Ancienne journaliste contestataire, la ministre de la Culture veut faire du patrimoine le ciment d'une nation encore traumatisée par de vieux conflits intercommunautaires.
«C ‘est l’œuvre de malades et je ne vois aucune religion dans le fait de tuer des gens », nous a déclaré, au lendemain des massacres de Paris, Hindou Mint Aïnina, ministre mauritanienne de la Culture et de l’Artisanat. Son allocution devant la Conférence générale de l’Unesco, réunie du 3 au 18 novembre à Paris, était déjà pleine des valeurs qui lui sont chères : « Égalité de tous dans leur humanité », « non pas s’affronter comme le veulent les « faucons » de l’histoire moderne, mais se parler, s’écouter et se tolérer », ou encore « faire face à toutes les formes d’exclusion et d’intégrisme, de terrorisme et de conflits intercommunautaires » grâce « à la revitalisation du patrimoine des valeurs ».
Et ce ne sont pas propos de circonstance. À 51 ans, cette mère de quatre enfants a démontré par son parcours qu’elle portait depuis longtemps ce souci de l’autre. Peut-être parce que son pays est à cheval sur l’Afrique « blanche » et l’Afrique « noire » pour le meilleur et, parfois, pour le pire. Après des études pour devenir enseignante, Hindou Mint Aïnina se retrouve journaliste par hasard, en 1989. Avec une bande d’amoureux de l’écriture et des belles-lettres, elle participe au lancement de Mauritanie demain, dont la périodicité est aléatoire. Ces contestataires s’indignent des massacres entre Maures, Haratines, Peuls ou Wolofs à la frontière sénégalo-mauritanienne. « Il y a eu alors beaucoup de morts, déplore-t-elle, alors que tout le monde cohabitait pacifiquement jusque-là. »
En 1993, elle fait partie de la rédaction de l’hebdomadaire Al-Bayane, lui aussi contestataire et lui aussi censuré. La même année, elle devient la rédactrice en chef de Calame, où elle défend auprès de ses lecteurs « l’apprentissage de la liberté, de l’égalité et de la démocratie ». Et surtout de l’égalité, « car on ne naît pas égaux, affirme-t-elle, il faut le devenir. Dans tout le Sahel, si on n’apprend pas l’égalité, il est impossible de sortir du statut social où l’on est enfermé ».
Sa mission ? Faire de la culture le ciment d’une nation encore sous le choc des affrontements d’il y a vingt-cinq ans.
Jusqu’en 2007, cette conviction fonde le combat de la rédaction de Calame. Mais la démocratie est enfin à l’ordre du jour. Hindou Mint Aïnina est nommée conseillère en communication et en relations avec la société civile du Premier ministre, Zeine Ould Zeidane. « Nous étions une équipe de jeunes qui rêvaient de changer le pays. » En août 2014, le président Mohamed Ould Abdel la choisit comme ministre déléguée aux Mauritaniens de l’étranger, puis, début 2015, comme ministre de la Culture et de l’Artisanat. Sa mission ? Faire de la culture le ciment d’une nation encore sous le choc des affrontements d’il y a vingt-cinq ans.
À travers le Festival des villes anciennes, elle veut préserver les patrimoines écrits, chantés, parlés, mais surtout faire « que les jeunes se connaissent, que la barrière des langues s’efface et que notre société se métisse ». A-t-elle les budgets à la hauteur de ses ambitions ? « Pas du tout, répond-elle, mais nous faisons avec les moyens du bord. Ces manifestations restent assez informelles et nous rappellent que nus étions tous nomades »
Le salafisme n’a pas sa place chez nous, affirme-t-elle
Les Mauritaniens ont en commun la langue arabe et l’islam, même si les uns sont soufis, les autres malékites. « L’islam est malléable, s’émerveille Hindou Mint Aïnina. Chacun d’entre nous l’a toujours vécu à sa manière et c’est pourquoi nous sommes en paix. Nous voulons le rester avec notre islam. Le salafisme n’a pas sa place chez nous. »
Est-elle toujours la contestataire qu’elle fut ? « Je conteste encore, mais pour que ce soit efficace, il faut pouvoir agir. Nous avons un président ouvert. Il accepte ma contestation et j’en profite ! » conclut-elle avec un sourire qui en dit long sur sa détermination. Les « faucons » et les malades n’ont qu’à bien se tenir.
Alain Faujas
Source : Jeune Afrique