Je suis tenté par une idée formidable, à la fois ambitieuse et très originale, mais pas facile à réaliser : créer ou adhérer à un parti politique pas comme les autres ! En annonçant mon projet de cette façon, solennelle et quelque peu orgueilleuse, je ne cherche nullement à impressionner et encore moins à ironiser. Car, dans mon esprit, ce n’est pas vraiment l’idée de création ou d’appartenance à un nouveau parti qui est elle-même originale. Mais les dessous qui la fondent, qui l’alimentent, sont inédits comparativement à ce qui se passe chez des femmes et des hommes où message et conscience politiques ont des significations de civisme, de patriotisme.
Ayant puisé depuis longtemps dans la littérature et les œuvres de politologues et d’auteurs respectables, avant de suivre attentivement ces derniers temps les évolutions de nombreuses situations et scènes politiques, j’ai cru avoir acquis pas mal de culture en la matière pour me lancer dans cette belle aventure qu’est la politique, et qui fait rêver plus d’un.
Néanmoins, je ne m’étalerai pas davantage sur cet aspect, que j’ai eu à développer, non sans une pointe d’ironie assez acérée. C'était, il y a deux mois environ.
Actuellement, mon propos portera essentiellement sur une "étude de terrain", sur le paysage politique national avec lequel devrait composer tout futur adhérent ou fondateur d’un nouveau parti en Mauritanie. Pour ce faire, rien de plus simple que de s’inspirer de ceux qui vous ont précédé. Quoi de plus rentable, en effet, que ‘’d’apprendre auprès des anciens’’ comme le crient énergiquement cadres militaires et soldats expérimentés, aux oreilles de leurs nouvelles recrues afin de les habituer et les soumettre aux régimes implacables de la vie en garnisons !
Observer quelques échantillons parmi ces ‘’anciens’’ nous en dit long sur le mode de fonctionnement des partis et mouvements politiques dans notre pays. Comme dans l’armée, il s’agit d’un système immuable, ayant ses propres règles et constantes. Il repose d’abord sur la centralité du ‘’chef fondateur’’ non comme concept abstrait mais comme une réalité physique concrète bien présente ; l’instrumentalisation des questions sociétales constitue son deuxième pilier. Les éléments d’analyse suivants en donnent une illustration assez éloquente. Ils ne cachent pas leur ambition de faire fonction de clés de lecture permettant d’appréhender des dessous fondamentaux de notre paysage politique.
- Un parti est synonyme d’un nom d’une personne, et seulement une.
Le RFD se distingue par le fait qu’il s’identifie à son chef, à son patron. Sur ce point, force est de constater que ce parti, qui se veut le symbole le plus fort et l’expression la plus nette de l’opposition depuis bien plus trois décennies, manque cruellement d’originalité en terme d’identifiant. Par exemple : on saura de quoi vous parlez quand vous dites ‘’le parti de Messoud Ould Boulkheir’’, ‘’le parti d’Ahmed Oud Daddah’’,’’ le parti de Naha Mint Moknass’’, ‘’le parti de Aziz’’, ‘’le parti de Boidel’’, ‘’le parti de Sarr Ibrahima’’, ‘’le parti de Moustapha Ould Abeiderrahmane’’, etc… Par contre, dans leur écrasante majorité, les citoyens auront beaucoup de mal à saisir vos propos, à repérer ce que vous voulez identifier quand vous leur citez des acronymes ou noms, comme : APP ou Alliance Progressiste Populaire, RFD ou Rassemblement des Forces Démocratiques, UDP ou Union Démocratique Populaire, UPR ou Union Pour la République, El Wiam, AJD ou Alliance pour la Justice et la Démocratie, RD ou Renouveau Démocratique…
Inutile également d’essayer de leur expliquer les programmes, les visions ou les symboles de ces partis. Non seulement ils ne ‘’pigeront’’ absolument rien en ces ‘’trucs’’, mais en plus, vous-même, vous vous brouillerez très probablement l’esprit. Vous aurez toutes les difficultés à comprendre ces programmes ou visions, à les différencier les uns des autres. Pire : parfois même, vous n’en trouverez aucune trace !
- Un parti c’est une propriété privée… et la politique c’est du nomadisme.
En Mauritanie, comme dans beaucoup de pays africains et arabes, un parti c’est d’abord un individu : la personne qui l’a créé, qui le possède de ce fait. Il constitue en réalité une propriété personnelle. Hormis le créateur effectif, les autres membres, y compris les soi-disant ‘‘fondateurs’’ ne sont généralement que des figurants. Au mieux, ils jouent des rôles d’employés au service du patron. Toutefois, rien ne les empêche, le cas échéant, de changer d’employeur. D’ailleurs quoi de plus normal chez un peuple de nomades que de bouger, que de changer de lieu, de fréquentation, de famille politique ou de famille tout court ! Heureusement qu’une telle transhumance existe ! Sans elle, le paysage politique serait frappé d’inertie et de morosité terriblement ennuyeuse. En revanche, grâce à ces mouvements fréquents de va-et-vient qu’effectuent sans cesse les « militants » entre les partis et tendances politiques, la scène gagne en vivacité : mouvante, anecdotique, incertaine… elle intrigue, suscitant un certain intérêt, une certaine curiosité, chez les gens.
C’est le moindre des avantages du nomadisme politique qui est très fréquent chez nous... et totalement légitime à l’image du nomadisme conjugal. Grâce aux transfuges, ce nomadisme aide à faire bouger quelques lignes : au sein des formations politiques elles-mêmes d’abord, puis dans leurs rapports les unes aux autres. Il contribue par exemple au renouvellement des adhérents ; et comme mode d’échange inédit que personne n’a voulu ou programmé, il établit une espèce de ’’passerelle involontaire’’ entre l’intelligentsia politique nationale dont les membres peinent depuis toujours à dialoguer normalement entre eux, comme nous le rappelle l’actualité. Il est vrai cependant que ce genre de passerelles inédites, de transfuges trop fréquents, ne sont pas les meilleures recettes pour donner de bonnes impulsions aux partis, pour établir des contacts fructueux entre eux. Loin s’en faut ! Ils sont révélateurs de cafouillage, de perte de repères, d’immaturité politique.
- Fonder un parti, c’est devenir son patron absolu, et pour toujours.
Le fondateur dirige son parti comme s’il s’agissait de sa propre entreprise. Il se comporte en PDG à la tête de son institution privée. C’est vrai cependant que les niveaux d’investissement qu’il a consentis, dans la création, dans le développement ou dans le maintien en vie- ou en survie- du parti, que son prestige personnel ou son aura, ainsi que son sens des manœuvres politiciennes sont normalement supérieurs à ceux dont font montre les autres membres.
« Légitimement parlant, cet engagement fort de la part du premier responsable et son savoir-faire constituent-ils une raison suffisante pour faire d’un parti ou d’une organisation politiques sa propriété privée ? », s’interrogeront certainement ceux qui n’ont rien compris à la politique en Mauritanie et au Sahel. Que ces derniers sachent que dans cette zone les notions relatives à la ‘’chose publique’’ restent mal assimilées, en particulier celles qui touchent à la politique. Pour les habitants, il s’agit de choses diffuses et incompréhensibles, qui sont aussi insaisissables que les mirages qui inondent leurs contrées désertiques.
En règle générale, l’appropriation instaurée dès le départ par le fondateur se maintient indéfiniment par la suite. Un chef de parti politique est généralement autoproclamé, de façon directe ou indirecte ; et il reste chef pour toujours. Il se croit irremplaçable, inamovible. Son travail, sa réflexion et son comportement sont en permanence guidés par cette logique du ‘’leader éternellement aux commandes’’, qui le hante. Effectivement, dans leur majorité écrasante, les partis politiques, surtout les partis d’opposition, réclament l’alternance au pouvoir ; mais paradoxalement, ils oublient d’appliquer ce principe démocratique à eux-mêmes : ils ne changent presque jamais de chefs. Ce sont quasiment les mêmes visages que l’on rencontre toujours à leurs têtes.
- Faire la politique, c’est instrumentaliser quelque chose.
Être président de parti ou membre influent d’un parti ou d’une organisation politique, c’est aussi avoir un ‘’produit’’ à vendre, ‘’une cause’’ à instrumentaliser, à rentabiliser. Dans cette optique, l’environnement tribal ou régional, la religion, la race, la caste… pourraient faire partie de la palette des ‘’produits’’ à la fois bon marché et rentables pour qui sait s’en servir. C’est ainsi que l’instrumentalisation de thèmes comme la tribu, l’islam, la lutte antiesclavagiste, les droits de minorités, de couches ou de castes, présentées, à tort ou à raison, comme victimes… semble porteuse ; car il s’agit de questions que je qualifierai - peut être abusivement- de ‘’sociétales’’. J’entends par là souligner leur caractère profondément lié à la société mauritanienne : son histoire, ses traditions séculaires, les rapports de ses membres entre eux, leurs modes de pensée, leurs croyances…
Cette thématique connaît une grande ruée de la part d’opportunistes, au point de susciter une concurrence souvent impitoyable entre les acteurs qui s’y investissent. Et Dieu sait qu’ils sont nombreux, ceux qui parmi eux ne reculent devant rien dans ce domaine, pourvu que l’action menée serve leurs ambitions personnelles. Qu’ils soient de l’opposition, ou qu’ils évoluent dans les sphères proches du pouvoir, on les rencontre partout : dans les mouvances ou sensibilités qui se réclamant de l’islamisme politique, dans celles qui jouent aux porte-paroles de tribus, de minorités, de couches spéciales ou de castes… Et tous ont tendance à baigner plus ou moins fortement dans ce commerce qui ne dit pas son nom, et qui s’affiche au grand jour depuis l’avènement de la démocratie dans notre pays. C’est dire combien chez-nous l’incivisme, et les archaïsmes séculaires s’adaptent à l’État moderne pour se maintenir et perdurer, en évitant de renter en conflit ouvert avec lui. Bien au contraire : en bon caméléon, ils se servent plutôt bien de l’État qu’ils épouse, en intégrant tous ses rouages afin d’en tirer tous les atouts possibles.
- Des extrémistes qui font beaucoup de bruit en se tournant vers l’étranger pour émerger vite.
Dans leur exploitation à des fins politiques des questions sociétales, les plus extrémistes de ces mouvances s’adressent en premier lieu à une ‘’clientèle’’ étrangère. Il s’agit d’individus ou de groupes d’individus qui amplifient démesurément et sciemment les particularismes et les tares qui ont caractérisé par le passé certaines couches, certaines périodes ou certains faits douloureux, et qui continuent d’avoir des séquelles graves pour les victimes, pour leurs descendants et pour le pays. Surfer sur les vagues de drames qui frappent son propre pays et ses populations, qui marquent tristement leur histoire, instrumentaliser leurs malheurs et leurs difficultés… deviennent ainsi un vrai ‘’job’’ pour certaines catégories de personnes.
Pour qu’ils soient les plus ‘’audibles’’ possibles, ces extrémistes ont besoin de faire suffisamment de bruit à l’intérieur du pays comme un tonneau vide, en se contentant du superflu. Par ce biais ils visent à attirer sur eux les regards d’observateurs extérieurs sous/ou mal informés. Pour eux, des réflexions ou analyses profondes sont en effet contre productives, la provocation étant plus payante, plus efficiente, par rapport à leurs objectifs et approches politiques déficitaires en vision globale et lointaine. Dans leur politique à courte vue, réfuter toute voix dissonante ou consensuelle, va dans la direction provocatrice qu’ils ont choisie pour émerger vite. Ils sont très malins, et même trop intelligents, en se livrant à ce jeu machiavélique. Ils y puisent toutes leurs ressources. Sinon comment expliquer que de temps à autre, certains bruits de ces hors la loi ou extrémistes obtiennent des échos favorables, notamment à l’étranger?
Passer outre la légalité et la légitimité comporte certes beaucoup de risques. Mais le choix présente parfois des opportunités qui s’avèrent bénéfiques à saisir quand le seul idéal qui compte est d’arriver à ses propres fins, quitte à emprunter des chemins trop peu orthodoxes ou dangereux. Ces grands niveaux de prise de risque, motivés par les importants résultats attendus par les auteurs, me poussent personnellement à faire un parallèle : les échos favorables ou les succès, parfois rapides et toujours imprévisibles, qu’enregistrent ces organisations ou individus hors la loi, me rappellent les aventures dangereuses auxquelles se livrent narcotrafiquants et trafiquants de tout bord, et au terme desquelles ces aventuriers criminels s’enrichissent brusquement. Suivant la logique des uns et des autres, violer la loi, faire fi de la morale, des règles qui régissent la société, couvrent des champs d’activité hautement rentables. Et tous s’y investissent, chacun tentant sa chance selon ses propres motivations : les uns pour avoir des succès rapides et gagner ainsi leur vie en se mettant sous les projecteurs des médias, les autres pour amasser beaucoup de ‘’fric’’ dans un laps de temps très court.
Si réussir en politique est à ce prix, j’avoue que mes chances, comme celle de l’écrasante majorité des gens, sont franchement réduites. C’est pourquoi j’espère que faire la politique dans notre pays, et que les voies et méthodes pour assurer le succès dans son exercice, se démarqueront nettement et rapidement des mauvaises pratiques et dérives que je viens de décrire plus haut. Comme cela a été démontré, celles-ci constituent de graves entraves sur la route des gens honnêtes, brouillent et handicapent l’action des formations politiques.
Suivre une autre voie est plus que nécessaire aujourd’hui afin que les énergies se libèrent réellement, que les projets politiques sains se multiplient, que nos partis politiques gagnent en lisibilité et en audience populaire. En ce moment là, je trouverai certainement ma place dans le nouveau paysage, comme beaucoup d’autres concitoyens. En attendant, réfléchissons aux meilleures voies qui conduisent à un profond changement dans notre perception de l'action politique et de son exercice. Un chantier énorme !
El Boukhary Mohamed Mouemel