Certes, le Sahel n’est pas l’Afghanistan, mais…

Un graphique mis en ligne par le SIGAR (Congressional research service)[i] est édifiant quant à l’évolution de la présence militaire américaine en Afghanistan. Au bout d’une dizaine d’années, le volume des effectifs est à son apogée, avec 110 000 soldats. Une décennie plus tard, il touche le fond du creux pour s’évanouir totalement.

Qu’en sera-t-il des forces armées étrangères déployées au Sahel ?

Comparaison n’est évidemment pas raison. Cependant, les rapprochements foisonnent sur le net, dans la presse et les médias, entre ce qui vient de se produire en Afghanistan, et la situation militaire et politique au Sahel.

 "Réajustement" chez les uns, et manque de combativité  chez d'autres

Au plan militaire, la France est en train de revoir son dispositif. L’opération Bakhane sera réduite de moitié ou un peu moins, d’ici deux ans, si tout va comme prévu. De même, le Tchad vient d’annoncer le retrait de 6OO soldats, soit 50% des renforts qu’il venait de déployer, il y a quelques mois, dans la zone des « trois frontières[ii] ».

Mais il ne s’agit pas pour les autorités des deux pays, d’un début de désengagement militaire de la région. Non ! C’est plutôt une « adaptation du dispositif militaire pour mieux répondre à la nature et l’évolution de la menace terroriste», explique-t-on à Ndjaména et à Paris.

J’aurais tendance à croire cette explication, si les auteurs étaient totalement maitres du jeu. Mais hélas ce n’est pas le cas.  La situation au Sahel est trop complexe et volatile pour prévenir et planifier l’avenir géopolitique et sécuritaire de la région. La défaite, sans opposer de résistance, des forces gouvernementales afghanes, la victoire éclaire des Talibans et leur nouveau discours politique « modéré » nous le rappellent, par ailleurs.

Les forces régulières afghanes disposaient de tous les moyens : humains, logistiques, financiers… pour faire face à l’ennemi.  Sauf que la ressource fondamentale pour vaincre leur faisait défaut : ils manquaient terriblement de combativité. Au Sahel, je crains également que la conscience professionnelle et morale, la force de l’engagement et la volonté, individuelle et collective, soient insuffisantes chez les militaires africains. La facilité, avec laquelle, d’abord les rebelles touaregs, puis les« djihadistes », occupèrent le Nord du Mali en 2012, reste encore trop présente dans les mémoires. Et rien ne nous rassure que l’esprit défaitiste de l’époque a totalement disparu aujourd’hui. Bien au contraire ! la multiplication des opérations djihadistes dans la zone, et la facilité avec laquelle ces groupes armés opèrent souvent, constituent des indicateurs inquiétants.

 Les forces occidentales alliées, françaises et européennes notamment, sont sensibles à la question et mettent en œuvre, depuis plusieurs années, des programmes de formation et d’entrainement au profit des militaires des pays sahéliens les plus touchés par le terrorisme. Mais les résultats, réellement satisfaisants, se font toujours entendre. D’ailleurs, les Américains suivirent la même démarche en Afghanistan, y concentrèrent leurs efforts durant les dix dernières années, en dépensant des milliards de dollars dans la formation et l’équipement des forces afghanes. Et l’on sait ce que cela a donné finalement face aux Talibans !

C’est dire que la démarche qui consiste à exporter le savoir être occidental, tant moral que professionnel, est une approche dont les résultats sont incertains. En tout cas, les soldats et les citoyens afghans, comme sahéliens, y sont peu réceptifs.  

Des différences d’approche aux conséquences lourdes !

Au plan politique, les démarches des Occidentaux et celles de leurs alliés locaux sont différentes, selon qu’il s’agisse d’un théâtre d’opération afghan ou sahélien. Les Américains ont mené des négociations directes avec les Talibans et ont fini par signer des accords avec eux. Leurs alliés occidentaux les encourageaient, et certains parmi eux, dont la France, l’Australie et l’Italie précipitèrent le retrait de leurs troupes agissant au nom de l’OTAN. Par contre, le régime afghan, de l’ex président Ashraf Ghani, actuellement en exil aux Emirats arabes unis, n’en voulait pas, de cet accord, et en fut tenu plus ou moins à l’écart par l’Administration Trump, selon des sources concordantes. Il est donc normal qu’une telle différence d’approche politique, aussi profonde, entre Américains et Afghans, et le manque de confiance qui en résulte entre les deux parties, aient des répercussions préjudiciables face à l’ennemi commun.  

Sur le théâtre sahélien, les rôles sont inversés. Mais les conséquences risquent d’être les mêmes. Les dirigeants français ne veulent pas du tout entendre parler de négociation avec les « djihadistes ». Emmanuel Macon le crie haut et fort et se montre intraitable sur la question. En face, la junte militaire au pouvoir au Mali, voit les choses autrement ; son chef, le colonel Assimi Goïta, ne cache pas son désaccord avec le président français. Le fossé est énorme entre les deux hommes, non seulement sur la question des négociations avec les terroristes, mais aussi sur la conduite de la transition politique au Mali.

Du côté des autres pays sahéliens, on observe un silence « suspect » sur les deux sujets. Ne seraient-ils pas plus proches de l’attitude du régime malien ? C’est probablement le cas de la junte militaire tchadienne qui, elle aussi, conduit une transition politique plutôt controversée.

En outre, en plus des débats que suscitent les transitions au Mali et au Tchad et les contraintes ou difficultés qui en résultent, l’action du G5 Sahel[iii], et celle de sa Force militaire conjointe, ne risquent-elles pas d’être impactées par ces problèmes politiques qui s’ajouteront aux conséquences des « réajustements » des dispositifs militaires, annoncés respectivement par la France et le Tchad?

Dans ces conditions, les trajectoires, politiques et sécuritaires, dans la région du Sahel, sont imprévisibles. Certes, les courbes ne sont pas uniformes. Elles changent d’un pays à l’autre. Néanmoins, deux mots s’appliquent globalement à l’ensemble : fragilité et incertitudes.

 Et les enseignements, tirés à la lumière des changements en cours en Afghanistan, y rajoutent encore plus d'interrogations et de soucis.

El Boukhary Mohamed Mouemel

 

       

 

[ii] Appelée aussi le "Liptako-Gourma", elle comprend le nord du Burkina Faso - provinces du Soum et de l'Oudalan -, l'ouest du Niger - région de Tillabéri - et le Gourma malien, zone comprise entre Hombori et Ansongo.

[iii] C’est le président tchadien, le Général Mahamat  Idriss Déby, qui assure actuellement la présidence tournante du G5 Sahel.

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