouvoir bénéficier de gouvernements inclusifs les représentant», a-t-elle estimé. Ceci devrait aussi leur permettre «d'accéder aux services essentiels et aux ressources» et de voir la responsabilité des dirigeants engagée «lorsqu'ils échouent à répondre à ces besoins».

C’est peut-être là, plus qu’ailleurs que l’aide internationale s’avère utile et ce pour plusieurs raisons :

Soustraire les populations locales de l’emprise économique des groupes djihadistes et asseoir l’autorité de l’état localement.

Dissoudre à l’occasion cette tutelle tacite pour annihiler toute collaboration entre le terrorisme et la population.

Tisser, au fur et à mesure des liens entre ces populations et les représentants de l’administration nationale. Cette action qui devra être doublée d’une offensive culturelle et spirituelle de déradicalisation soustraira les locaux de toute emprise de l’islamisme radical. Les gouvernements locaux, en plus de l’ancrage de la bonne gouvernance auront l’obligation, sous peine d’un retour à la case de départ, d’instituer et d’imposer à tous les niveaux la justice par la juste répartition sociale et géographique de la richesse nationale et l’égalité des citoyens devant la loi.

Il faut retenir qu’en amont comme en aval du drame que constitue le terrorisme au sahel se trouve toujours ce grave problème qu’est le DEFICIT DE GOUVERNANCE sans la résolution duquel il n’y aura ni quiétude ni paix.

Houssein Jiddou BABY

Intendant - Colonel/ret

 

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*  Le présent écrit s'interresse principalement aux approches du G5 SAHEL, de BARKHANE  et de la MUNUSMA.

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