En avril 1989, à la suite d’un incident aussi classique que fortuit, entre un éleveur et un agriculteur de la Vallée, les relations, séculaires, entre la Mauritanie et le Sénégal se sont subitement détériorées. Les tensions entre les deux pays ont été telles que des massacres ont été sauvagement perpétrés, d’un côté, contre la communauté maure du Sénégal et, de l’autre, contre les Noirs dont beaucoup étaient mauritaniens que des milieux nationalistes ont présentés comme sénégalais. Depuis lors, le traitement de cette grave affaire suscite beaucoup de passion, au point que ceux qui en parlent versent parfois dans l’exagération, notamment au regard du déroulement réel des événements. Tant la communauté beïdane que les organisations négro-africaines se complaisent, le plus ‘’simplistement’’ du monde, à déclarer, sans risque de se tromper, que ce sont les Harratines qui ont tué les « Kwars ». Ce qui n’est, malheureusement, pas totalement faux : l’instrumentalisation dont ces Harratines ont été l’objet, de la part du pouvoir et de ses segments, est bien réelle. En cela, cette histoire ressemble à celui qui court derrière la pierre et laisse le tireur. Or et comme ne semblent pas le comprendre certains anciens hauts dignitaires de notre République, le traitement de cette question doit se faire avec beaucoup de prudence. L’incrimination de toute une communauté et une seule, dans une aussi abominable tuerie, ne sert pas la cohésion sociale. L’objectivité recommande, surtout à d’anciens responsables de cette époque : ministres, secrétaires généraux du gouvernement et autres ; de faire la part des choses, en expliquant, clairement, les dessous et les profondeurs de la grande imposture qui permit de perpétrer cette grande infamie. C’est trop facile de déclarer que « ce sont uniquement les Harratines qui ont fait ça », dixit Abdoulaye Baro, dans le Calame du 20 Janvier 2016, alors que les cohortes de tueurs étaient conduites par d’autres qui n’étaient pas Harratines et qu’en cette affaire, les indicateurs négro-africains haut perchés dans le système d’Ould Taya ont joué leur rôle, dans la dénonciation et la prise à partie de leurs frères. Pour des raisons sur lesquelles il serait fastidieux de revenir ici, les Harratines sont, certainement, le maillon le plus faible de la chaîne et le plus facile à faire porter le chapeau des graves pogroms des années de braise du système Taya. Pour les milieux nationalistes – artisans en chef de toute cette histoire – voilà l’occasion de se dédouaner. Et, pour les cadres négro-africains et leurs organisations, une opportunité de trouver un bouc émissaire à qui attribuer toutes leurs souffrances, en sachant pourtant, pertinemment, qui en étaient les vrais responsables et les véritables théoriciens. L’innocence, voire la naïveté, ne suffit nullement pour déculpabiliser les Harratines qui ont été, effectivement, instrumentalisés pour la sale besogne. Mais de là à continuer de déclarer, systématiquement, que seuls ces Harratines ont tué est, tout simplement, faux et malhonnête. L’évocation d’une étape douloureuse de l’histoire d’un peuple doit se faire avec prudence, sagesse et retenue. Surtout par ceux qui sont censés constituer des repères nationaux et baliser, en principe, les chemins de la fraternité, du pardon et de la solidarité. Vingt ou trente ans, c’est rien dans la vie d’un peuple. Les plaies sont encore saignantes. Les propos maladroits et, de surcroît, inexacts ne servent pas la cohésion sociale. Cessons d’insulter l’Histoire en l’instrumentalisant et l’interprétant si maladroitement. Il y va de l’intérêt de tous. Ce qui s’est malheureusement passé, en 1989, engage la responsabilité d’un système manipulé par des segments idéologiques sataniques. Aucune communauté, aucun groupe n’en est vraiment responsable. Sachons raison garder, faisons attention et, surtout, parlons avec mesure. Les démons de la discorde rôdent autour de nous. Certains discours malveillants peuvent servir à promouvoir leurs ignobles desseins. Sans Mauritanie, il n y aura plus ni Beïdanes, ni Négro-Africains ni Harratines.
Sneïba El Kory
Source: Le Calame