Les annonces de candidatures pour les prochaines élections présidentielles ont commencé en Mauritanie. Les tractations qui en découlent vont bon train; et le tout suscitant un intérêt grandissant au niveau des médias, nationaux bien entendu, mais aussi dans la presse étrangère.
Jeune Afrique (JA) suit de près le mouvement, tant au niveau des candidatures et leurs soutiens que le profil des prétendants à la magistrature suprême et leurs chances.
Après son papier assez documenté sur Ghazouanie, c’est le tour de deux de ses adversaires principaux, Sidi Mohamed Ould Bouboukar et Mohamed Oul Maouloud. En dressant un portrait croisé des deux hommes, la journaliste JUSTINE SPIEGEL s’attache à dégager leurs motivations respectives, et à retracer leurs parcours politiques. On y découvre la confirmation d’un élément d’information troublant déjà révélé par Mauriactu.info, dans sa version arabe à travers la plume d'un avocat et écrivain celèbre dans le pays, le blogueur Mohamed Ould Moine. Il s’agit de rancœur qu’Ould Boubakar garderait pour le président mauritanien à cause de sa mise à la retraite. Il aurait demandé une dérogation aux textes et statuts de la fonction publique pour rester dans son poste d’ambassadeur. JA résume l'affaire, simpement :
« Fin 2016, alors qu’il était ambassadeur aux Nations unies, il avait souhaité prolonger sa mission, ce qu’«Aziz » avait catégoriquement refusé. "Il en a gardé une certaine rancœur ", glisse un proche du chef de l’État ».
« C’est le seul cas de protestation exprimée par Ould Boubakar durant sa carrière professionnelle», ironise le blogueur Mohamed Ould Moine sur sa page face book .
A ce mobile très personnel, JA ajoute des liens d’amitié, solides et très anciens, avec Mohamed Ould Bouamatou ainsi que l’argent que ce dernier lui aurait promis pour financer la campagne présidentielle et pour soutenir d’autres adversaires du président sortant Mohamed Ould Abdel Aziz que Bouamatou considère comme son plus grand ennemi. Dans cette perspective financièrement alléchante, dans quelle mesure Ould Maouloud espère-t-i profiter, lui aussi, des largesses du richissisme homme d’affaires et opposant mauritanien ? La journaliste répond avec prudence en se référant au concerné lui-même : « le patron de l’Union des forces de progrèss (UFP), a, lui, toujours nié avoir été financé par Bouamatou ».
C’est plutôt son parcours de militant maoïste et ses pratiques de politicien manœuvrier que le journal développe principalement, tout en soulignant des querelles et animosités qu’il suscite au sein de sa propre formation. JA note un cas précis:
« Ses détracteurs lui reprochent d’avoir, lors des dernières tentatives de dialogue avec Aziz, dirigé la délégation de l’opposition alors que l’UFP appelait simultanément au boycott des élections ».
Des querelles ouvertes évoquées également par d'autres sources, y compris au sein de l'UFP. Ce qui nous a conduit à parler de "geuerre fratricide suicidaire pour l'UFP". Une situation interne au parti qui est d’autant plus préoccupante que son patron et candidat pour la présidence de la république n’a, ni une base populaire ni soutiens politiques conséquents, susceptibles de rivaliser avec ceux de Ghazouani. Son meilleur atout, selon JA : il compte sur le fait qu'Ahmed Ould Daddah sera, à la fois, absent et présent à ses côtés! Il estime que son absence parmi les candidats lui laisse le champ libre d’une certaine façon. Comme il espère obtenir un soutien efficace de sa part. Un calcul qui n’est pas vraiment rassurant !
Résultat de tout cela : le portrait croisé des deux hommes finit par donner le sentiment que leurs chances, comme celles de l’opposition de façàn générale, sont réduites, quant à l'espoir de parvenir à un second tour. JA cite un exemple : la puissance incommensurable de Ghazouani dans les régions Est du pays qui abritent le vivier électoral le plus important; ce qui illustre un rapport de force très déséquilibré en faveur du « dauphin » du président sortant. La donne sociologique tribale y est présente et le favorise au détriment de ses adversaires, selon toujours la journaliste JUSTINE SPIEGEL.
El Boukhary Mohamed Mouemel
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JA- Une fois de plus, l’heure est à la désunion. Le 12 mars, à l’issue d’une réunion de la dernière chance, l’opposition mauritanienne n’a pas réussi à s’entendre sur le nom d’un candidat unique à opposer à Mohamed Ould Ghazouani, le dauphin de Mohamed Ould Abdelaziz, qui souhaite remporter l’élection présidentielle de juin dès le premier tour. A lors qu’Ahmed Ould Daddah, le chef du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), a dû renoncer à son ambition de toujours, ayant dépassé la limite d’âge (qui est de 75 ans), le militant antiesclavagiste Biram Dah Abeid (IRA-Sawab) s’est, lui, déjà déclaré. Surtout, au sein de l’Alliance électorale de l’opposition démocratique, deux hommes s’affrontent pour rallier un maximum de formations : Sidi Mohamed Ould Boubacar et Mohamed Ould Maouloud. En sortant subitement de sa discrète retraite il ya quelques semaines, Sidi Mohamed Ould Boubacar a pris tout le monde de court. Fin 2016, alors qu’il était ambassadeur aux Nations unies, il avait souhaité prolonger sa mission, ce qu’« Aziz » avait catégoriquement refusé. « Il en a gardé une certaine rancœur », glisse un proche du chef de l’État. Sous le régime autoritaire de Maaouiya Ould Taya, ce diplomate a été tour à tour directeur du Trésor, ministre des Finances, Premier ministre, et même secrétaire général du PRDS, le parti au pouvoir. Certes, il a ensuite rebondi: Ely Ould Mohamed Vall l’a nommé Premier ministre, et Sidi Ould Cheikh Abdallahi, ambassadeur en Espagne. Certes, il inspire toujours un certain respect. Mais son nom n’en reste pas moins étroitement associé à l’ère Taya, ce que ne manquent pas de rappeler les proches de son rival, Mohamed Ould Maouloud… Ould Boubacar bénéficie aujourd’hui de deux atouts de taille. D’abord, du soutien de la principale force d’opposition, le parti Tawassoul (d’obédience islamiste). Ensuite, de celui du riche et influent homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, dont il est un ami de longue date et qui est l’un des mécènes de certains des adversaires d’Aziz. En conflit ouvert avec le président, Bouamatou a encouragé Ould Boubacar à se présenter, à défaut de pouvoir le faire lui même, puisqu’il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la justice mauritanienne.
Ancien militant maoïste
Mohamed Ould Maouloud, le patron de l’Union des forces de progrès (UFP), a, lui, toujours nié avoir été financé par Bouamatou.Ce militant de la première heure cofonda, en 1973, le Parti des Kahidines de Mauritanie (PKM, composé d’étudiants maoïstes).Bien qu’il n’ait recueilli que 4,08% des voix à la présidentielle de 2007, il mise aujourd’hui sur l’absence d’Ahmed Ould Daddah – dont il dit avoir le soutien – pour incarner le changement. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir, lors des dernières tentatives de dialogue avec Aziz, dirigé la délégation de l’opposition alors que l’UFP appelait simultanément au boycott des élections. Une chose est sûre: la stratégie politique a pris le pas sur les calculs électoraux régionaux, aucun des deux rivaux n’étant en mesure de concurrencer Ghazouani dans l’Est, où la tribu Ideiboussat, dont il est issu, est l’une des plus influentes. Ould Maouloud appartient à celle des Idawali, présente dans tout le pays et politiquement influente. Quant à Ould Boubacar, il est un membre des Oulad Ahmed, une tribu maraboutique sans poids particulier mais très implantée dans le Brakna, proche du Tagant première région « frontalière»avec le grand Est.
Justine Spiegele
Source: Jeune Afrique du n° 3036 du 17 au 23 mars 2019.
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