La grande décision tant attendue, qui mettrait un terme définitif aux coups d’états militaires en Afrique de l’Ouest, est tombée hier : la CDEAO ordonne l’activation de sa ''Force en attente'' pour restaurer le système démocratique au Niger. Et on espère qu’elle puisse à l’avenir empêcher des changements de régimes anticonstitutionnels dans la région. Mais pour le moment sa priorité est le cas présent : la situation au Niger. Pour arriver à son but, son communiqué précise qu’elle compte sur le soutien de l'ONU et sur l'approbation et l'accompagnement total par l'UA. Il ajoute qu’elle continue par ailleurs de privilégier la voie diplomatique, sa "volonté était et reste la recherche d'une solution à l'amiable", explique le Secrétaire général de l’organisation.
Décryptage
Essayons de lire entre les lignes de ce communiqué final sanctionnant le sommet extraordinaire de la CDEAO : une intervention militaire pour faire revenir Mohamed Bazoum au pouvoir, ce ne sera pas pour tout de suite. Néanmoins, la menace d'user de la force est maintenue par l'organisation sous-régionale ; mais avec l'ultimatum en moins cette fois- ci. Ce qui pose la question : l’intemporalité ne fait-elle pas peser des doutes quant à la probabilité d’une intervention militaire adverse ?
Les putschistes, eux, ne montrent pas trop de signes de faiblesse face à la menace militaire brandie par la CDEAO. Ils viennent de désigner un nouveau gouvernement, de procéder à de nouvelles nominations aux hautes fonctions dans le système de défense et de sécurité et continuent de mobiliser leurs soutiens ‘’populaires’’ qui s’expriment bruyamment dans la rue.
Outre le succès manifeste du coup d’état sur le plan militaire, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) qui en est l’incarnation, donne le sentiment de s'installer dans la durée.
En face, on minimise la portée de tout cela. En France notamment, on explique que seule une petite minorité de militaires est de mèche avec les putschistes. Ce qui est totalement vrai. Mieux : c’est une vérité de La Palice ! Il est bien connu que les meneurs et participants engagés dans les coups d’états se comptent toujours sur les doigts d’une main et rarement sur les doigts de deux mains. Ils ne dépassent quasiment jamais une dizaine de complices actifs.
La complicité passive, elle, pourrait par contre impliquer beaucoup plus de personnes. Mais c’est surtout du côté des civils qu’il faudra la chercher. Le cas du Niger ne semble pas y échapper. Voilà qui expliquerait probablement le mutisme ou la timidité des acteurs politiques, de la société civile, des leaders et relais d’opinions … opposés au putsch.
L’intransigeance, l’erreur probablement fatale pour le CNSP
Dans ces conditions, ce ne devait pas être une soit disant '’force en attente’' ('’en attente’' depuis plusieurs années) qui empêchera les nouveaux dirigeants militaires nigériens de vouloir s’installer à la tête du pays. Toutefois leur intransigeance, trop forte, risque d’être contreproductive, surtout qu’elle incite leurs adversaires à durcir et renforcer sanctions et blocus économiques, mettant ainsi les populations dans des conditions de vie très difficiles qu’elles ne supporteront pas pour lontemps.
Les sanctions endurcies, conjuguées éventuellement à des rebellions ou actions militaires internes assez probables, pourront perturber les putschistes à moyen ou même à court terme. Mais quand exactement?
Macron aurait souhaité que ça soit tout de suite, sans attendre. Mais ce n'est plus la France qui est aux manettes en Afrique francophone. Avec les nouvelles générations de leaders africains, militaires et politiques, les temps ont changé. Il est curieux que l’occupant actuel de l’Elysée et son équipe ne l'aient pas compris. Ils sont pourtant, dans leur grande majorité, de la même génération des Africains qui font bouger les lignes des rapports liant les pays du Continent noir au reste du monde, notamment aux anciennes puissances coloniales.
La ‘’francophobie’’, une arme insuffisante
Les putschistes instrumentalisent et jouent sur les sentiments antifrançais dans le pays et en Afrique. Ils ne doivent toutefois pas ignorer que miser sur une certaine ‘’francophobie’’ aux contours et motifs diffus et incertains, comme vision politique, ne suffit pas pour diriger un pays. Si le stratagème a fonctionné, tant bien que mal, pendant plus d’un quart de siècle en Guinée, sous le règne de Sékou Touré, et durant quelques années au Mali avec Modibo Keita, ou dans d’autres régions du monde, ce genre de discours, ‘’révolutionnaire’’ pour certains, ‘’populiste et à courte vue’’ pour d’autres, ne suffit plus pour se maintenir au pouvoir.
A l’ère de la révolution numérique, les peuples africains sont informés, leurs élites bien au fait des problèmes et défis, nationaux comme géopolitiques… Les systèmes politiques africains, quelle qu’en soit la nature, militaires ou civils, de transition ou durables, ne doivent pas perdre de vue cette évidence. La prendre suffisamment en compte doit constituer le premier des soucis majeurs des généraux nigériens aux commandes du pays et leurs frères d’armes dans les autres pays africains. Un souci constant que doivent partager tous les hommes politiques qu’ils soient au pouvoir ou aspirant à y accéder.
Reconfiguration géopolitique et vrais gagnants
Beaucoup de voix pro occidentales et bruits s’élèvent lançant des SOS contre les menaces que présente, selon eux, l’intrusion de la Russie et son bras armé les ‘’mercenaires Wagner’’ dans le pays, rappelant que le ‘’danger’’ est déjà très présent en Centrafrique, au Mali, au Burkina-Faso…, les deux derniers pays ayant déclaré leur soutien total, militaire et politique, aux putschistes nigériens. De son côté, Bazoum a joué sur la même fibre antirusse, en s’adressant aux Américains afin qu’ils s’engagent plus activement pour sa libération et son retour au pouvoir. Les Français sont sur la même ligne. Mais acculés à la défensive, leur communication peine à trouver des échos favorables dans la région. La Chine et d’autres pays émergents, Turquie, Inde, Brésil… devaient être eux-aussi aux aguets, pour suivre et saisir la moindre occasion leur permettant d’étendre et développer leurs stratégies d’influence dans le Sahel et l’Afrique.
Il s’agit d’une reconfiguration des équilibres, (ou plutôt des déséquilibres) géopolitiques sur la scène internationale. Les militaires nigériens qui ont pris le pouvoir ne manqueront pas de faire tout pour en profiter, quitte à s’allier avec le diable si leur perception de leurs propres intétrêts le demanderait.
Seulement, les vrais gagnants dans ces rivalités géopolitiques qui visent déjà leur nation, ce ne sont ni eux, ni les Occidentaux, ni les Russes ou autres pays émergents. Ce sont les terroristes, les malfrats, les groupes armés criminels de tout bord… qui sévissent dans la région et qui voient leurs ennemis s'entretuyer et se déchirer.
Contrairement aux bonnes intentions, que le CNSP a exprimées, la détérioration continue, de plus en plus grave, de la situation sécuritaire, tant au Mali qu’au Burkina Faso, montre clairement que les coups d’états militaires ne constituent pas la bonne solution, bien au contraire.
Par conséquent, il est à craindre que les situations d’instabilité politique, qui frappe ces pays, s’installe dans la durée. Pire : la contagiosité du phénomène n’est pas à exclure, même si elle n’est pas prouvée scientifiquement. Rien ne garantit en effet que les autres pays de la région soient à l’abri de tels soubresauts et impasses politiques. Prenons-en soin d’abord dans notre pays en Mauritanie, mais aussi et surtout au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Nigéria et dans d'autres zones sahélo sahariennes.
Colonel (e/r) El Boukhary Mohamed Mouemel
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