Avec l’ouverture du Collège de défense du G5 Sahel à Nouakchott, le pays de Mohamed Ould Abdelaziz se pose plus que jamais comme le pivot de la lutte antijihadiste dans la zone.
L’école aurait dû être purement mauritanienne. C’était même l’intention de départ. Avant que Mohamed Ould Abdelaziz décide, en2014, de la mettre à la disposition du G5 Sahel naissant, selon un modèle comparable au Collège de défense de l’Otan, sis à Rome. Dès lors, l’ambition du président mauritanien se fait jour : faire de son pays le chef de file militaire de la force conjointe sahélienne, dont il avait voulu la création. En juillet dernier, sa stratégie porte ses fruits : il obtient la nomination du chef d’état-major adjoint des armées mauritaniennes, le général Hanana Ould Sidi, comme chef d’état-major du G5 Sahel en cours de constitution, en remplacement du général malien Didier Dacko. Trois mois plus tard, le 8 octobre précisément, la première promotion de 36 officiers du Collège de défense du G5 Sahel faisait son entrée à Nouakchott. Des lieutenants-colonels ou colonels venus du Burkina Faso (5), du Mali (7), de la Mauritanie (14), du Niger (5) et du Tchad (5). « Ce collège s’inscrit dans le cadre du principe de l’appropriationpar les pays du G5 Sahel de leur développement et de leur sécurité, explique le général de brigade Brahim Vall Cheibany Cheikh Ahmed, qui le dirige. » Le corps enseignant est composé de 17 officiers supérieurs venus du Burkina Faso, du Mali, de Mauritanie, du Niger, du Tchad et de France. L’Italie, l’Égypte et la Jordanie ont promis des renforts, notamment pour la formation des cadres. Les fonds, eux, viennent de loin, voire de très loin : les 8 millions d’euros nécessaires à la construction de l’école ont été apportés par les Émirats arabes unis. Quant au budget annuel – 800000 euros –,il est assuré par les cinq pays du Sahel ainsi que par la France, l’Allemagne et l’Égypte. De quoi permettre aux élèves d’être formés, logés, nourris et blanchis gratuitement par le collège. La plupart affichent déjà des carrières militaires de quinze à vingt ans. Issus de tous les corps (terre, air, mer, gendarmerie et garde), ils ont huit mois – la durée de la formation, dispensée en arabe et en français – pour devenir incollables en histoire, en stratégie, en sociologie, en relations internationales, en management, en droit et en leadership. Le cursus n’est prévu que sur un an, en attendant la mise en place en septembre 2019 d’un master 2 en défense et relations internationales par l’université de Nouakchott. Au bout de deux ans, les élèves obtiendront un brevet d’études militaires supérieures et un master 2. « L’objectif est de former les élites de nos forces armées destinées à occuper de hautes fonctions et d’offrir des cadres à la Force conjointe du G5 Sahel, explique le général Cheikh Ahmed. Nous voulons doter nos forces de ressources humaines de qualité, ayant une vision, une méthodologie et des procédures communes afin de pouvoir tisser un réseau de relations dense sur le terrain et de parvenir à une interopérabilité de nos forces engagées contre le terrorisme. »
Succès antiterroristes
Comme dans le Collège de défense de l’Otan, l’objectif est donc de former des officiers supérieurs d’état-major capables d’organiser et de mettre en œuvre – ensemble – des opérations cohérentes et efficaces malgré les barrières liées à la langue, à la culture et aux traditions. Le terrorisme, lui, ne connaît pas de frontières dans cette région. Côté mauritanien, on fait aussi valoir que la nouvelle école de guerre multinationale permettra de distiller « discipline et combativité » dans les armées voisines, des valeurs qui ont permis à celle d’Aziz d’en finir avec les attentats terroristes depuis 2011. Avant cela, en 2008, douze militaires avaient été décapités à Tourine, dans l’extrême nord du pays. Et, en 2005, l’assaut contre le camp de Lemgheity par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), conduit par Mokhtar Belmokhtar, qui avait fait quinze morts parmi les soldats, avait sonné comme une cruelle humiliation pour les forces mauritaniennes. Ould Abdelaziz et le chef d’état-major, Mohamed Ould Ghazouani, entreprennent alors une refonte de l’armée: ses moyens sont considérablement améliorés, les salaires augmentés, les hommes mieux formés et dotés de matériel performant, tout cela avec l’aide de l’Arabie saoudite, de la France et des États-Unis.
Sécurité et développement
Avec la création de Groupements spéciaux d’intervention (GSI), forts d’une douzaine de véhicules tout-terrain, les troupes deviennent plus mobiles et réactives. Les services de renseignements sont au cœur du dispositif. En 2011, l’humiliation est lavée: l’armée inflige une défaite majeure aux combattants salafistes campés dans la forêt de Ouagadou, au Mali. Sont également visés les trafiquants de drogue qui tentent de traverser le pays pour gagner le Maroc et l’Algérie depuis le Mali et avec lesquels les terroristes travaillent main dans la main.
La petite aviation de combat les traque dans le désert. Au sol, les Groupements les stoppent. Le 10 août dernier, deux trafiquants sont tués, cinq arrêtés ; deux Toyota, trois mitrailleuses lourdes et un lance-roquettes sont saisis. À en croire le chef d’état-major, Mohamed Ould Ghazouani, nommé depuis ministre de la Défense, la clé du succès réside dans l’approche plurielle du phénomène terroriste. « L’action de l’armée ne suffit pas. Il faut lutter contre l’extrême pauvreté d’une population qui n’a pas d’eau, pas de nourriture, et qui ne peut pas prendre le moindre cachet de Nivaquine, faute de centre de santé. Dans la mesure du possible, nos hommes lui apportent des services et des provisions. Il ne peut pas y avoir une armée riche et une population pauvre », déclarait-il l’an dernier à Jeune Afrique (no 2965, du 5 au 11 novembre 2017). La Conférence de financement du G5 Sahel, réunie le 6 décembre à Nouakchott, a validé cette approche en pérennisant le Collège avec un apport de 9 millions d’euros.
Alain Faujas
*Jeune Afrique : « Mauritanie, à l’école de la guerre ».
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