Hier soir à Nouakchott, au restaurant "Le Délice", l’Association des Ecrivains Mauritaniens d’Expression Française (AEMEF) a organisé une cérémonie pour rendre hommage au romancier M’Barek Ould Beyrouk et celebré le « Prix Ahmadou Kourouma » qu’il a obtenu.
La manifestation a connu la présence d’écrivains, de journalistes, d’hommes de culture et de diplomates dont l’ambassadeur de France.
Plusieurs intervenants se sont succédé à la tribune. Nous publierons certaines de leurs communications que nous commençons par le discours d'ouverture du Président de l’AEMEF, l’universitaire Mohamed Ould Bouleiba, professeur de littérature générale et comparée (Université de Nouakchot :
" Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi d’abord de vous remercier tous, très chaleureusement, de votre présence à cette cérémonie et de me féliciter de l’honneur que vous nous faites d’y assister, malgré l’heure tardive et les contraintes du mois béni de Ramadan.
L’évènement qui nous réunit ce soir ; la célébration par l’Association des Ecrivains Mauritaniens d’Expression Française(AEMEF) du prestigieux « Prix Ahmadou Kourouma » de littérature, édition 2016 obtenu par notre compatriote MBarek Beyrouk, nous semble bien mériter de vous déranger après une journée de jeûne difficile ; afin de ne pas retarder davantage cette cérémonie que nous aurions voulu organiser dès le lendemain de l’annonce de la bonne nouvelle, ce que des circonstances de force majeure nous ont empêchés de faire.
Mesdames, Messieurs,
L’AEMEF est fière et honorée de compter le lauréat Beyrouk parmi ses membres fondateurs et de voir ainsi atteint, grâce à la notoriété que ce prix apporte à l’auteur du Tambour des Larmes et à travers lui à la littérature de notre pays, un des objectifs qu’elle se fixe ; à savoir la promotion de la littérature mauritanienne et sa vulgarisation dans le monde. Notre Association poursuit également d’autres buts :
- Accompagner, guider et soutenir les écrivains mauritaniens ;
- Favoriser les rencontres et les échanges entre écrivains, critiques littéraires d’une part et public de l’autre ;
- Animer des cercles littéraires et de lecture (conte, poésie, théâtre, débats, conférences, etc.).
Entre autres.
Les notions de rencontre et d’échange sont au cœur de nos objectifs, pour encourager les contacts, dissiper les préjugés et enraciner la culture de l’amour des belles lettres. L’accueil réservé à l’œuvre romanesque de notre ami Beyrouk et le succès qu’elle a eu - et dont témoignent les prix successifs qu’il a obtenus, couronnés cette année par le Prix Ahmadou Kourouma - constituent un bel exemple de la rencontre entre la littérature mauritanienne de langue française et celle du monde. Cette résonnance traduit la fortune que le fait littéraire mauritanien ne cesse de gagner. Nous sommes convaincus au sein de l’AEMEF que, pour avoir une littérature et une culture nationales dynamiques par les temps qui courent, notre pays a besoin d’un grand élan vers l’autre, car toute dynamique culturelle ne prend sa source que grâce aux contacts et aux échanges.
A notre époque, la modernité de la culture occidentale semble venir aussi des rencontres et du dialogue avec les autres cultures : Gauguin, par exemple, atteint son apogée créateur en Polynésie, dans ce qu’il considérait comme un paradis où il poursuivait sa quête spirituelle et artistique.
Mais il n’est pas le seul à avoir trouvé son inspiration par le biais d’autres cultures : le cubisme est né à partir des “Demoiselles d’Avignon”, tableau peint par Picasso influencé par l’art nègre, art qui a touché aussi le domaine littéraire avec les surréalistes. Le nouveau théâtre en France est apparu après l’introduction des dramaturges nordiques : Ibsen, Strindberg, mais aussi à la suite de la découverte du théâtre balinais ; le théâtre de la cruauté et de l’art mexicain par Antonin Artaud. Et les romanciers américains, Faulkner et Dos Passos, ont joué un rôle non négligeable dans le développement du nouveau roman.
Notre pays a besoin d’écrivains de talent comme Beyrouk qui gagnent des prix prestigieux comme le sien et écrivent des œuvres de portée universelle ; des écrivains qui assurent, par le retentissement de leurs écrits, cette rencontre avec l’autre, faisant découvrir la spécificité et la richesse de la culture mauritanienne au monde et, en retour, celle du monde à notre peuple longtemps tenu à l’écart de certaines harmonies du temps par la solitude où le met sa situation géographique. L’écriture nous aidera, à coup sûr, à échapper enfin à cette solitude pour mieux communiquer avec d’autres peuples et dynamiser la culture du nôtre. Sans communication, surtout par l’écrit, la culture stagne, se bloque, et meurt. Et les écrivains sont, en cela, les premiers et les plus efficaces des messagers.
Un jour donc, je n’en doute pas, le style de Beyrouk, diluvial et allégorique, fera des disciples et marquera celui d’autres écrivains mauritaniens et du monde.
Mesdames, Messieurs,
Le prix Ahmadou Kourouma est décerné par le Salon international du livre et de la presse de Genève et récompense une œuvre de fiction ou un essai consacré(e) à l’Afrique. Il est présidé par le professeur Jacques Chevrier, un éminent spécialiste de la littérature africaine et compte parmi ses membres de grands écrivains, journalistes et critiques littéraires francophones.
Il a déjà été décerné au moins treize fois et compte parmi ses lauréats des écrivains africains de grande renommée : Sami Tchak en 2007 pour Le Paradis des chiots (éditions Mercure de France) ; Emmanuel Dongala en 2011pour Photo de groupe au bord du fleuve (éditions Actes Sud) ou encore Tierno Monénembo en 2013 pour son roman Le Terroriste noir (éditions du Seuil).
- Beyrouk obtient cette grande distinction pour son dernier roman, Le Tambour des larmes, dont les conférenciers vous parleront tout à l’heure. Et ce n’est pas son premier prix ! Il a écrit son premier roman Et le ciel a oublié de pleuvoir (Paris, éditions Dapper) en 2006. En 2007 il a obtenu le Prix du roman francophone maghrébin pour cette œuvre ; puis son recueil de nouvelles, Nouvelles du désert (éditions Présence Africaine, Paris, 2009) a été nominé au Prix «Akwaba » de Littérature Africaine ; son deuxième roman Le griot de l’émir (éditions Elyzad, Tunis, 2013) a reçu le prix « Sel des mots » en 2014, et la mention particulière de l’ADELF (Association des Ecrivains de langue française) la même année. L’auteur a été nominé au prix Métis 2013 et sélectionné pour le prix du roman francophone maghrébin 2015.
Le prix Ahmadou Kourouma n’est donc qu’une étape, décisive certes, d’une carrière littéraire brillante, que d’autres prix encore plus prestigieux ne manqueront pas d’émailler à l’avenir. Beyrouk vient d’ailleurs d’être nominé pour la quatrième édition du « Prix de la Littérature arabe », décerné conjointement par l’Institut du Monde Arabe et la Fondation Lagardère.
En primant cet écrivain de talent, le jury du prestigieux « Prix Ahmadou Kourouma » de littérature a fait enfin un hommage qu’il fallait rendre, depuis longtemps, à un écrivain de talent dont l’œuvre est sans pareille. Au delà de cette consécration de l’auteur, ce prix, répétons-le, honore tous les écrivains mauritaniens et ceux d’expression française particulièrement.
J’espère pour ma part que le Prix Kourouma sera de bon augure pour l’avenir de notre jeune association qui, à la phase actuelle de son parcours, souffre sans doute de certaines insuffisances dans l’organisation de ses manifestations (absence d’un local par exemple, entres autres), mais qui arrive quand même à mener à bien ses activités et à assurer un cadre favorable pour la réussite de ses membres. Cela doit être pour nous non seulement une raison d’espérer, mais surtout une raison de croire, de notre côté, que l’envol est pris et que désormais l’AEMEF a fait son choix, celui de contribuer, grâce à l’écriture de livres par ses membres, au développement culturel de notre chère patrie, et de bâtir des passerelles qui serviront de belles rencontres entre nous et le reste du monde.
Je vous remercie".