Au ras des faits... / par : Isselkou ould Ahmed Izid Bih

En guise de contribution au débat proposé par le Pr El Arby Mohamedou, au sujet des langues nationales, je souhaiterais invoquer le témoignage suivant.

 En 2007, alors que je recevais pour la première fois les représentants des syndicats estudiantins en ma qualité de nouveau président de l’Université de Nouakchott, quelle ne fut pas ma surprise lorsque les échanges achoppèrent, dès les mots de bienvenue, sur la sempiternelle question linguistique! Doit-on communiquer en arabe ou en français?

Tel fut le quasi-insurmontable point « intrus » dans le projet d’ordre du jour de cette réunion de prise de contact! Passablement surpris mais pas désarçonné pour autant, je me sentis dans l’obligation de naviguer à vue pour démarrer la réunion, car un échec aussi précoce aurait anéanti la crédibilité de la toute nouvelle administration universitaire, ce qui, certes, n’aurait pas déplu aux tenants du statu quo politico-idéologique en vigueur sur le campus, à l’époque...

Un tel fiasco aurait également fait les choux gras de la myriade de groupuscules estudiantins ethno-nationalistes, prisonniers d’une rhétorique obsolète héritée des premiers pas de l’Etat mauritanien moderne. Je pris donc mon courage à deux mains et décidai de rappeler à mes interlocuteurs qu’en tant qu’agent public, je me devais de respecter la loi suprême du pays, une loi qui fait de l’arabe la langue officielle de la république islamique de Mauritanie, et que je souhaitais donc m’exprimer dans cette langue, mais qu’en raison du spectacle affligeant dont j’étais témoin, je souhaitais que l’un d’entre eux se porte candidat pour interpréter mes propos dans la langue de Molière, une langue dont je dis tout le bien que je pense.

Devant le silence de mort qui s’empara de la jeune assistance, je compris qu’un urgent rétropédalage était nécessaire, car les éléments les plus « radicaux » perdaient patience et menaçaient déjà de se retirer de la réunion, non sans proposer, pusillanimes, de revenir seuls ultérieurement. Une telle perspective ne m’enchantait guère, car j’avais la ferme volonté de bousculer ce confort médiocre de vouloir vivre entre soi, sur un campus universitaire.

J’avançai l’idée de laisser la liberté de choix de la langue à chaque intervenant ; mal m’en a pris, car certains « maximalistes » voulaient en découdre avec leurs adversaires « politiques » et tenaient davantage à saisir les détails de leurs interventions, qu’à comprendre les propos du tout nouveau recteur! L’impasse menaçait de devenir totale, car, quand bien même l’offre en vocabulaire serait abondante, le « sens » n’est pas extensible à l’infini, comme le suggère sagement un proverbe local...

Je me rappelle bien, en guise de diversion, avoir proposé de passer la question au vote, sans plus de succès! De guerre lasse, je décidai de jouer mon va-tout, en avançant l’idée de parler en arabe, me traduire en français et traduire les discours de mes visiteurs; une gageure, car il n’y a pas plus éprouvant, intellectuellement parlant, que de vouloir traduire fidèlement les propos de politiciens en herbe! Il est probable que ce fut la première fois que tous les « protagonistes » de la scène estudiantine nouakchottoise décidaient d’avoir la patience et la sagesse de s’écouter s’écharper! J’avoue que je fus fier de mes deux ... langues, ce jour-là.

Dire que la réunion fut longue et chaotique, relève d’un doux euphémisme... N’étant plus en mesure de tenir sur mon fauteuil, pourtant confortable, je décidai de négocier un « atterrissage en douceur », en proposant à mes interlocuteurs de reprendre la réunion, à la même heure, le surlendemain. Ils avaient, à quelques rares exceptions près, besoin d’une séance de maïeutique et j’estimais qu’il était de mon devoir professionnel et moral de les écouter.

Avant de prendre congé de mes jeunes nouveaux partenaires, je leur fis la morale comme suit: « Dites-moi, vous n’avez pas honte qu’un vieil enseignant soit obligé de servir d’interprète entre vous, alors que vous avez l’âge de l’ouverture, de la tolérance et de l’insouciance! Qu’allez-vous faire, demain, lorsque votre rôle de gérer le pays viendra? Compteriez-vous vous comporter en minables adversaires, incapables de s’accorder sur une langue de communication?!...».

La fatigue intellectuelle et la déception de l’enseignant aidant, je laissai libre court à ma frustration ; ils me donnèrent l’impression d’avoir été plutôt amusés par cette « sortie » ultime. J’en profitai alors pour avancer l’idée audacieuse, de leur proposer des cours gratuits de langues, toutes nos langues, au CREL ( Centre de Renforcement de l’Enseignement des Langues) qui relevait du Rectorat, ils acceptèrent unanimement et rendez-vous fut pris pour que chaque « syndicat » me ramena la liste de ses éléments à enrôler et la langue à étudier.

Une année plus tard, la question du choix la langue des échanges lors des réunions avec les représentants des étudiants, était miraculeusement aplanie. Au vu des nouvelles compétences linguistiques de mes jeunes interlocuteurs, je compris que certains d’entr’eux avaient de bonne connaissances de base préalables, mais que l’instrumentalisation politique excessive de la question linguistique les avait privés d’apprécier l’opportunité professionnelle et le plaisir inouï de communiquer dans une langue, quelle qu’elle soit!

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