De l'impact juridique du coronavirus : réflexion à haute voix et en mode urgence.

J'avoue que la première idée qui m'est venue à l'esprit  lorsque j'ai entendu parler des caractéristiques attribuées au coronavirus fut celle que les juristes associent à la notion de  force majeure.

Cet événement imprévisible, irrésistible et extérieur, est venu perturber nos habitudes, bouleverser nos traditions et anéantir nos transactions.

Il serait très tôt de procéder à une évaluation précise de l'impact juridique de ce spectre qui hante le monde mais il est bien permis d'imaginer que les tribunaux et autres institutions de type arbitral auront , au lendemain de la fin de la crise du coronavirus, d'inépuisables stocks de pain chaud sur la planche .

 Il faudrait dès à présent que les juges  et les auxiliaires  de la justice  se préparent  à des vagues de litiges sans précédant  en matière civile, commerciale  et administrative.

Mais l'urgence consiste, dans  le climat de panique marqué par le sauve-qui-peut, à prévenir l'hécatombe annoncée dès l'apparition de la bête immonde.

C'est pourquoi, l'état d'urgence sanitaire s'est imposé de facto sans nous donner l'opportunité de nous interroger, sereinement, sur ce que nous devons faire de juré.

Bien entendu, comme le figuier qui contient toujours, quelque part, une figue oubliée, notre arsenal juridique ne manque  pas de textes, anciens ou nouveaux,  qui pourraient être invoqués dans le débat en cours  pour justifier la préservation de l'ordre public durant ces   graves circonstances, incontestablement, exceptionnelles.

Nul n'ignore, cependant, qu'en raison de l'Etat d'urgence dans lequel  s'impose l'impérieuse nécessité de nous protéger,  contre le danger  qui menace  l'existence de notre pays, le gouvernement, tel qu'il se doit pour un bon père de famille, s'est vu dans l'obligation de prendre des mesures qui ne sont pas du tout  indiscutables sur le terrain du Droit.

Ces mesures qui se rapportent, notamment, à la liberté d'aller et de venir, ou à la liberté d'expression, considérée comme étant la mère de toutes les libertés ou en encore au droit à l'information de plus en plus évoqué comme faisant partie des droits de l'homme et du droit des peuples, suscitent,  visiblement,  des ressentiments chez une partie de l'opinion publique.

Certes , il est bien permis , par exemple, de justifier les mesures de confinement par la prévention d'un fait prévu et puni par la loi pénale à savoir la responsabilité d'empêcher un individu de commettre une infraction pouvant causer un préjudice  corporel,  voire mortel, pour autrui  ou même le rappel  par l'administration  dune obligation de réserve qui pèse sur les personnels de la Santé publique en matière de gestion préventive des fléaux, laquelle obligation constitue , un exemple jurisprudentiel classique en matière de violation de secret professionnel .

Il n'est pas, d'ailleurs,  exclu que le gouvernement invoque les  dispositions de la loin n° 054 -59 du 10 juillet 1959 ( quelle coïncidence de date ! ) sur la protection de l'ordre public en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique .

Cette  loi modifiée, en janvier 1973 ( dans le contexte de la grande sécheresse)  et qui fut érigée en principe  sous le régime d'exception instauré le 10 juillet 1978, pourrait apparaître  désuète dans le contexte d'un Etat de droit qui se veut, entièrement démocratique .

C'est, pourquoi  il serait mieux, peut être, pour contrecarrer une inutile controverse,

que le gouvernement demande à l'Assemblée nationale de l'autoriser, conformément, à la constitution, de prendre par ordonnance des mesures qui, normalement, relèvent du domaine de la loi et ce en vue d'inclure, autant que possible,  des réponses aux  diverses questions de droit, actuellement soulevées, dans le programme  qu'il compte exécuter pour faire face à l'Etat d'urgence sanitaire.

Il appartient aux conseillers juridiques du gouvernement de  formuler un tel avis, lequel , cela va sans dire , suppose au préalable, la volonté politique des hautes autorités de la République.

A ce sujet, j'ai sollicité l'avis d'un vieil ami "promo" , ex avocat, notaire devenu député, après avoir fait une brillante carrière de politicien dans le parti- Etat des notables adeptes de l'obéissance à l'autorité, suivant le rite malikite , il m'a répondu avec son sens d'intelligence  sarcastique comme suit : Monsieur le Ministre , les juristes ne font pas l'Etat de Droit , c'est l'Etat de Droit qui fait les juristes. Il a raison.

 

Abdelkader ould Mohamed

Juriste, ancien Ministre.

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