Indulgence de plume

La page n’est pas blanche, mais les mots sont incolores. Diffus à l’image de leur ombre qui plane, ils errent dans tous les sens, s’émeuvent en désordre, se regroupent et se dispersent anarchiquement, se bousculant dans ma tête confuse. 

Ne trouvant pas de voie de sortie, ils ne s’affichent point. Illisibles.

Leur mutisme pèse lourd sur les épaules de la plume qui reste bouche cousue, peinant à cracher son encre. Pas agréable pour elle, cette sensation d’enfermement, d’incapacité de coucher des mots. 
 « Quelle solitude anxieuse, devait-elle vivre ! », me dis-je. 

Elle a certainement le sentiment, par moment, que je lui tourne le dos. Ce n’est pourtant pas du tout le cas. Certes, jouer à sa compagnie m’amuse beaucoup. Mais il est vrai aussi que je ne suis pas toujours bon joueur.

Cependant, ma piètre régularité aux rendez-vous avec l’inspiration, la plume la connait très bien ; et elle ne s’en offusque nullement. Elle sait faire la différence entre ceux qu’elle épouse totalement et les autres, entre ceux qui écrivent et ceux qui s’amusent, entre les vrais passionnés de l'écriture et les simples amateurs.

Reconnaissant envers elle, je lui réponds :  « Merci pour ton indulgence, plume. Elle m’a jamais fait défaut, même aux moments où j’en abuse ».

Comme à son habitude, sa réaction était calme et humble : elle a continué tout doucement son mouvement, s’éloignant progressivement, emportée dans un beau nuage de silence lumineux. 

Ô, si je pouvais m’y accrocher pour de bon, l’accompagner une fois pour toutes ! 
Je ne souhaite en effet qu’une chose : voyager loin, toujours plus loin, emporté moi aussi par ce magnifique halo d’étoiles, de rêves, d'illusions... dans lequel baignent écrivains et artistes.
  

  Pékin 2015

El Boukhary Mohamed Mouemel

 

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