Deux ans près, le même bonheur, mais aussi les mêmes questionnements...

Ça change chez-nous !
Elle est là depuis quelques petites heures. Dans le monde, et pour la première fois au monde.

Son père, souvent hésitant, ou plutôt timide, reste tiraillé, entre une éducation sociale lui imposant une certaine ‘’pudeur’’ d’un côté, et de l’autre, sa culture moderne ‘’libératrice’’, comme il la sent parfois avec fierté de jeunesse. Pourtant, aujourd’hui, s’agissant d’une question ‘’taboue’’, il sort de sa ‘’léthargie’’ ou plus exactement de son indécision, et trouva la force pour m’annoncer la nouvelle au téléphone.

Mieux : joyeusement, il me dit sans réserve, sans aucun signe de gêne dans la voix : « Papa, ça y’est : elle est née, ma fille ».

Il sait que je l’attendais impatiemment, depuis plusieurs mois, des mois très longs et interminables pour nous tous… que je le voyais venir avec bonheur, cet enfant. Donc inutile de jouer une fausse ‘’pudeur’’ dont il sait ce que j’en pense : je la réfute, la récuse, la refuse… 

En effet, je n’éprouve que de l’appréhension, ou même du rejet, pour ses manières de faire semblant, quand il joue à sa ‘’Sahwa’’ pour plaire à l’environnement familial, ou du moins aux traditionalistes, attachés aux us et coutumes immuables d’antan.

Comme beaucoup d’autres parmi mes compatriotes, de plus en plus nombreux, j’y vois de vraies comédies sociétales malsaines; des entraves qui réduisent les champs et les formes de la communication dans le milieu familial; qui empêchent d’exprimer une chaleur humaine dont on a pourtant tant besoin; qui dénaturent les rapports humains intergénérationnels, en nous imposant un mutisme et une curieuse prudence, entre père et fils, contre nature; qui nous privent de partager avec nos amours ce qui est le plus cher...

Quelle frustrations- bien douloureuses parfois- que de taire, enfouies dans le tréfonds de l’âme, les questions personnelles et intimes, malgré la présence matérielle d’interlocuteurs.

Ce jour, 5 mai 2014, depuis la mise au monde de cette nouveau- née, et la réaction décontractée et sincère de mon fils, je vois, avec soulagement, que ça change chez-nous : le système de valeurs archaïques bouge. Et tant mieux.

Traditions, sincérité et communication familiale, ça peut aller ensemble. C’est même un impératif pour ne pas rester en marge du progrès et de la modernité. La nécessité de vivre nous l’exige et notre religion nous y incite. Rien qu’à lire dans l’histoire du Prophète Mohamed (PSL) et de ses Compagnons pour s’en rendre compte.

Le jeune papa, lui, est préoccupé par autre chose, loin de ces réflexions. Inexpérimenté, qu’il était, il réalisait difficilement que la naissance de sa fille allait donner quelques soucis, notamment aux grand- mères et aux tantes. Finalement, plus de peur que de mal, finira- t-il par comprendre.

Cette peur, qui fait partie intégrante de tout enfantement chez nous, est constructive. Une façon de redouter l’inconnu, de supporter et partager la douleur de la mère, d’accompagner le père dans son attente et de consoler son anxiété.

Ce n’est pas parce que l’on souhaitait un garçon, que l’on risque de ne pas avoir, que l’on a peur. Non : cette question est ‘’dépassée’’ dans notre entourage familial. Ou du moins en apparence, en tout cas. La peur est élément clé du rituel de l’accouchement. Rituel parfois exagéré et dérangeant. Là aussi, médecine moderne aidant, ça change également chez-nous. 
Mais le grand changement chez-moi n’est pas de cet ordre, sociologique ou philosophique. Il est beaucoup plus simple, plus personnel et plus intime que ça : depuis quelques heures je suis grand- père. Quel bonheur !

 

mai 2015

El Boukhary Mohamed Mouemel

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