« Nous avons une dette envers la Libye, très claire : une décennie de désordre. » Par ces mots laconiques, l’occupant actuel de l’Elysée vient de reconnaitre, il y a quelques heures, la responsabilité de la France dans le chaos qui secoue la Libye et, par ricochet, menace la sécurité des pays du Sahel. De son côté, Barak Obama, l'ex-président américain, "jugeait que soutenir l'intervention en Libye, à l'appel de Nicolas Sarkozy, était sa plus grande erreur ", rapporte RFI.
Les aveux d’Emmanuel Macron se font alors que Nicolas Sarkozy, est condamné à la prison ferme pour corruption et trafic d’influence, et qu’il est poursuivi encore par la justice dans d’autres affaires. Parmi celles-ci, des accusations portant sur des liens financiers suspects avec le régime de Kadhafi qui aurait contribué au financement de la première campagne électorale présidentielle de l’ancien président français.
L’intervention militaire de la France en Libye et l'assassinat de Kadhafi ont-t-ils un rapport avec cette affaire ? Pourquoi Sarkozy s’acharnait-il contre le guide libyen au point de chercher à le liquider physiquement ? Voulait-il faire disparaître des preuves qui l’accableraient, estimant que Kadhafi en savait trop ? D’ailleurs ce dernier comme son fils, n’avaient-ils pas des arguments à faire valoir quand ils ont fait mention publiquement de ce financement, en menaçant de tout divulguer ? Saïf Al-Islam Kadhafi, qui continue de réitérer ces accusations après la mort de son père, quelles conséquences auraient ses révélations sur la Justice française ?
Ces questions, comme tant d’autres allant dans le même sens, impactent inévitablement, avec le temps, l’évolution du discours officiel français; car, elles sèment le doute dans les esprits, assombrissant le rôle joué par la France dans la crise libyenne et entachant sa politique étrangère de façon générale. Un rôle militaire et politique qui s’est avéré catastrophique pour la région du Sahel.
Leaders et hommes politiques de ces pays et leurs collègues africains avaient pourtant très tôt mis en garde contre le risque. L’Union africaine a œuvré, dès les premières semaines des soulèvements populaires à Benghazi et Tripoli, à trouver une solution pacifique à la crise. Seulement, les grandes puissances occidentales ont fait avorter leur démarche, sous l’instigation de la France.
Sarkozy, n’en voulait pas : il cherchait manifestement la peau de Kadhafi coûte que coûte, quitte à déclencher une guerre civile et à déstabiliser toute une région. Les conséquences sont dramatiques pour le pays directement ciblé et pour la zone du Sahel.
Manœuvre trop risquée et couteuse, mais réussie quand même, selon la logique ‘’va-t-en guerre’’ sarkozienne !
Naturellement ce sont la Libye, les pays sahéliens et africains, ainsi que leurs populations, qui en payent le prix fort.
La reconnaissance par Macron de la responsabilité de son pays dans ce chaos, pourrait être réconfortante, dans la mesure où elle est susceptible d’apporter de l’espérance. Ce qui se réaliserait si les autorités françaises posent des actes concrets dans ce but. Les « bonnes intentions » de Macron devraient en effet déboucher sur des trains de mesures destinées à réparer les préjudices subis en Libye et dans la région, du fait de la mauvaise politique de Sarkozy.
Une réparation qui passe par le devoir de rendre la justice. Les responsables français de cette situation chaotique, comme le président Sarkozy, le soi-disant philosophe Bernard-Henri Lévy et d’autres hauts responsables politiques et militaires doivent rendre des comptes devant les juridictions compétentes nationale ou internationale. L’implication de la CPI (cour pénale internationale) ne doit pas se limiter aux suspects libyens. Son intervention et son champ d'action doivent couvrir également le cas des suspects français et occidentaux.
Dans ce genre de conflits complexes, où les acteurs sont multiples et multinationaux, la notion de crimes de guerre ne devrait pas être selective selon l'apprtenance géographique ou autres critères réducteurs de la compétence universelle de la CPI. Bien au contraire: elle doit s'appliquer à tous les présumés coupables de crimes de guerre, quels que soient leurs pays, leurs mobiles personnels ou leurs motivations politiques ou géostratégiques .
Sur le plan économique et social, la France devrait procéder à des compensations significatives en faveurs des populations libyennes et sahéliennes qui ont fortement subi les préjudices de son action militaire. Comme elle doit s’abstenir d’aiguiser les rivalités entre les belligérants locaux. Son soutien au Maréchal Khavtar, par exemple, doit cesser ; comme elle doit avoir une politique étrangère constructive, en adéquation avec celles Etats sahéliens et africains s’agissant des mouvements d’opposition armés, séparistes ou extrémistes, qui sévissent dans la région.
L’actuel locataire de l’Elysée aurait-il vraiment la volonté et le courage politique de s’engager réellement dans cette voie ? Ou plutôt se contentera-t-il des mots, de susciter en nous de faux espoirs en nous jetant de la poudre aux yeux grâce à un joli style oratoire qu'il maîtrise très bien ?
Cela est à craindre effectivement.
Dans le contexte politique actuel de la France, la pandémie de covid 19, le peu de temps qui sépare le pays des élections présidentielles, la progression dans les opinions publiques occidentales des mouvements et partis d’extrême droite... sont autant de facteurs qui pèsent lourd sur les épaules de Macron. Comme futur candidat aux présidentielles, il leur prêtera, sans doute, son oreille attentivement beaucoup mieux qu’il n’écoutera les signaux alarmants ou réclamations en provenance de la Libye ou du Sahel.
colonel (e/r) El Boukhary Mohamed Mouemel
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