Contribution à l’élaboration d'un Plan Economique National de riposte au COVID-19.

Avertissement* : Cette note a été faite à l’initiative exclusive de son auteur et de lui seul. Elle repose uniquement sur les informations disponibles au public, de sources officielles (données gouvernementales, publications scientifiques et médias internationaux réputés). Elle ne contient aucune information à caractère confidentiel. Les propositions et recommandations sont celles de l’auteur et de lui seul et ne reflètent en aucun cas l’opinion du Gouvernement Mauritanien et ne présagent donc en rien de ses possibles actions futures. L’auteur a bénéficié d’apports précieux lors d’échanges fructueux avec des compatriotes, expatriés ou non, ayant des compétences avérées dans des domaines variés (Economie, Médecine, Ingénierie, Sociologie, Sciences politiques,…etc).

1. Contexte sanitaire :

Jamais le monde n’a connu une épidémie d’une telle ampleur de par son étendue géographique et sa vitesse de propagation. En quelques semaines, des cas d’infection confirmés ont été signalés dans presque tous les pays du Monde. Sa courbe de progression semble exponentielle dans le monde en général mais aussi dans trois des pays qui nous entourent (Maroc, Algérie et Sénégal).

Fort heureusement, la propagation chez nous demeure, pour le moment, limitée à deux cas confirmés ; et qui avaient tous les deux contracté le virus en dehors du pays. L’objet de la présente note n’étant pas d’entrer dans les détails du plan de riposte sanitaire, nous nous limiterons donc à énoncer l’hypothèse selon laquelle les mesures drastiques prises par les autorités de fermer les frontières, de confiner les nouveaux arrivants et de limiter la circulation des personnes ont été pour beaucoup dans l’endiguement, jusqu’ici, de la propagation du virus. Ces mesures, salvatrices, ont été prises très tôt par rapport à tous les pays voisins et même par rapport à des pays touchés bien plus tôt que nous et à plus grande échelle.

Elles sont aussi reconnues au niveau mondial comme étant les seules en mesure de limiter la propagation du virus. Les pays qui, souvent pour des raisons économiques, ont voulu retarder la prise de telles dispositions en ont payé le prix, très élevé, en vies humaines, sans pour autant parvenir à empêcher des dégâts économiques majeurs. S’il est donc une conclusion qui fait l’unanimité en ces temps d’incertitude c’est que tout pays qui tentera de « concilier » l’impératif économique et l’impératif sanitaire se retrouvera inéluctablement perdant sur les deux fronts. L’esprit de la présente note sera donc de considérer le plan sanitaire comme socle et le plan économique comme un ensemble de mesures de soutien au plan sanitaire et de mitigation de ses « dommages collatéraux ».

Toutefois, les conséquences économiques, notamment dans leur dimension alimentaire, doivent être prises très au sérieux et des actions préventives doivent être mises en œuvre de toute urgence, pour à la fois assurer le maintien de cette politique nécessaire du « rester chez soi » et prévenir les perturbations, non seulement économiques et sanitaires mais aussi sociales et sécuritaires, qui pourraient en découler.

2. Situation des économies et des marchés mondiaux :

Les économies des pays qui pèsent le plus dans l’économie mondiale ont toutes été déclarées en récession, avec, par exemple, une estimation de la croissance du PIB des Etats-Unis de l’ordre de -30% pour l’année 2020 et un taux de chômage dépassant les 25%. La plupart des économistes convergent pour dire qu’une dépression de l’ampleur de celle des années 1930 est tout à fait probable.

De plus, la volatilité extrême qui prévaut actuellement dans les marchés financiers et qui commence (déjà !) à dépasser son record historique de 2009 empêche l’identification de tendances pouvant renseigner, même à titre indicatif, sur les développements futurs.Ce « brouillard » est renforcé par la conjugaison, déroutante, de certains phénomènes intuitivement contradictoires en temps normal, tels que la baisse continue des prix de l’or malgré les stimulations monétaires déjà mise en place par les différentes banques centrales, le maintien des prix du fer en temps de baisse de la production industrielle ou encore le renforcement du Dollar US malgré la baisse, sans précédent, des taux d’intérêt américains. Ces phénomènes prévalent encore au moment de la rédaction de la présente note, mais peuvent, bien entendu, se renverser à tout moment et en quelques heures.

Les bourses sont encore un autre exemple de cette volatilité : le Dow Jones (DJIA) a perdu plus de 30% durant les trois à quatre dernières semaines, effaçant au passage une quarantaine de trillions de Dollars de richesse, au cours de séances successives alternant de manière aléatoire des pertes de plus de 10% et des gains du même ordre. Malgré cette volatilité et ces incertitudes, les observateurs s’accordent sur un seul fait : la récession est bien là et elle pourrait durer suffisamment longtemps pour se transformer en dépression d’une ampleur égale ou supérieure à celle de l’entre-deux guerres.

Pour ce qui est des produits agricoles, ils semblent pour l’instant épargnés par cette fébrilité des marchés, comme le montre l’évolution des principaux index et prix des produits les plus courants (riz, blé et sucre). Ceci s’explique par la situation des stocks au niveau mondial, mais aussi, par la nature de l’exploitation agricole elle-même, et qui se pratique dans un espace ouvert, donc peu propice à la propagation du COVID-19, contrairement aux espaces fermés, et par le décalage dans le temps entre semailles et récoltes.

Néanmoins, l’enjeu demeure de la plus haute importance pour la Mauritanie qui fait partie des pays les plus dépendants de l’importation pour couvrir ses besoins alimentaires, surtout que, là aussi, les choses semblent commencer à évoluer.

Cependant, des rapports de presse publiés récemment, dont un article publié par l’Agence Bloomberg en date du 24 Mars 2020 intitulé « Countries Starting to Hoard Food, Threatening Global Trade » indiquent que certains pays ont déjà commencé, soit à restreindre leurs exportations, soit à lancer des commandes pour augmenter leurs réserves alimentaires. Ainsi,le Vietnam a suspendu tous les nouveaux contrats d’exportation de riz ; le Kazakhstan a stoppé toute exportation de blé et de farine de blé, son produit phare ; la Russie a laissé entendre qu’elle gardait la porte ouverte à des restrictions de ses exportations de blé ; la Serbie a mis fin à toute exportation d’huile de tournesol et autres produits agricoles et le Gouvernement chinois a annoncé son intention d’augmenter ses achats de riz auprès des producteurs locaux, limitant de facto les quantités disponibles à l’export.

D’un autre côté, certains pays importateurs ont déjà commencé à placer des commandes importantes : c’est le cas, par exemple de l’Algérie et de la Turquie dont les gouvernements ont placé de nouvelles commandes de blé, mais aussi du Maroc qui a annoncé la suspension des droits de douanes sur les importations de blé jusqu’à fin juin 2020. Le Sénégal, dont le président vient d’annoncer un plan d’urgence de 1.000 Milliards CFA ne manquera pas de prendre des dispositions similaires très prochainement.

Ainsi donc, le calme relatif qui prévaut aujourd’hui sur les marchés agricoles mondiaux risque fortement d’être de courte durée, surtout que les prix actuels des principaux produits sont très loin de leurs records historiques, ce qui laisse à ces produits, au moins théoriquement, des marges de progression inquiétantes.

A cet égard, il ne serait pas inutile de rappeler ici que lors de la crise alimentaire mondiale de 2007/2008, la Mauritanie est entrée sur le marché relativement tard et a eu beaucoup de peine à s’approvisionner, même sans considération de coût etmalgré la disponibilité des ressources financières.

3. Propositions pour la Mauritanie :

A observer le comportement de la plupart des pays du monde, il est évident que les normes jusque-là communément admises de l’économie de marché ne sont plus observées. Le monde est en situation d’urgence extrême et l’enjeu de survie l’emporte sur toute autre considération dogmatique. Il en suffit pour preuve, la décision du Sénat américain (pourtant à majorité républicaine) de voter un plan de 2 Trillions de Dollars comprenant, entre autre, des transferts monétaires directs aux ménages, chose inimaginable jusque-là. Le plan du Sénégal, bien que de moindre envergure car initialement chiffré à 1.000 Milliards CFA, est également une illustration de ce fait, même parmi les pays à faible revenu.

Le temps n’est donc pas aux demi-mesures ni aux plans timorés. Il est impératif que la Mauritanie adopte un plan d’urgence audacieux de l’ordre d’un Milliard de Dollars US, susceptible d’augmentation en cas de besoin.

Ce plan devra toutefois prendre en considération la nécessité de garder l’inflation à un niveau acceptable (en agissant sur le prix des produits de consommation courante et en privilégiant la distribution de vivres plutôt que les transferts monétaires) et prévenir la détérioration du taux de change (en augmentant la production aurifère artisanale, en utilisant les financements extérieurs pour l’acquisition de produits alimentaires et en limitant les importations non nécessaires et les transferts des bénéfices des entreprises de pêche et des opérateurs télécoms).

Notre proposition est que ce plan soit conçu en deux phase, la première étant la « Phase de Survie », qui est l’objet premier de cette note, et pour laquelle nous suggérons ici quelques-unes des actions prioritaires et le mode de financement. La seconde phase, dite « Phase de Relance », pourra faire l’objet de note subséquente et nous nous limiterons à en énoncer les principes directeurs et en dessiner grossièrement les contours.

Phase 1 : Survie (pendant la durée du confinement, prévoir donc 60 à 90 jours)

Les actions proposées ici, essentiellement d’ordre budgétaire et organisationnel, s’appuieront sur les décisions d’ordre financier et monétaire arrêtées par le Conseil de Politique Monétaire de la BCM lors de sa session d’aujourd’hui, 25 Mars 2020, tout en les complétant.

  • Acquisition, immédiatement, par l’Etat de tout le stock de produits de première nécessité disponible localement (paiement donc en ouguiyas, sans effet direct sur le taux de change).
  • Importation de l’équivalent de 9 à 12 mois de produits de première nécessité (blé, riz, sucre, huile,…) destiné à la distribution gratuite à tous les ménages, sans distinction de niveau de revenu afin de maintenir les populations confinées chez elles tout en prévenant le risque de défaillance alimentaire.
  • Convention (réquisition si nécessaire) avec les usines de produits halieutiques et les navires de pêche pour assurer l’approvisionnement et maintenir dans les installations à terre des stocks de poisson (propriété de l’Etat).
  • Mobilisation des Forces de Défense et de Sécurité et les fonctionnaires civils disponibles (enseignants, fonctionnaires civilesautres que les équipes médicales ou opérant dans les services essentiels) pour participer à la logistique des opérations de distribution.
  • Mise en place de critères de distribution (quantité hebdomadaire ou mensuelle) par ménage ou par adulte d’un certain âge en s’appuyant sur la base de données biométriques de l’Etat Civil (le développement d’une application informatique et l’acquisition de quelques équipements seront nécessaires mais rapidement faisables et sans coût conséquent).
  • Limitation de l’importation des produits de première nécessité à l’Etat seul, à travers une entreprise majoritairement publique dont le capital pourrait être ouvert aux privés qui le désirent (type SONIMEX avant libéralisation des importations).
  • Interdiction de l’importation de produits manufacturés non productifs : véhicules (sauf Sécurité et Santé), électroménagers,…etc (liste négative à arrêter).
  • Importation d’aliments de bétail (granulé, blé fourrager,…) en vue de préserver le cheptel qui commence déjà à souffrir des conséquences du déficit pluviométrique dans certaines régions.
  • Acquisition d’intrants sanitaires (équipements, médicaments et réhabilitations urgentes d’infrastructures existantes)
  • Prise en charge totale de l’eau et de l’électricité pour les ménages à revenu modeste (identifiés, non pas géographiquement, mais par le niveau de leur consommation mensuelle d’électricité et/ou d’eau).
  • Mobilisation des entreprises nationales opérant dans le secteur des BTP pour lancer une grande opération de viabilisation de terres agricoles (irriguées) et mise en place d’un système d’incitations et de subventions pour orienter le plus grand nombre de personnes vers cette activité.
  • Financement et appui aux activités d’orpaillage, avec amélioration de la technique de raffinement afin d’augmenter substantiellement les réserves nationales d’or et/ou de devises étrangères.

L’ordre de présentation de ces actions ne constitue pas un ordre de priorité. Il s’agit juste d’une liste indicative, et donc non exhaustive, destinée à alimenter la réflexion.

Financement :

Ce plan est estimé, initialement, à 1 Milliard de Dollars US, dont 300-400 Millions pour les produits alimentaires (Cf. tableau des importations des années 2016 – 2018) et le reste à répartir entre ses autres composantes, selon la disponibilité des fonds, le besoin et la priorité.

Il serait prudent de considérer qu’au cours de cette période, les recettes douanières et fiscales seront très en deçà des prévisions de la Loi de Finances Initiale de 2020. C’est pourquoi il faudra envisager, prioritairement, d’autres sources de financement.

  • Lignes de financement (à moyen terme) des importations disponibles auprès de banques et institutions de développement (300 à 400 Millions USD) ou autres sources, même non concessionnelles ;
  • Réallocation partielle des dépenses de fonctionnement des ministères non-essentiels ou des ministères non opérationnels pendant la période de confinement (Education, par exemple) ;
  • Réallocation totale de 400 à 500 Millions de Dollars de financements extérieurs non décaissés et qui étaient destinés à des projets d’infrastructure (hors Santé, Eau potable et Agriculture). Pour cela, un dialogue rapide devra être initié avec les différents partenaires qui, selon toute probabilité se montreront ouverts à l’idée dans la conjoncture actuelle ;
  • Emprunts des opérateurs télécoms, réputés liquides et auprès des opérateurs pétroliers et miniers étrangers (Tasiast, MCM, Kosmos, BP,…) à hauteur de 200 Millions de Dollars et qui ont accès aux financements bonifiés dans le cadre des stimuli mis en place dans leurs pays d’origine.
  • Mobilisation de financements extérieurs additionnels sur les fonds COVID-19 au niveau des institutions multilatérales, mais aussi auprès de pays frères et amis.

Phase 2 : Relance (après la fin du confinement, 6 à 9 mois)

Comme indiqué plus haut, cette phase n’est pas l’objet de la présente note mais pourrait faire l’objet d’une note ultérieure plus détaillée. Nous nous limiterons donc ici à évoquer quelques considérations d’ordre général concernant cette phase. Les reliquats donc de la Phase 1 viendront abonder les ressources « normales » dans les secteurs prioritaires, notamment dans les domaines de la Santé, de l’Agriculture, de l’Eau potable et de l’Education et dans une moindre mesure les infrastructures.

Au cours de cette période également, la situation mondiale se sera, a priori, stabilisée et des indications claires sur les tendances de l’économie mondiale commenceront à se dessiner. Des plans de financement auront été mis en place depuis un certain temps dans les pays développés, ce qui ne manquera pas de créer une situation où les financements seront disponibles.Aussi, les institutions multilatérales auront eu le temps de concevoir des plans de relance pour les pays du tiers monde dont nous pourrions bénéficier. Il ne faut cependant pas exclure qu’un retour à la normale prenne 2 ans, voire plus.

Il est important qu’avant le début de cette phase, on ait établi un plan ambitieux et détaillé pour notre économie, centré sur : l’indépendance alimentaire, la création de valeur ajoutée (à travers donc l’accélération de l’industrialisation) et des investissements massifs dans la Santé et l’Education tout en tirant pleinement avantage des technologies aujourd’hui disponibles.

Tout porte à croire que le monde qui émergera à la suite de cette crise sera différent de celui que nous avons connu jusque-là. Il nous appartiendra donc d’être préparés à tirer pleinement avantage des opportunités qui ne manqueront pas de se présenter, car toute crise présente des opportunités, comme nous l’enseigne notre foi de musulmans et comme le prouve l’Histoire.

Nouakchott, 25 mars 2020

Mohyedine Ould Sidi-Baba

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*En plus de cet avertissement qui émane de l'auteur, il est à signaler, comme complément à ses remaques préliminaires,  que ce document n’était pas au préalable destiné à la presse bien qu'il a été relayé  sur les réseaux sociaux sous forme de rapport d’étude. C’était le 25 mars dernier. Depuis, la situation de la pandémie de Covid- 19 a beaucoup évolué, dans le sens général de la reflexion de l’auteur.

En effet, son approche pose des idées directrices très édifiantes, notamment sur le caractère très volatile de la situation. Avec son accord, Mauriactu. info a eu le privilège d'être l'un des premier organes de presse à partager cette brillante analyse  avec ses lecteurs.

Nous en remercions vivement Mr Mohyedine Ould Sidi-Baba. La rédaction.

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