Changement climatique : et ce débat stérile ! et pourquoi pas une bonne politique nationale de l’eau ?

Malgré la prise de conscience mondiale grandissante des impacts dangereux du changement climatique, qui affectent tous les domaines de la vie et de l’activité humaine, celui-ci continue de susciter les controverses. Les débats concernent bien entendu l’attitude à observer, les stratégies et politiques publiques à suivre.

Ecologistes, climato sceptiques, « climato je-m’en foutistes » et même « climato hypocrites » (pour emprunter au langage offensif de Mme Marine Le Pen[i]), continuent de se « chamailler ». Chaque intervenant ayant sa propre perception du phénomène et ses visées et calculs politico idéologiques.

Menace ou risque?

A leur tour, les experts (climatologues, stratégistes, environnementalistes…) ne sont pas toujours d’accord, y compris sur des notions basiques dont le rapport entre le dérèglement climatique et la sécurité.

Le changement climatique est-il une cause d’insécurité ou plutôt un facteur aggravant multiplicateur de risques ? Auttrement dit : constitue-t-il une menace ou plutôt un risque ?

Des questions certes intéressantes, sur le plan théorique et sémantique, mais aux portées bien réduites sur le champ opérationnel.

Alors que « « la question d’un lien de causalité entre le dérèglement climatique et les conflits divise les spécialistes »[ii], la littérature militaire officielle française fait, en effet, la distinction entre menace et risque. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 est clair à ce sujet :

« Par menace, on entend toutes les situations où la France doit être en mesure de faire face à la possibilité d’une intention hostile. Par risque, on entend tous les périls susceptibles, en l’absence d’intention hostile, d’affecter la sécurité de la France : ils comprennent donc aussi bien les évènements politiques que des risques naturels, industriels, sanitaires, ou technologiques. »[iii]

Pour Nicolas Rigaud, chercheur à l’IRSEM[iv] et coauteur avec 23 autres experts d’un livre consacré aux enjeux stratégiques du changement climatique, cette définition écarte le changement climatique de la catégorie des menaces, « celui-ci n’ayant aucune intention hostile malgré ses conséquences catastrophiques »[v], constate-t-il.

Toutefois, la nuance et le paramètre d’intention d’hostilité qui différencient la notion de menace de celle du risque, selon les auteurs du Livre blanc français, ne sont pas pris en considération par tout le monde. On en trouve quasiment pas de traces chez des leaders et décideurs, politiques et militaires, de très hauts niveaux sur la scène internationale.

Barack OBAMA, alors président de la première Puissance mondiale - deuxième pays le plus gros émetteur de gaz à effet de serre (GES)-, lançait l’alerte en mai 2015, affirmant que le changement climatique constitue à la fois une menace et un risque pour la sécurité, tant mondiale que nationale :

« Le changement climatique représente une menace grave à la sécurité mondiale, un risque immédiat pour notre sécurité nationale. Et ne vous y méprenez pas, ceci aura un impact sur la manière dont nos militaires défendent notre pays. »[vi]

Pour sa part, l’OTAN marche dans le sillage du premier contributeur de l’Alliance transatlantique : dans son plan d’action, elle évoque la menace que présente le changement climatique et reprend en outre les objectifs généraux que se fixent les Etats membres :

« En tant que parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et signataires de l’accord de Paris, les Alliés ont pris acte de la nécessité de trouver une réponse efficace et progressive à la menace pressante que constitue le changement climatique, et ont souscrit à l'objectif qui consiste à limiter la hausse des températures à 2°C, et de préférence à 1,5°C, par rapport aux niveaux préindustriels » [vii].

Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio GUETERRES, lui, s’efforce d’être mesuré par rapport à la controverse sur la nature du rapport sécurité/changement climatique. Mais quand il présente l’avant dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts sur l’évolution du climat), la gravité du ton trahit sa prudence et tire la sonnette d’alarme :

« Ce rapport montre que le dérèglement climatique, causé par les activités humaines, (…) constitue une alerte rouge pour l’humanité »[viii].

Et d’ajouter :

« Les effets des changements climatiques sont particulièrement profonds lorsqu'ils se combinent à la fragilité et aux conflits, passés ou actuels »[ix]

Dans les faits, qualifier le rapport entre changement climatique et sécurité de « menace » ou de « risque » importe peu. C’est en substance ce qu’il faudrait retenir des citations précédentes : des discours américain et « otanien » ; et c’est également ce qu’il faudrait lire entre les lignes des discours onusiens : les propos de GUETERRES et les rapports du GIEC.

En réalité, un tel débat sémantique ne présente pas grand intérêt. La réflexion et les efforts doivent prendre une direction plus efficiente : contribuer à lutter efficacement contre le changement climatique et ses conséquences inquiétantes que nous subissons tous les jours, et de plus en plus gravement.

Deux gros chantiers à lancer en Mauritanie

En Mauritanie, il semble que nous sommes parmi les dix pays les plus exposés aux dangers du réchauffement climatique. Les sècheresses à répétition et l’avancée du désert nous frappent durement. Les conséquences terribles de ce phénomène, socioéconomiques et écologiques, s’aggravent sans cesse et rien n’indique une inflexion de la courbe des risques que nous vivons et courons : les ressources hydriques se raréfient ; nos populations en souffrent, la montée des eaux de l’Océan menace notre capitale…

L’engagement rapide et efficace de deux gros chantiers s’impose : la protection de Nouakchott contre la montée de l’Atlantique et une gestion judicieuse des ressources en eau.

La protection du littoral est si urgente que les pistes à explorer pour ce faire doivent être définies rapidement, et les travaux aussitôt entamés. Car, selon certaines projections, citées notamment par Cherif Kane, un journaliste qui se rapporte à un rapport du GIEC, et recoupées par d'autres sources, si rien n’est fait notre capitale est menacée de disparition dans trois décennies[x].

Quant aux ressources hydriques, une bonne politique nationale de l’eau doit être mise au point, si elle n’existe pas encore.  Orientée vers la rationalisation et la maximisation d’une ressource vitale de plus en plus rare, il s’agit d’une vision globale qui, en termes de ressources hydriques, doit se déployer suivant trois axes :

  • Le fleuve : des études montrent que le débit du fleuve Sénégal a quasiment baissé de moitié en 63 ans, passant de 1200 m3/s en 1950 à un peu plus de 600 3/s en 2013[xi]. A ce rythme, appelé à s'accélérer sous la pression des sécheresses à répétition et des consommateurs dont le nombre augmente de manière exponentielle, sous quelle forme le fleuve existera-t-il dans les six ou dix décennies à venir ? Il y a lieu de prendre des précautions sérieuses face à cette grave question. Cela passe par une surveillance accrue du débit du fleuve tout en le rentabilisant au maximum. Aujourd’hui, il parait que ses deux tiers se perdent en aval, dans la mer. On peut donc toujours y pomper pour alimenter les populations et irriguer des zones agricoles. On doit même le faire, mais tout en en regardant vers l’avenir et en parfaite coordination avec les pays partenaires avec lesquels nous partageons ce précieux cours d'eau.

  • Les aquifères : les eaux de surface étant de plus en plus rares, on s’oriente vers la mise en valeur des nappes captives : à Idini,  à Benechab, à Boulenouar… Comme celles-ci ne sont pas réalimentées par la pluie, leur exploitation et leur gestion doivent se faire le plus rationnellement possible. Et des solutions de rechange en ressources hydriques doivent être envisagées dès à présent selon la situation évolutive de chaque nappe.  

  • Le dessalement de l’eau de mer : c’est une solution pérenne en termes de ressources hydriques bien qu’elle exige des moyens financiers et techniques relativement importants. Ceux-ci restent cependant accessibles. L’Etat devra s’y investir en y consacrant, par exemple, une bonne partie des revenus attendus des projets de l’exploitation du gaz naturel. Rappelons que notre pays a déjà entrepris quelques expériences dans ce domaine. Une usine et un laboratoire de dessalement de l’eau de mer furent mis en place à Nouakchott au début des années 1970. L’expérience n’a manifestement pas été fructueuse, les technologies de l’époque ne devant pas être suffisamment performantes, et les ressources financières et humaines assez modestes. Les systèmes de dessalement de l'eau de mer ont depuis beaucoup évolué au point que leur emploi est banalisé aujourd’hui. Rares sont les nations côtières qui n’en profitent. Pas plus tard qu'hier, 31 mai 2022, le président sénégalais lança les travaux d’une usine de dessalement d’eau de mer destinée à alimenter Dakar. Avec une capacité prévue de 100.000 m3/jour, le projet coutera 137 milliards de FCFA (210 millions d'euros), financés par l'Etat du Sénégal grâce à un prêt du Japon.  Nous aussi, nous devons nous engager résolument dans cette voie. Nous devons y aller plus fort que le Sénégal, étant donné, qu'en matières de ressources hydriques, nous sommes plus pauvres que notre voisin du sud. D'ailleurs, dans ce domaine, notre pays est plus pauvre que tous les Etats voisins : du sud, de l'est et du nord. Evitons d'être à la traine. Au contraire, c'est à nous de donner l'exemple dans le domaine du dessalement de l'eau de mer. 

El Boukhary Mohamed Mouemel

 

[i] C’était par ce terme qu’elle contre attaqua Emmanuel Macron quand celui-ci la taxa de « climato sceptique » lors de leur débat télévisé entre les deux tours en avril 2022.

[iv] Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire.

[v] La guerre chaude, enjeux stratégiques du changement climatique, SciencesPo LES PRESSES, Janvier 2022, France, page : 23. 

[ix] Id.

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